Les données font autant froid dans le dos que la climatisation qu’il installe chez ses adversaires sur ces Jeux olympiques (lire notre infographie ci-contre). Parmi ses innombrables qualités, le Toulousain de 22 ans impressionne par son insolente domination sur les coulées.
Une partie de nage qui ne saute pas en premier aux yeux du grand public, mais qui est pourtant vitale dans la construction d’un succès. « En fait, on va plus vite sous l’eau que sur l’eau, pour des questions de résistance », lance Camille Lacourt.
« Il y a deux choses. La première, c’est qu’on a 15 mètres autorisés en coulée sur les 50 d’un bassin olympique, soit quasiment un tiers de la course. C’est mine de rien important. Puis ça reste encore aujourd’hui là où l’on voit le plus de différences entre le haut et le très haut niveau. Entre un finaliste et un médaillé, quand on regarde les stats, il n’y a pas tant d’écart sur la nage pure, mais davantage dans les coulées, la différence se fait souvent là », détaille Robin Pla, conseiller technique national (CTN) à la Fédération française de natation.
« Il éloigne les limites du champ des possibles »Un détail des plus importants, qui a mis du temps à entrer dans les mœurs des nageurs. En la matière, le protégé de Bob Bowman innove, comme l’explique Camille Lacourt, ex-dossiste quintuple champion du monde et d’Europe. « Léon, ça fait des années qu’il s’entraîne à faire des coulées de 15 m. Les gens ne peuvent pas se rendre compte à quel point c’est énergivore et épuisant de faire ça à l’entraînement tout le temps. Moi, quand j’ai mis ça en place à l’entraînement, j’avais 25 ou 26 ans?! Il fallait donc une certaine maturité pour s’exiger un tel travail. En plus de ça, il a l’intelligence et le réalisme de se dire : “OK, ce n’est pas parce que ça n’a jamais été fait que je ne le ferai pas.” Car sur 400 m 4 nages, personne ne faisait des coulées jusqu’à 15 m, on pensait que c’était trop dur. Lui, il s’est dit : “Si Phelps peut faire des coulées de 10-12 m, moi je peux aller jusqu’à 15.” C’est quelqu’un qui a décidé d’éloigner les limites du champ des possibles. Rien que là-dessus, il gagne une seconde sur ses adversaires, c’est assez incroyable. »
Le CTN tricolore ne dira pas le contraire : « À l’école de natation, c’est très rare que l’on fasse du travail sous l’eau, alors qu’on devrait. Pour Léon, le fait de s’entraîner avec Bob Bowman qui est un super coach sur ça, plus très souvent en bassin de yards (mètres) aux États-Unis, qui permet de mieux séquencer les coulées, ça l’aide beaucoup. »
« Travail + talent + intelligence »Un goût très prononcé pour le travail de l’ombre certes, mais pas que. « Il ne suffit pas de s’entraîner pour être super fort en coulées, sinon ils feraient tous ça… Il a quand même des qualités qui permettent d’être performant. Techniquement, il arrive bien à diminuer la résistance et maximiser la profondeur. Il n’est pas super musculeux, son corps est aérodynamique et il maximise sa propulsion, car il arrive bien à faire fouetter ses jambes vers l’arrière et non vers le bas. Après, ce qui est pour moi le plus caractéristique de Léon, ce n’est pas tellement ça, ils sont beaucoup à arriver à faire une bonne coulée… Ce n’est pas le meilleur du monde sur une seule. Par contre, c’est clairement le meilleur dans les enchaînements. Il arrive à en faire huit à très haut niveau sur un 400 m 4 nages qui dure quatre minutes, c’est du jamais vu. Et là, c’est plus une raison physiologique que technique au final. Sa capacité à répéter les efforts est folle, c’est ce qui m’impressionne le plus », concède Robin Pla.
« Ça demande des qualités car on ne fera jamais d’un âne, un cheval de course. Mais il les a au départ. C’est surtout une souplesse de cheville, de genou, de hanche. Après, c’est le travail, il n’y a pas de secret, la répétition des coulées est la seule recette », insiste Camille Lacourt.
Avant de conclure via une formule mathématique implacable : « L’addition talent + travail + intelligence = les dégâts que l’on voit dans la piscine actuellement. »
Un poisson dans l’eau mais aussi un sous-marin volant, sacré Léon Marchand.
À Paris, Florent Leybros