« En trente ans, c’est la première année que je ne vais pas vendanger. » Jean Mage, a encore du mal à réaliser. Cette année, ce vigneron à Chirac, près de Beaulieu-sur-Dordogne, va prendre des vacances en septembre. Et il est loin de s’en réjouir. Le peu de raisin qu’il restait après un épisode de gel de printemps dévastateur a été emporté par le mildiou. C’est d’autant plus dur pour ce producteur de vin paillé corrézien. Ce devait être sa dernière récolte avant de transmettre ses vignes à ses enfants. « J’aurais aimé leur laisser une belle dernière année », confie-t-il pudiquement.
Même situation au Vignoble Pierro à Branceilles. Il ne reste rien sur les 5,5 hectares de vignes de Philippe Sagaz. Sur le tout jeune vignoble de Ségur-le-Château, planté en 2017, « on a gelé une année sur deux, voire une année sur l’autre… Avec une grosse pression du mildiou, cette année, si on récolte quelque chose, ce sera déjà bien », lance Mathieu Puel.
Le mildiou n’a pas aidé. Il a même causé « 60 % de perte sur les coteaux de la Vézère » qui ont eu la chance d’échapper au gel, détaille René Maury. Le gel, ennemi numéro un du vignoble corrézien depuis 2017. « On a gelé en 2017, 2019, 2021, 2023 et 2024. C'était les années impaires, là, c’est deux années de suite. On est sept vignerons à Branceilles dont quatre nouveaux. Il faut être très motivé », constate Philippe Leymat qui ne veut pas se laisser abattre et enclenche le « mode solution ». Que peut-on faire face au gel de printemps qui représente 95 % des aléas climatiques pour le vignoble corrézien ?
Faire voler des hélicoptères
L’appareil survole les vignes lors des épisodes de gel. Avec ses pales, il plaque l’air chaud au sol et permet de protéger feuilles et bourgeons. « C’est la solution la plus médiatique mais ici, on ne vend pas la bouteille 150 euros. En plus, elle provoque beaucoup de nuisances pour les voisins quand on a obtenu les autorisations pour faire voler l’engin », glisse Philippe Leymat. On ne parle même pas de la question écologique. L’hélicoptère antigel, très peu pour le petit vignoble corrézien de 121,5 hectares au total.
Allumer des bougies
Ces feux allumés dans les vignes pour réchauffer les pieds sont beaucoup utilisés dans d’autres vignobles en France. Et permettent d’ailleurs de magnifiques images. « On installe des pots de paraffine embrasés tous les deux ou trois mètres. Leur durée est d’environ huit heures. Nous, on a eu deux gels matinaux qui ont duré six heures chacun. C’est une très grosse logistique et cela coûte 2.500 à 3.000 euros par hectare », précise Philippe Leymat qui estime que ce n’est pas la meilleure des solutions.
Asperger la vigne
Une autre technique consiste à arroser la vigne pour la protéger du gel. « Cela crée un glaçon autour de la feuille et du bourgeon sans pour autant que l’eau qu’ils contiennent ne gèle. » Les professionnels appellent ce phénomène la surfusion. « C’est un procédé très efficace, assure Philippe Leymat. Mais il demande des installations très lourdes pour l’arrosage et nécessite une ressource importante en eau, que nous n’avons pas. » Exit l’aspersion également pour contrer le gel.
Faire marcher les tours à vent
C’est un mât d’environ dix mètres de haut avec des pales à son sommet. « La tour permet de capter l’air plus chaud en hauteur et de le rejeter vers le bas au niveau des rangées. On peut aussi les équiper d’un dispositif permettant de créer de la chaleur », décrit Philippe Leymat. Une tour à vent permet de couvrir entre cinq et sept hectares de vignes. « Nous avons aussi un problème de gel sur les noyers. Nous pourrions ainsi mutualiser », suggère le vigneron.Le coût ? Près de 50.000 euros pour une tour à vent. « Mais pour obtenir les aides afin d’investir, il faut avoir souscrit une assurance récolte. »
Cette assurance récolte, « système volontaire et privé », permet aux vignerons de couvrir leurs pertes liées aux aléas climatiques. « Le calcul des cotisations et des indemnités est basé sur les cinq dernières années auxquelles on enlève la meilleure et la plus mauvaise. Il se base donc sur une moyenne des trois années restantes. La récurrence des mauvaises années implique qu’il aurait fallu geler à 92 % en 2024 pour être couvert. Ce calcul, appelé la moyenne olympique, n’est plus adapté », estime Philippe Leymat.
Conséquence : de moins en moins de vignerons souscrivent une assurance récolte. « S’il n’y a pas assez de cotisants, les assurances vont finir par refuser de nous assurer. C’est ce qui est arrivé aux pomiculteurs touchés régulièrement par la grêle, il y a vingt-cinq ans. Et c’est ce qui a ouvert la réflexion pour équiper les vergers de filets anti-grêle. Nous aimerions que la même réflexion s’ouvre pour investir dans des tours à vent. » Pour la Fédération départementale des vins de la Corrèze, cette solution semble la plus appropriée. L’enjeu est aujourd’hui de trouver des fonds pour investir.
Faire évoluer les cépages
Des vignerons corréziens aimeraient planter d’autres cépages. « En février, la nature a l’impression que le printemps arrive. On paie très cher ces jours d’avance en cas de gelées au printemps », estiment-ils. Pourquoi ne pas faire appel à des cépages plus tardifs ? C’est une des solutions avancées par Jean Mage. Pour cela, il faudrait faire évoluer les cahiers des charges de l’AOP (Appellation d’origine protégée). Vaste chantier. « 80 % des cépages gèlent, pose aussi Philippe Leymat. Cette solution montre plus d’avantages face aux maladies de la vigne comme le mildiou. »
Emilie Auffret
