Une carte de 1912, une autre de 2023… « Ce qui marque le plus c’est l’évolution du chemin de fer en Creuse sur une centaine d’années », commente Pierre-Alain Menant en feuilletant le livre qu’il vient de publier aux Ardents éditeurs (*). Son sujet : la construction puis la déconstruction de ce mode de transport à travers le territoire creusois, comme le reflet des réalités socio-économiques du territoire.
Lorsque le train apparaît dans la région avec l’ouverture de la section d’Argenton à Limoges en 1856, il est d’emblée un vecteur de progrès qui doit permettre de rattacher ce Limousin enclavé à la modernité en facilitant la circulation des touristes bourgeois aussi bien que des maçons creusois, l’arrivée d’engrais et l’export de produits agricoles.
À cette époque, dans la deuxième moitié du XIXe siècle, la Creuse, comme l’ensemble de l’Hexagone, se couvre de voies ferrées. Toutes les communes voudraient tirer à elle tel ou tel tracé qui est dans les cartons des aménageurs du territoire. Pierre-Alain Menant s’appuie notamment sur les comptes rendus de Conseils généraux, qui compilent eux-mêmes les débats tenus dans des conseils d’arrondissement et les motions des conseils municipaux. Il explore aussi la presse de l’époque, telle l’Abeille de la Creuse, pour faire ressortir l’esprit de l’époque qui présida à un tel maillage, si dense que l’on peine à se le représenter aujourd’hui.
De sa minutieuse étude, l’auteur tire de nombreuses leçons que les Creusois découvriront ou redécouvriront. Par exemple : l’ouverture de la voie de Saint-Sulpice-Laurière (Haute-Vienne) à Montluçon (Allier) qui traverse la Creuse de part en part via le fameux viaduc de Busseau (achevé en 1865), était d’abord motivée par l’acheminement de la houille du Bourbonnais vers l’industrie porcelainière limougeaude.
Et si un Bordeaux - Odessa était passé par la CreuseDans cette somme, Pierre-Alain Menant exhume aussi les projets avortés, et oubliés, qui en disent long sur la frénésie que ce mode de transport pouvait alors soulever : les nombreux projets de voies métriques, d’intérêt local, dont aucun ne vit le jour ; pas plus que d’audacieuses liaisons transversales dans le Sud creusois, de la Jonchère à Auzances via Pontarion ou Bussière-Nouvelle. Dans ce même registre, on apprend que la Creuse eut été sur la trajectoire d’un mythique Bordeaux-Odessa si la Première Guerre mondiale n’avait pas stoppé net le projet.
La dernière partie de cet ouvrage chronologique fait nécessairement ressortir le long déclin du train et le repli du maillage ferroviaire à travers la Creuse. Pour ne pas dire l’abandon. « Malheureusement sans doute inachevé de nos jours », regrette-t-il. Pierre-Alain Menant laisse transparaître entre les lignes un point de vue militant qui n’enlève rien à la rigueur scientifique de son travail.
Oui, il regrette que le train ait peu à peu été supplanté par la voiture – il n’y en avait qu’une dizaine dans toute la Creuse en 1900 ! Et il regrette encore qu’il ne soit pas mieux considéré aujourd’hui, malgré tous les discours politiques sur la prise de conscience environnementale. Celui qui est restructurateur de réseaux de bus au sein d’une filiale de la RATP (son travail d’historien a été effectué durant les confinements Covid) a mis tous ses actes en conformité avec ses principes : il ne se déplace qu’en train et à vélo. C’est par le rail qu’il a fait l’aller-retour de Périgueux à Guéret pour parler de son travail. Et c’est encore ainsi qu’il revient à Felletin pour la Journée du livre…
Histoire du Chemin de Fer en CreusePar Pierre-Alain Menant, les Ardents éditeurs, juin 2024, 158 pages, 30 euros.
Floris Bressy
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