A mon ami JC, qui, tout jeune et prospère qu’il soit, a un peu galéré pour se faire soigner le 15 août.
Ce Quinze-août d’une année incertaine a été une fois de plus pénible dans les hôpitaux français. Les professionnels en poste essayent de le faire savoir et même les pouvoirs publics consentent à le reconnaître, peut-être parce que, démissionnaires, les ministres concernés peuvent dire officiellement qu’ils sont impuissants. Il est peut-être temps de manger le morceau : c’est notre pauvreté collective que les uns après les autres nous expérimentons en médecine comme ailleurs, pauvreté d’un pays qui fut riche, pauvreté désormais française, mais relative bien sûr. Dans les années de prospérité, celles des années soixante, soixante-dix et immédiatement suivantes, nous avions de tout en abondance partout, ce qui est un marqueur de richesse ; l’égalité républicaine était un mot compris de tout citoyen. C’est de médecine que je parle, on ne pourra pas me taxer de sortir de ma zone de compétence quoique j’aie bien des choses à dire sur le reste.
Il fut un temps, on allait voir le médecin quand ça nous chantait, à temps et à contretemps ; il était tout proche, il travaillait jusqu’à minuit, faisait des visites à domicile, sa femme prenait les appels en ville, l’hôpital était rude mais accueillant, on n’attendait pas plus de quelques jours et ça ne coûtait rien depuis des décennies grâce à l’Assurance maladie. Nous vivions dans l’abondance et l’inconscience de ce que l’on dépensait pour nous soigner.
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On entendit parler à partir du dernier quart du XX° siècle de l’explosion des coûts, puis de la médecine à deux vitesses (il y en avait qui payait plus pour avoir une médecine premium, tandis que les autres devaient se contenter d’une médecine publique qui restait d’excellente qualité). Maintenant, les médecins spécialistes comme généralistes sont introuvables, loin dans l’espace et dans le temps, et l’on découvre le maquis des dépassements, des remboursements périlleux et des mutuelles incertaines. Aux pauvres, mais plus généralement à ceux que saisit brutalement la maladie grave ou le symptôme incompréhensible, reste à atterrir ou à échouer aux Urgences, royaume de l’aléatoire ; incertitude des urgences certes, mais au moins il y a de la lumière la nuit et le 15 août, et c’est pourquoi y convergent tout le monde, pauvres qui ne connaissent personne, qui n’ont pas de médecin dans leur famille ou d’infirmiers dans leurs manches, comme riches, eux aussi nouveaux pauvres de la médecine, parce que passé disons 19h voire 20h (encore bien au-delà des heures de bureau), les médecins (des riches comme des pauvres, de l’hosto ou de la ville) font comme tout le monde, ils rentrent à la maison et ne se laissent plus dévorer autant qu’aux trente glorieuses.
Il faut vraiment en 2024 avoir une vue claire de ce que l’on peut attendre de la médecine :
En résumé, l’appauvrissement français s’exprime à travers l’impossibilité de faire face aux demandes multiples liées aux moindres symptômes. Il faudrait admettre de ne pas tout mettre sur le même plan. Les choix sanitaires lourds doivent rester dictés par la complexité des prises en charge de situations pathologiques graves (répondant aux problèmes de santé publique liés aux maladies cardio-vasculaires, neurologiques, cancéreuses, ou consécutifs au vieillissement) avec une vision de la médecine comme technique ou ensemble de techniques à appliquer à des maladies ou à des situations pathologiques. Mais la médecine doit tenir compte aussi des spécificités sociales et territoriales. La réduction du nombre de médecins formés a été déterminée par l’idée que c’était la présence de médecins qui générait de l’activité médicale. Le nombre de médecins formés en France a été réduit mais la demande de médecine technologique n’a cessé de croître, obligeant à une importation de personnels de santé formés ailleurs. Ainsi, contrairement à une idée reçue fréquente, le nombre de médecins en France n’a pas diminué sur plusieurs décennies mais leurs exercices, sociologie, géographie d’implantation non contrainte et mode de vie ont changé.
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Bon finalement, JC a été plutôt chanceux : munis des bons conseils à distance d’un professeur de médecine de ses amis, après quelques détours (Privé puis Urgences du Privé-Participant-au-Service-Public puis transfert dans un service d’orthopédie du Public parisien), il a pu se faire traiter de sa fracture tassement vertébrale hyper douloureuse là où il fallait, dans un délai correct (trois jours tout compris). Comme galère, ça aurait pu être pire. Il a donc bénéficié du premier groupe de ma typologie : celle de la médecine technique, « one-shot », celle qui nous fait dire que décidément en France on a une bonne médecine. Il est vite rentré chez lui, se réjouissant de la gentillesse et de la compétence des professionnels rencontrés. Il s’est évité errements et attente interminable dans des urgences générales, il a très vite pu être pris en charge par les bons spécialistes. Et je ne crois pas que cela lui ait coûté grand-chose, compte tenu des compétences remarquables mobilisées. Comme quoi quand même, le 15 août, c’est bien d’avoir la possibilité de connaître tout de suite le bon mode d’emploi et d’être orienté au plus vite vers les bonnes voies d’accès. La médecine à deux vitesses est celle de l’information valide. Et c’est mieux évidemment lorsqu’on tombe malade dans une grande ville avec plusieurs accueils d’urgences, dans un désert médical qui reste moins désertique que la France du Centre ou Mayotte dont on parle ces jours-ci en même temps que de Brest, Carpentras, Nantes, Belfort, Laval, Saint-Brieuc, et « une cinquantaine d’hôpitaux en tension », à travers la France, petites et grandes villes réunies.
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