Ce 20 juin, elle est encore ministre du Travail. De plein exercice, s’il vous plaît. En pleine campagne des législatives, Catherine Vautrin n’est pas encore affublée du qualificatif disgracieux de "démissionnaire", qui enveloppe désormais chacune de ses prises de parole. Mais ce jour-là, la défaite du camp présidentiel se profile déjà, nul ne croit à sa victoire. "Je sens bien qu’on me regarde différemment", sourit-elle. Ici, nulle acrimonie. Juste un regard lucide et amusé sur son statut fragile, qui s’est depuis dégradé avec la démission du gouvernement Attal. Rien n’a changé. Plus rien ne sera jamais comme avant.
Le visage du pouvoir est le même. Gabriel Attal félicite les athlètes français aux Jeux olympiques, Amélie Oudéa-Castéra se réjouit partout du succès populaire de la compétition. Mais ces ministres "démissionnaires" évoluent dans un temps suspendu. Tous rattachés à leur vie d’avant, mais aussi désireux d’embrasser celle d’après. Parlez-en à Marie Guévenoux (Outre-mer) et Fadila Khattabi (Personnes handicapées), battues aux législatives mais contraintes de rester à leurs postes. "C’est dur pour elles", note une collègue, réélue en juillet. Quand certains ministres ont déjà un pied à l’Assemblée et s’investissent dans leurs groupes respectifs, d’autres restent à quai après le verdict des urnes. "Soit t’es dedans, soit t’es dehors", a confié un ministre vaincu à un conseiller. Démissionnaires, aux salaires distincts. Les ministres-députés ont une rémunération de parlementaires, les autres continuent de percevoir leur salaire - supérieur - de membres du gouvernement.
Mais pas de jaloux ! Tous sont chargés d’expédier les "affaires courantes", terme à la froideur administrative absolue. Si loin de la politique. Deux notes du Secrétariat général du gouvernement, en date des 2 et 19 juillet, les aident à saisir cette coutume républicaine les réduisant au rôle de hauts fonctionnaires. Adieu les Conseils des ministres et l’entrée à l’Elysée devant les caméras. Bonjour les "décisions strictement nécessaires à la continuité de l’Etat ou au fonctionnement des services publics" apolitiques, puisque "n’importe quel gouvernement les aurait prises". En somme, les "affaires urgentes" ou celles dictées par "marche normale de l’Etat".
L’évidence, au mépris des choix politiques. Ainsi, le ministre du Logement Guillaume Kasbarian, à la fibre libérale assumée, range ses convictions au placard. Au programme : gestion de crise - comme des incendies d’immeubles - ou prise de décrets pour garantir la sécurité juridique des propriétaires et locataires. "L’émulation est relativement faible, mais il faut faire tourner la machine, confie-t-il. Quand on est ministre, il faut faire le boulot jusqu’à la dernière minute."
Tout le monde n’est pas logé à la même enseigne. Il y a ceux sous les radars. Prenez Marie Lebec, ministre chargée des Relations avec le Parlement. Elle-même sourit de son désœuvrement, en pleine pause estivale. La dissolution a mis fin à tous les travaux en cours durant la XVIe législature. Comme cette réforme de formation des enseignants, entreprise par la ministre de l’Enseignement supérieur Sylvie Retailleau. Cette figure de la société civile a annulé nombre de déplacements, même si elle s’est rendue, comme plusieurs de ses collègues, au Club France pour célébrer les médaillés français aux JO.
Les Jeux donnent du relief à la fin de parcours d’Amélie Oudéa-Castéra. La ministre des Sports enchaîne les déplacements, passant d’une épreuve à une autre pour encourager les athlètes tricolores. S’assure du bon déroulement des Jeux, elle qui fut nommée en 2022 pour préparer l’événement. "Rien n’a changé, confie-t-elle à L’Express. Mon action et mon quotidien sont les mêmes. Avec un rôle de numéro 10 au sein de la machine gouvernementale s’agissant des Jeux." L’ex-ministre de l’Education jure ne pas souffrir de ce titre de "démissionnaire", signature d’une obsolescence programmée. "Il est rassurant pour les acteurs des Jeux de voir une ministre qui connaît les dossiers et a la confiance des interlocuteurs." Sa médiatisation la place en marge de ses collègues, tous priés par le Secrétariat général du gouvernement de réduire leur communication au strict nécessaire. Sera-t-elle en poste lors des Jeux paralympiques, prévus entre les 28 août et 8 septembre ? Seul le chef de l’Etat, maître des horloges le sait.
D’autres ministres jouissent encore d’une exposition médiatique. En raison de leurs fonctions, parfois. Gérald Darmanin est en première ligne dans l’organisation des JO, défi sécuritaire majeur. Bruno Le Maire prépare les grandes lignes du budget 2025, attendu le 1er octobre. Il a échangé mardi avec Eric Coquerel et Charles de Courson, président de la commission des finances et rapporteur général du budget. "Son texte peut évidemment être amendé, donc il n’y a pas de coup de force de ministre. Il présente la meilleure copie qu’il pense", précise son entourage. Libre à son successeur de se saisir de ces préconisations. Bercy est une pieuvre, ses tentacules embrassent de nombreux sujets. Ainsi, Bruno Le Maire se penche sur l’indemnisation des commerçants affectés par les JO ou la Nouvelle-Calédonie, où l’Etat prolonge et renforce des aides aux entreprises. La ministre en charge des Outre-mer Marie Guévenoux est sur l’archipel jusqu’à samedi, notamment pour assurer du soutien du gouvernement aux forces de l’ordre déployées sur place. "Elle a toujours conçu son engagement politique de manière collective. Elle est concentrée sur sa mission, sans faire grand cas de son cas personnel", insiste l’entourage de la ministre, défaite aux législatives. Les urgences ne cessent pas. Episodes caniculaires rythment la période estivale, mettant en première ligne le ministre de la Santé Frédéric Valletoux et son homologue à l’Agriculture Marc Fesneau.
Ministres et conseillers avancent dans ce rôle à contre-emploi, à durée indéterminée. Nul ne sait quand prendra fin cette période ambivalente, où la politique s’efface derrière la gestion. Où le sens de l’Etat l’emporte sur la créativité. Comme cette ministre déchue, qui prend le soin de préparer des fiches pour son successeur. "On s’assure que tout soit bien d’équerre pour la rentrée, même si nous ne serons sans doute plus là… Les services, eux, le seront toujours", note l’entourage d’un ministre. Cet esprit de responsabilité. Chacun pense à l’après. "Certains voient des chefs d’entreprise et chasseurs de têtes", glisse une conseillère ministérielle. D’autres se projettent sur cette nouvelle assemblée, chaudron insaisissable. Gabriel Attal a pris la tête du groupe Ensemble pour la République. Un autre a en revanche renoncé à candidater à la tête d’une commission, au vu de l’absence de majorité au Palais Bourbon. Dans quelques semaines, tous auront un remplaçant de "plein exercice" cette fois. Mais rien ne dit que ces ministres auront plus de marges de manœuvre que les "démissionnaires".