Alors que le nouveau Premier ministre Michel Barnier a promis un gouvernement pour la semaine prochaine, Bruno Le Maire a lancé un message enflammé aux centaines de ministres, fonctionnaires, conseillers ou parlementaires venus écouter son allocution d'adieu dans la cour du ministère.
Cet écrivain et ancien professeur de lettres, auteur du roman "Fugue américaine", s'est dit prêt à tourner la page de la politique pour renouer avec sa première passion, l'enseignement, "cette fois sur les sujets économiques et géopolitiques".
"Comme dirait Michel Sardou, je vous aime, mais je pars", a déclaré en guise d'introduction le grand argentier à la longévité inégalée sous la Ve République, reprenant à son compte des paroles de cette vedette de la variété française. Seul Valéry Giscard d'Estaing a fait mieux, mais de manière discontinue.
Comme cadeau de départ, sa collègue Olivia Grégoire, chargée du Commerce, a remis des baskets bleu-blanc-rouge Millet fabriquées en Ardèche à celui qui avait fait de la réindustrialisation de la France une priorité.
Il ne regrette rien
Mais malgré la détermination affichée de les redresser, Bruno Le Maire laisse derrière lui des finances publiques dans le rouge, dégradées par les dizaines de milliards d'euros de soutien dépensés durant les crises (gilets jaunes, inflation, Covid). "Nous n'avons pas dilapidé l'argent public, nous avons protégé les Français", a-t-il assumé, avec fierté et sans regret.
Se targuant d'avoir opéré "la transformation économique de la France", voulant en faire une nation attractive, de production et de plein emploi, le ministre a mis en garde le prochain gouvernement.
"La France ne doit pas revenir en arrière sur le rétablissement de ses comptes publics" et doit maintenir l'objectif de ramener le déficit public sous 3% du PIB, a déclaré M. Le Maire. Cet objectif, fixé par les règles budgétaires européennes, est de plus en plus jugé hors d'atteinte à cet horizon par des observateurs de la situation économique.
"La sagesse recommande de tenir cette ligne, de réduire la voilure des dépenses", a-t-il poursuivi, dans un discours interrompu par des applaudissements: "Toute autre décision conduirait mécaniquement à augmenter les impôts ou à plonger la France dans des difficultés financières aiguës et immédiates", a-t-il ajouté.
L'école n'est pas finie
Pas plus que sur la réindustrialisation, "la France ne doit pas revenir en arrière non plus sur les impôts", baissés à hauteur de 55 milliards d'euros pour les entreprises et les ménages depuis 2017, a plaidé Bruno Le Maire. Il a plutôt défendu une taxation mondiale des milliardaires, à l'instar de celle des multinationales et des géants du numérique.
Une augmentation d'impôts est rejetée à droite, le Rassemblement National, incontournable dans la nouvelle Assemblée, ayant prévenu qu'elle exposerait le gouvernement de Michel Barnier à une motion de censure.
Avant la convocation des législatives anticipées au début de l'été, Bruno Le Maire avait concrétisé 10 milliards d'euros d'économies pour 2024 sur une ambition affichée de 25 milliards.
C'est largement insuffisant, a prévenu le Trésor dans une note datée de juillet: sans mesure supplémentaire, le déficit public s'aggravera par rapport aux prévisions, alors que Paris est déjà épinglé par la Commission européenne pour déficit excessif.
Ce déficit pourrait atteindre 5,6% du PIB cette année (contre 5,1% prévus) et 6,2% en 2025 (contre 4,1%). Un retour dans les clous européens en 2027 nécessiterait 110 milliards d'économies à cet horizon.
Or, le temps presse pour présenter un projet de budget pour 2025. Ce texte particulièrement lourd est censé être déposé au Parlement pour le 1er octobre, puis publié d'ici au 31 décembre.
Pour Bruno Le Maire, trois priorités s'imposent pour les prochaines années: les salaires et la productivité du travail, le climat, et le financement privé de l'économie via l'union des marchés de capitaux.
Des choix qui ne lui reviennent plus. "Il est temps pour moi de respirer un air différent de celui de la politique", a-t-il déclaré "avec un serrement de coeur".