Les problèmes démographiques de la Chine sont directement liés à l’échec des politiques menées par le pays. Kenneth Emde, du Minnesota, qui a grandi pendant les Swinging Sixties, a expliqué pourquoi il n’a pas d’enfant aujourd’hui : « J’étais étudiant à l’université lorsque j’ai lu La bombe démographique de Paul Ehrlich », a-t-il déclaré dans une lettre publiée par le Wall Street Journal. « Je l’ai pris à cœur et je n’ai pas de petits-enfants, mais 50 ans plus tard, la population a atteint huit milliards d’habitants sans conséquences désastreuses. J’ai été crédule et stupide. »
Emde a peut-être été crédule, mais cela ne le rend pas stupide. D’innombrables personnes ont été emportées par le maelström de peur créé par le livre d’Ehrlich de 1968, qui prédisait une famine de masse due à une « explosion démographique » à venir.
Article original publié dans l’American Institue for Economic Research.
La bombe démographique était omniprésente sur les campus universitaires à la fin des années 1960 et au début des années 1970, et a bénéficié d’une attention considérable de la part des médias, en raison de son sujet effrayant. (Trois décennies après sa publication, on m’a confié ce livre alors que j’étais étudiant de premier cycle à l’université). Ehrlich, qui était à l’époque jeune, télégénique et confiant, était heureux de parler de son livre à la télévision et de proposer des « remèdes » sociaux.
Sa solution à la bombe démographique commençait par une propagande gouvernementale destinée à convaincre les Américains qu’aucune famille patriotique n’aurait plus de deux enfants (« de préférence un seul »).
« Vous devriez demander à la [Federal Communications Commission] de veiller à ce que les familles nombreuses soient toujours traitées de manière négative à la télévision », a déclaré Ehrlich à un interviewer en 1970.
« Il faudrait consacrer énormément de temps de télévision à des spots publicitaires, du type de ceux que nous avons eus contre le tabagisme. »
Si cela ne suffit pas à faire bouger les choses, le gouvernement devrait utiliser la structure fiscale pour dissuader les femmes d’avoir des enfants, et offrir des primes financières à celles qui renoncent à la maternité.
« Si cela ne fonctionne pas, le gouvernement devra légiférer sur la taille de la famille », a poursuivi M. Ehrlich avec calme. « Si nous ne parvenons pas à contrôler la population par des moyens volontaires, le gouvernement vous dira simplement combien d’enfants vous pouvez avoir et vous jettera en prison si vous en avez trop. »
En regardant l’interview aujourd’hui, il est facile de considérer Ehrlich comme un colporteur prétentieux et farfelu du malthusianisme, une école d’économie de la pénurie popularisée par le prophète de malheur Thomas Malthus (1766-1834), un économiste anglais qui a fait des prédictions démographiques également catastrophiques au début du XIXe siècle (et, plus récemment, par Thanos dans les films de Marvel).
Les prédictions d’Ehrlich sur la population et la famine étaient tout aussi erronées que celles de Malthus et, heureusement, ses idées n’ont jamais été mises en œuvre aux États-Unis.
Mais d’autres ont prêté attention aux avertissements d’Ehrlich, et pas seulement des étudiants comme Kenneth Emde.
Sept ans après la publication du livre d’Ehrlich, Song Jian, un scientifique militaire chinois, s’est rendu à l’université de Twente, aux Pays-Bas, dans le cadre d’une délégation universitaire.
Au cours de sa visite, Song a rencontré un mathématicien néerlandais, Geert Jan Olsder, qui avait écrit des articles sur le contrôle de la population, notamment un article de 1973 intitulé « Population planning ; a distributed time optimal control problem » (Planification de la population ; un problème de contrôle optimal en temps distribué). Tout comme Ehrlich, Olsder pensait qu’un taux de natalité « optimal » pouvait être atteint grâce à une planification centralisée.
« Étant donné un certain profil d’âge initial, la population doit être « dirigée » aussi rapidement que possible vers un autre profil d’âge final, prescrit au moyen d’un taux de natalité adéquat », a écrit Olsder.
Dans une interview accordée au Wall Street Journal, M. Olsder a rappelé qu’il avait expliqué à M. Song, pionnier du système chinois de missiles antibalistiques, que ses recherches avaient été inspirées par « les avertissements concernant les ressources mondiales limitées et la manière dont les modèles mathématiques pouvaient être appliqués aux taux de natalité ».
Le podcast Freakonomics résume le souvenir qu’a Olsder de leur première rencontre (les deux hommes se retrouveront quelques années plus tard en Finlande).
« Selon Olsder, ils sont allés boire des bières et ont parlé de planification démographique », écrit Bourree Lam. « Olsder n’en n’avait rien pensé. »
La rencontre a apparemment eu un impact beaucoup plus profond sur Song, dont l’expertise en cybernétique s’appliquait bien, selon lui, au domaine de la modélisation de la population. Après le voyage, Song a commencé à travailler avec d’autres scientifiques sur ses projections démographiques et, en 1980, il présentait des rapports aux responsables du parti communiste chinois, prédisant que la Chine compterait plus de 4 milliards d’habitants à l’aube du XXIIe siècle.
Susan Greenhalgh fait remonter la fameuse politique de l’enfant unique à Song. Dans un article paru en 2005 dans The China Quarterly, elle souligne que des scientifiques d’élite comme Song, l’ingénieur aérospatial Qian Xuesen, et le physicien nucléaire Qian Sanqiang jouissaient d’un prestige et d’une influence considérables en Chine.
Cela a donné à Song « les ressources scientifiques, politiques et culturelles et la confiance en soi nécessaires pour redéfinir le problème démographique de la nation, créer une solution scientifique radicalement nouvelle et persuader les dirigeants chinois que sa politique d’un enfant pour tous était le seul moyen de sortir la Chine de l’impasse démographique ».
Si l’on doute des affirmations de Greenhalgh, il convient de noter que Song lui-même a revendiqué le mérite d’avoir inspiré la politique de l’enfant unique en Chine.
« [Nos projections de 1980] ont choqué les milieux scientifiques et politiques », écrit-il dans un article de 1995, « [ce qui a conduit le gouvernement à] suivre une politique de système de l’enfant unique ».
Il n’est pas certain qu’il y ait une ligne droite entre Ehrlich, Olsder et Song.
Ce qui est clair, en revanche, c’est que Song a joué un rôle clé dans la réunion cruciale du gouvernement central chinois à Chengdu en mars 1980 pour discuter de la portée et des détails de ce qui était déjà devenu la nouvelle politique de la Chine : les citoyens ne devaient avoir qu’un seul enfant. (Dès octobre 1979, Deng Xiaoping, le dirigeant communiste de la Chine, avait informé les membres d’une délégation britannique à Pékin de la « politique de l’enfant unique »).
La politique de l’enfant unique s’est révélée être, non seulement une abomination morale, mais aussi un échec total, ce que même les responsables du Parti communiste chinois ont semblé reconnaître bien avant que la politique ne soit officiellement annulée en 2016.
Bien que les restrictions quasi universelles à l’égard de l’enfant unique aient été codifiées dans la Constitution chinoise en 1982, l’histoire de la politique est parsemée de retours en arrière et d’exceptions qui ont commencé dès 1984. Il s’agissait notamment d’autoriser certains parents à avoir un deuxième enfant si le premier était une fille, et d’accorder des dérogations à certaines provinces et à certains groupes ethniques.
Dans les années 2000, les responsables communistes ont semblé se rendre compte qu’ils avaient un nouveau problème sur les bras : une pénurie de naissances. Les modèles ont commencé à montrer une baisse inquiétante de la population, présageant de graves problèmes économiques à venir.
D’autres dérogations à la politique de l’enfant unique ont suivi. Puis, en 2015, le gouvernement chinois a annoncé qu’il levait son plafond pour autoriser deux enfants par famille. D’ici 2021, le nombre d’enfants sera porté à trois. Peu de temps après, il n’y avait plus aucune restriction en matière de procréation.
Aujourd’hui, le gouvernement chinois propose diverses mesures incitatives pour encourager les citoyens à procréer. Des chercheurs de l’Académie des sciences sociales de Shanghai et de l’université de Victoria ont déclaré au Journal que la Chine ne devrait plus compter que 525 millions d’habitants d’ici 2100, soit un effondrement de plus de 60 % de sa population actuelle (1,4 milliard).
« Nos prévisions pour 2022 et 2023 étaient déjà faibles, mais la situation réelle s’est révélée pire », a déclaré Xiujian Peng, chercheur à l’université de Victoria qui dirige les recherches sur la population chinoise.
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Les problèmes moraux posés par la politique de l’enfant unique en Chine sont apparus dès le début.
Bien qu’Ehrlich n’ait peut-être pas reçu le mémo, les groupes internationaux de défense des droits de l’Homme ont déclaré dans leurs chartes, depuis les années 1960, que « les parents ont le droit fondamental de déterminer librement et de manière responsable le nombre de leurs enfants et l’espacement de leur naissance ». Le régime communiste chinois ne se soucie guère de ces droits, ce qui se traduit par des pratiques d’application horribles et bien documentées : stérilisation forcée et quotas d’avortement dans les régions qui ne respectent pas la politique.
Si de nombreuses personnes à travers le monde ont été à juste titre consternées par ces pratiques, peu d’entre elles réalisent aujourd’hui à quel point ces pratiques ont été adoptées par d’importantes institutions occidentales.
Le livre d’Ehrlich a créé une panique morale. En prédisant de manière grotesque que « l’Angleterre n’existera plus » d’ici 2020, et que des dizaines de millions d’Américains mourront bientôt de faim en raison d’une croissance démographique débridée, des responsables de certaines des institutions les plus puissantes de l’Occident – la Banque mondiale, la Fondation Ford, l’Autorité suédoise pour le développement international et la Fondation Rockefeller – ont commencé à prôner la stérilisation forcée, une politique soutenue par Ehrlich.
Douglas Ensminger, représentant de la Fondation Ford en Inde, a travaillé directement avec des fonctionnaires du gouvernement indien pour créer l’infrastructure nécessaire à la stérilisation forcée de millions de personnes, dans le cadre de l’une des pires violations des droits de l’Homme de l’histoire moderne.
Selon la BBC, 6,2 millions d’hommes – pour la plupart pauvres – ont été stérilisés en une seule année, ce qui dépasse de loin les efforts de stérilisation menés par les nazis pendant la Seconde Guerre mondiale.
Pour diverses raisons, dont le fait que ces deux pays étaient beaucoup plus pauvres et plus peuplés, les politiques de contrôle de la population ont été mises en œuvre en Chine et en Inde à une échelle qui n’existait pas aux États-Unis.
Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas eu d’efforts de contrôle de la population en Amérique ; il y en a eu. Mais ces efforts se sont heurtés à une plus grande résistance aux États-Unis (voir Buck v. Bell), en grande partie parce que le système américain est conçu pour freiner l’érosion des droits que de tels efforts requièrent inévitablement.
Le beau parleur Ehrlich aurait pu convaincre des hommes comme Emde et Ensminger que le contrôle de la population était un impératif moral, tout comme le brillant scientifique militaire Song a pu convaincre les responsables communistes que la procréation incontrôlée constituait une grave menace. Mais les politiques de contrôle de la population à grande échelle se sont révélées plus difficiles à soutenir aux États-Unis et restent aujourd’hui un obstacle au niveau fédéral en raison de l’importance accordée par le système américain à un gouvernement limité, aux droits individuels et à la séparation des pouvoirs.
Là où ces protections étaient plus faibles (dans les communautés minoritaires, les prisons et les asiles psychiatriques), les « experts » du contrôle de la population ont connu un certain succès dans les États en poussant les efforts de stérilisation avec des résultats dévastateurs.
Pas plus tard qu’au début des années 2000, la Californie a mis en place un programme de stérilisation pour les détenus des prisons de l’État. La conception américaine des droits individuels peut être fragile, en particulier face à la panique morale créée par les prophètes de malheur qui prêchent la dernière apocalypse.
Malgré les craintes croissantes de l’Occident face à la « montée du dragon rouge », l’effondrement démographique à venir de la Chine soulève de sérieux doutes quant à son avenir économique. Les politiques du gouvernement chinois visant à encourager la procréation pourraient réussir à inverser le déclin, mais ce résultat est peu probable.
« L’histoire suggère qu’une fois qu’un pays a franchi le seuil d’une croissance démographique négative, son gouvernement ne peut plus faire grand-chose pour l’inverser », a observé le New York Times dans un rapport sur la situation démographique de la Chine.
Le fait que la chute de la Chine découle de ses propres politiques collectivistes n’est pas une mince ironie, mais il ne faut pas s’en étonner. Elle découle du même raisonnement erroné qui a conduit à la chute du dernier empire communiste : l’Union soviétique.
Les deux systèmes ont souffert de la conception fatale selon laquelle les planificateurs centraux peuvent concevoir efficacement la société si on leur donne les outils coercitifs adéquats pour le faire. Les planificateurs centraux ne sont pas omniscients, comme en témoignent les politiques de la Chine elle-même.
« Au cours des 80 dernières années, la Chine est passée d’un sentiment pro-natal à un sentiment anti-natal, à une politique anti-natale, puis à un sentiment pro-natal, et probablement bientôt à une politique pro-natale », a écrit l’économiste Peter Jacobsen.
La seule chose constante dans l’approche schizophrénique de la Chine en matière de contrôle de la population au cours du siècle dernier est la suivante : ce sont les planificateurs centraux, et non les familles individuelles, qui décident du nombre d’enfants que les gens doivent avoir.
Appelez cela comme vous voulez, mais ce n’est pas de la science.
« Planifier les actions des autres, c’est les empêcher de planifier pour eux-mêmes, c’est les priver de leur qualité essentiellement humaine, c’est les réduire en esclavage », a fait remarquer l’économiste Ludwig von Mises.
La Chine paie le prix de ses politiques barbares et byzantines.
