"Quelque chose a changé, l’air semble plus léger", murmurait Emmanuel Macron au lendemain des Jeux olympiques, citant Barbara. Incontestablement, le camp démocrate américain, réuni du 19 au 22 août à Chicago, aurait pu enchaîner les couplets de la chanson. "On pourrait encore y croire. Il suffit de le vouloir. Avant qu’il ne soit trop tard." Trop tard ? "Non !", a rugi Kamala Harris, la nouvelle fusée politique, celle qui, il y a encore quelques semaines, était perçue comme une piètre vice-présidente.
Car non seulement le retrait de Joe Biden de la course à la Maison-Blanche a changé l’équation, mais il a surtout permis de découvrir l’incroyable instinct politique de son bras droit, qui manquait tant à Hillary Clinton en 2016, battue sur le fil par Donald Trump.
"It’s the economy, stupid !" : la célèbre formule lâchée il y a plus de trente ans par un conseiller de Bill Clinton n’a rien perdu de sa pertinence, encore faut-il savoir l’assaisonner. Or à ce jeu-là, Joe Biden était engagé sur une mauvaise pente, convaincu d’avoir un bilan irréprochable. "Incontestablement, le pays se porte bien, avec un chômage au plus bas ou presque et une inflation désormais sous contrôle", atteste Anton Brender, chef économiste chez Candriam et auteur de Les démocraties face au capitalisme (Odile Jacob, mai 2024). Mais "si le tableau d’ensemble est bon, la perception microéconomique diffère", rapporte Anis Bensaidani, spécialiste des Etats-Unis à BNP Paribas.
Prix de l’alimentation, du carburant, des loyers : nombre de ménages peinent à boucler leurs fins de mois, en particulier parmi les classes moyennes, grandes perdantes de la période post-Covid. Le fameux "homme ordinaire" américain, dont le vice-président Henry Wallace prophétisait l’avènement dès 1942, n’est plus que l’ombre de lui-même. Non seulement la classe moyenne ne représente plus que 51 % de la population, contre 61 % au début des années 1970, mais la part de ses revenus a dégringolé de 62 à 43 % du revenu national dans la même période. Fin limier politique, Joe Biden avait perçu depuis longtemps le danger de cette paupérisation. "Quand la classe moyenne va mieux, l’économie va mieux et tout le monde s’en porte bien", répliquait le colistier de Barack Obama à Sarah Palin, lors du débat des candidats à la vice-présidence en 2008.
Aujourd’hui, face à Donald Trump, Kamala Harris entonne le même refrain. "Le renforcement de la classe moyenne sera un objectif déterminant de ma présidence car je suis fermement convaincue que lorsque la classe moyenne est forte, l’Amérique est forte." Du Biden dans le texte.
Mais avec un petit truc en plus : l’ancienne procureure Californienne ne parle plus d’inflation mais de coût de la vie, promet le contrôle de prix d’épicerie et des aliments, des chèques pour les nouveaux propriétaires, des crédits d’impôt pour les jeunes parents… Cadeaux populistes, persifleront les uns, menace pour les comptes publics, renchériront les autres. A moins que Kamala Harris n’ait tout simplement compris qu’elle doit faire de la politique pour faire gagner son camp.