Melbourne, Londres, Berlin et désormais São Paulo. Si le bilan carbone du Citizen Cave est dans le rouge à l’orée des années 1990, c’est que la vie d’une rock star en quête de transfiguration l’exige. Expatrié au Brésil, fraîchement amoureux, Nick Cave se défait des oripeaux goth et caverneux des saillies discographiques précédentes, sans nécessairement tout révolutionner, mais en posant de nouvelles bases discographiques avec de belles chansons imposantes et mélodiques, simples et fondamentalement immédiates, qui emportent les larmes de l’auditeur·rice sur son passage.
“L’autre titre envisagé pour le disque était un mot portugais qui n’a pas d’équivalent en anglais, ‘saudade’. Ce qui signifie un vague désir pour quelque chose de perdu. En ce qui concerne les paroles, c’est le thème central qui traverse tout le disque”, confiait-il aux Inrocks à l’occasion de la sortie de ce sixième album des Bad Seeds (déjà). Il faudra attendre The Boatman’s Call (1997) pour retrouver une telle approche sensible. F.M.
Comme son titre le promet, Murder Ballads donne à entendre des chansons narrant des récits de meurtres ou évoquant la mort sur fond d’un rock crépusculaire nimbé d’effluves jazz. Moins nerveux que les deux précédents, Henry’s Dream (1992) et Let Love In (1994), le minimaliste neuvième album de Nick Cave & the Bad Seeds se distingue également par son axe conceptuel, par sa théâtralité ostensible et par la présence de plusieurs invité·es de marque, dont le violoniste Warren Ellis, devenu depuis un membre essentiel du groupe.
Déployant tous ses talents de conteur et de chanteur, tantôt romantique tantôt sardonique, Nick Cave orchestre avec maestria et une belle pincée d’humour noir ce capiteux cabaret du bout de la nuit. Traversé par deux duos au sommet, Where the Wild Roses Grow (avec Kylie Minogue) et Henry Lee (avec PJ Harvey), l’album – aussi langoureux que vénéneux – s’achève avec Death Is Not the End, reprise en mode choral d’une chanson de Bob Dylan, ode élégiaque à la vie qui prend ici une très savoureuse résonance. J.P.
Au tournant des années 2000, mal commencées avec les décevants No More Shall We Part (2001) et Nocturama (2003), l’Australien signe un double album officialisant le départ définitif de Blixa Bargeld, leader d’Einstürzende Neubauten et pilier historique des Bad Seeds depuis deux décennies.
Est-ce son installation dans la station balnéaire de Brighton qui explique le regain de forme artistique de Nick Cave sur Abattoir Blues/The Lyre of Orpheus ? “Get ready for love”, comme il le chante en ouverture électrique du premier disque.
Entre les morceaux endiablés d’Abattoir Blues et les ballades langoureuses de The Lyre of Orpheus (O Children, le renversant titre conclusif et le morceau le plus streamé de sa carrière), Nick Cave choisit de ne pas choisir, comme s’il réunissait Henry’s Dream et The Boatman’s Call sur les deux faces d’un même bloc. F.V.
Si le départ du guitariste Mick Harvey, en 2009, avait pu inquiéter les amateur·rices des Bad Seeds et de leur manitou en chef, la sortie de Push the Sky Away rappelle avec superbe que le groupe est un phénix… à qui il faudrait plus qu’une défection pour lui faire perdre l’usage de ses ailes.
Enregistré dans les studios de La Fabrique à Saint-Rémy-de-Provence, sous la houlette du complice Nick Launay, ce quinzième album calme le jeu démoniaque de son prédécesseur, Dig, Lazarus, Dig!!! (2008), sans oublier le terreau des Mauvaises Graines : un blues fantomatique, tant farouche que poisseux. “Some people say it’s just rock and roll/Oh but it gets you right down to your soul”, chante Nick Cave sur le morceau-titre.
S’ouvrant avec les sombres pesanteurs de We No Who U R, l’album offre aussi le captivant conte (post)moderne de Jubilee Street, au crescendo tellement maîtrisé qu’il n’en est que plus haletant. Lorsqu’il annonce vouloir être enterré aux côtés d’un chat momifié dans Higgs Boson Blues, on n’est guère étonné·es : si Nick Cave et ses Bad Seeds optent pour un dépouillement sonore, c’est celui des linceuls pour grands poètes déchus. S.R.
Au confluent de deux lignes, intime et esthétique, Ghosteen n’est pas uniquement un sommet de la discographie de Nick Cave : c’est une œuvre sans équivalent. L’aboutissement de la dernière réinvention du style Bad Seeds est aussi une méditation dans laquelle l’Australien se livre ouvertement sur la plus douloureuse des expériences : la perte de son fils Arthur.
Cette transfiguration miraculeuse du deuil convoque à la fois Elvis, le Christ, les paraboles bouddhistes, Boucle d’or et les trois ours et mille autres sources. Le songwriter y scande, sur les fascinantes nappes brumeuses d’un Warren Ellis en lévitation, les textes les plus riches qu’il ait jamais écrits.
S’y mêlent le prosaïque et le mystique, dans une oscillation incessante entre deux modes de l’existence et sur deux disques : une partie pour “les enfants”, une autre pour “les parents”. Save the Children, chantait Marvin Gaye sur son chef-d’œuvre absolu What’s Going On en 1971. Ghosteen est de ce niveau-là – tout aussi bouleversant et fondamental. R.B.