Un an après l'entrée en vigueur du règlement sur les services numériques, un texte sans équivalent au monde, Bruxelles vient de remporter sa première grande victoire face aux grandes plateformes numériques en obligeant TikTok à supprimer définitivement une fonction "addictive" d'une application en Europe.
Cette décision fait suite à une longue série d'autres, au début de l'été, visant Apple, Meta et Microsoft. Et, selon des responsables européens, des initiatives sont à attendre d'ici la fin de l'année: nouvelles enquêtes, ajout de nouveaux noms à la liste des plateformes soumises aux obligations du bloc...
Deux lois - et deux acronymes qui gagnent peu à peu en notoriété des deux côtés de l'Atlantique - sont au coeur de l'offensive européenne en cours: le DSA (Digital Services Act), sur les contenus en ligne, et le DMA (Digital Markets Act), sur la concurrence.
"Ce n'est que le début"
Depuis l'entrée en vigueur de cette dernière en mars, l'UE a lancé plusieurs enquêtes et mis la pression sur Apple pour que le groupe fasse machine arrière dans sa querelle face à Epic Games, créateur de Fortnite, au sujet de sa boutique d'applications.
Résultat tangible: Apple a accordé une concession sur le Vieux Continent qui n'a pas été mise en oeuvre ailleurs dans le monde.
"La Commission européenne fait le boulot: elle met en œuvre le DMA avec des ressources limitées et dans un délai court par rapport aux longues affaires de concurrence", estime Stéphanie Yon-Courtin, membre du Parlement européen, spécialiste des questions numériques.
"Ce n'est que le début", souligne de son côté Jan Penfrat, expert de l'EDRi, organisation non gouvernementale qui défend les droits des utilisateurs en ligne.
EDRi et d'autres groupes, dont ARTICLE 19, ont dressé en juillet une liste des domaines dans lesquels Apple ne respecte pas, selon eux, le DMA. "Nous nous attendons à ce que la Commission s'attaque également à ces questions en temps voulu", explique M. Penfrat à l'AFP.
Affrontements médiatisés
Dénonçant certaines des exigences du DMA, Apple affirme qu'elles pourraient compromettre la vie privée des utilisateurs et la sécurité des données.
En juin, la marque à la pomme a été la première entreprise à être formellement accusée d'enfreindre les règles du DMA. Elle risque de très lourdes amendes si ses réponses à la Commission ne sont pas jugées satisfaisantes.
Le 8 août, le groupe a annoncé des ajustements sur son App Store afin de se conformer aux règles de la DMA, des modifications immédiatement qualifiées de "confuses" par la Coalition for App Fairness.
Le cas de X (ex-Twitter) sera également suivi avec attention pour évaluer les nouveaux pouvoirs de l'UE.
Les règles du DSA relatives à la lutte contre la désinformation et les discours haineux ont déjà donné lieu à un affrontement très médiatisé entre Elon Musk, le propriétaire milliardaire du célèbre réseau social, et Thierry Breton, commissaire européen chargé du Numérique.
Avec, en toile de fond, le spectre d'amendes ou d'une interdiction pure et simple du site par l'UE si des violations majeures se multiplient.
Margrethe Vestager, commissaire européenne à la Concurrence, l'assure: Bruxelles avance à "pleine vitesse".
De fait, l'objectif affiché du DMA a toujours été de raccourcir les longues enquêtes de concurrence, qui s'étalaient sur des années. Avec la DMA, elles sont limitées à 12 mois. Mais les grands groupes visés peuvent contester les décisions devant les tribunaux de l'UE, ce qui pourrait augurer de longues batailles juridiques.
Au-delà des tribunaux, la "Big Tech" a d'autres armes. En juin, Apple a annoncé qu'il retarderait le déploiement de nouvelles fonctions d'intelligence artificielle au sein de l'UE en raison d'"incertitudes réglementaires".
Pour Jan Penfrat, le groupe américain tente, par ces annonces, "de faire pression sur la Commission pour qu'elle ne soit pas trop sévère dans l'application de la réglementation".
"Au lieu d'annoncer d'éventuelles mesures punitives avec une posture très politique, les enquêtes menées dans le cadre de la DMA devraient se concentrer sur la mise en place d'un vrai dialogue entre la Commission européenne et les entreprises concernées" estime de son côté Daniel Friedlaender, directeur de CCIA Europe, le lobby de la tech.
Mais la Commission semble déterminée à aller de l'avant et à s'assurer qu'aucune composante de la sphère numérique - y compris l'intelligence artificielle - ne soit épargnée par la vigilance des régulateurs sur le Vieux Continent.