Quand, à l’automne 1924, André Breton introduit son recueil poétique Poisson soluble par un texte théorique qu’il intitule Manifeste du surréalisme, il est sans doute loin d’imaginer que cette préface ouvrira quarante années d’une effervescence créative d’ampleur internationale. Aujourd’hui, cent ans après leur parution, les pages fondatrices du mouvement constituent le point central d’une exposition labyrinthique au Centre Pompidou.
Au cœur de l’impressionnant dispositif, le manuscrit original du Manifeste, prêté par la Bibliothèque nationale de France, se découvre via une projection audiovisuelle immersive. La voix de Breton, que l’Ircam a reconstituée par clonage, intelligence artificielle à l’appui, fait office de guide on ne peut plus saisissant. Reste ensuite à suivre la spirale d’un parcours en 13 étapes, à la fois chronologique et thématique, qui évoque la littérature aux sources de l’inspiration surréaliste, celle de Lautréamont, évidemment, mais aussi de Lewis Carroll ou de Sade, et les mythologies qui s’y rattachent, de l’artiste-médium au Cosmos, en passant par le rêve, la pierre philosophale, les créatures hybrides ou l’érotisme.
Si la dissolution officielle du surréalisme date d’octobre 1969, il a longtemps été résumé à la période d’avant-guerre et circonscrit aux frontières européennes, voire parisiennes. "A l’aune des dernières recherches, on sait désormais que le mouvement a essaimé dans le monde entier, aux Etats-Unis bien sûr mais aussi en Amérique latine, au Maghreb et en Asie", souligne Marie Sarré, curatrice de l’événement au côté de Didier Ottinger. Ainsi, après sa rencontre avec Dali en 1929, le peintre danois Wilhelm Freddie contribue à introduire le surréalisme en Scandinavie, tandis que le Japonais Tatsuo Ikeda, né quatre ans après le premier Manifeste, trace à l’encre des figures oniriques inscrites dans la sensibilité surréaliste d’après-guerre. Mais c’est surtout la place des femmes surréalistes qui a été largement reconsidérée : dès les années 1930, les revues et les nombreuses expositions internationales attestent de leur forte présence au sein du courant. "Aucun mouvement du XXe siècle n’a compté autant de femmes parmi ses membres actifs, loin du statut de muse auquel on a souvent voulu les réduire", pointent les commissaires.
Parmi la trentaine de lieux parisiens* qui célèbrent le centenaire du surréalisme en partenariat avec le Centre Pompidou, deux mettent à l’honneur des figures féminines emblématiques du mouvement. Sous l’expertise de l’historienne Alyce Mahon, la galerie Raphaël Durazzo zoome sur trois pionnières qui, par la liberté de leur création mêlant sensualité et fantastique, ont activé les leviers d’une nouvelle image de la femme, affranchie de son rôle de muse et dotée de pouvoir, comme en témoignent les dessins érotiques de Leonor Fini, les paysages kaléidoscopiques de Dorothea Tanning et, pour la première fois en France, les sculptures subversives de Leonora Carrington.
Créatrice touche à tout qui participe, dès la décennie 1930, aux plus grandes manifestations surréalistes aux côtés de Max Ernst, Dali, De Chirico ou Man Ray, Leonor Fini est, par ailleurs, l’héroïne d’une éblouissante rétrospective déroulée à la galerie Minsky, prêteuse des plus grands chefs-d’œuvre de l’artiste à travers le monde. Même si, farouchement indépendante, Fini a toujours refusé d’être rattachée à la chapelle surréaliste, ses œuvres oniriques s’y inscrivent pleinement. "Ma peinture suit les chemins que prennent les rêves", déclarait-elle notamment, comme en écho au Manifeste de Breton – "le surréalisme croit en l’omnipotence des rêves".
* Centre Pompidou jusqu’au 5 janvier, galerie Minsky jusqu’au 2 novembre, galerie Raphaël Durazzo du 26 septembre jusqu'au 23 novembre.
A LIRE : Nusch Eluard. Sous le surréalisme, les femmes, par Joana Maso, éditions Seghers, 22 € (sortie le 12 septembre).