Dans Parle avec elle, réalisé par Pedro Almodóvar en 2002, Benigno, infirmier dans une clinique, prend soin d’Alicia, une jeune patiente dans le coma. Sa thérapie consiste à lui parler, à tout lui raconter de sa vie. Alicia est une Belle au bois dormant qui attend un prince improbable pour la réveiller. Dans Le Dernier Rêve, Almodóvar est comme l’infirmier Benigno : Il parle avec ses souvenirs, (“raconter la vie à l’envers”, dit-il), les embrasse pour les extirper du coma, du temps perdu.
Douze textes, douze “récits” comme Almodóvar les qualifie dans son introduction, rédigés entre la fin des années 1960 et 2023, et qui ne sont pas littéralement une autobiographie mais à coup sûr une autofiction “morcelée, incomplète et quelque peu cryptique”.
Certains de ces récits, intégralement ou par lambeaux (La Visite, Trop de changements de genre) sont devenus des films (La Mauvaise Éducation, Douleur et gloire). On les a vus avant de les lire. À les lire, on les revoit. Pour autant ce trouble ne brouille pas la lecture. Malgré ses dénégations de dandy “je rêve d’écrire un mauvais roman”), Almodóvar est un conteur hors pair qui excelle dans les dialogues et les descriptions. Au plus haut point dans les textes qui ne sont pas devenus des films ou pas encore. Ainsi dans La Cérémonie du miroir, fable gothique où se confrontent un mystérieux aristocrate et le père supérieur d’une abbaye, plus que troublé par la beauté vampirique de son hôte. Ou encore dans La Rédemption, biblique à la façon d’un Genet, qui narre une nuit torride entre le voleur Barrabas et Jésus Christ, éphémères compagnons de cellule. La mélancolie rôde tous azimuts notamment dans les bien nommés Souvenir d’un jour vide ou Amer Nöel, deux crève-cœurs neurasthéniques.
Mais l’humour bat le rappel. Entre autres dans Confession d’une sex-symbol. Je veux écrire une histoire et la première question que je me suis posée, c’est : que vais-je raconter, quel sujet mérite que je m’y consacre ? Puis, je dois l’avouer, j’ai eu une idée géniale. Je vais écrire sur MOI. Parce que, tout bien réfléchi, pourquoi inventer un personnage puisque j’en suis déjà un, pourquoi imaginer une vie drôle et instructive puisque c’est le cas de la MIENNE.”
Le plus beau des récits est celui qui donne son titre au recueil : Le Dernier Rêve, qui est celui de sa mère qu’elle confie à Pedro et à son frère Agustín quelques heures avant sa mort en septembre 1999. “Tout ce qu’elle a dit lors de cette dernière visite, à partir du moment où elle nous a demandé s’il y avait de l’orage, est resté gravé dans ma mémoire. Ce vendredi était un jour ensoleillé et la lumière entrait par la fenêtre. À quel orage ma mère faisait-elle référence dans son dernier rêve ?”
Et aussi en aparté une confession qui, à l’écrit comme à l’image, dit tout de l’univers d’Almodóvar, à la fois enchanté et douloureux : “J’ai beaucoup appris de ma mère, sans qu’on s’en rende compte elle et moi. J’ai appris une leçon fondamentale pour mon travail, la différence entre la fiction et la réalité, et comment la réalité a besoin d’être complétée par la fiction pour que la vie soit plus agréable.”
Le Dernier Rêve (Flammarion), traduction (espagnol) de Anne Plantagenet, 240 ps, 21 €. En librairie.