«J’ai demandé à quinze responsables religieux s’il fallait couper la main des voleurs. Quatorze m’ont répondu par l’affirmative. Certains ne sont pas enthousiastes, voire mal à l’aise, mais, au final, ils préconisent d’appliquer la règle divine ». Un exemple parmi d’autres pour Etienne Delarcher. Ce journaliste ne s’attendait pas à trouver des interprétations du Coran si peu tempérées dans les mosquées de France.
Il en a fréquenté 70 sur trois ans, à raison d’une ou de plusieurs visites. «Délibérément, je n’ai pas ciblé des mosquées repérées comme des foyers de radicalisation », précise cet auteur d’une enquête publiée sous pseudonyme et menée en mode « infiltration ». En se faisant passer pour un converti qui se pose des questions.
Etienne Delarcher avait fait il y a quelques années des repérages en caméra cachée. Il réfute tout biais idéologique et a fortiori islamophobe. Il suffit de le lire pour percevoir une démarche professionnellement solide. Frontale, sans prise de hauteur, mais c’est probablement ce qui fait aussi sa force.
Patriarcat totalement décomplexéCe qui a poussé ce journaliste de télévision à se consacrer durant de longs mois à un sujet aussi sensible, c’est « le traitement très superficiel de l’islam dans les médias, notamment audiovisuels. C’est traité par des éditorialistes et non par des journalistes de terrain. On a par exemple passé des semaines sur le burkini, alors que c’est un phénomène anecdotique, dérisoire ».
Cette enquête se veut une immersion dans un islam « ordinaire ». La méthode d’Etienne Delarcher consiste à questionner les imams sur des points de frictions avec la société française et donc sur la compatibilité des lois coraniques avec celles de la République.
Dès les premières pages, les réponses données sur la place des femmes sont édifiantes. Dans le cadre d’un échange direct avec ce nouveau « fidèle », les différents imams rencontrés se livrent à un festival du patriarcat décomplexé. Nulle part la mise sous tutelle des femmes n’est remise en cause. Et les « conseils conjugaux » délivrés par les imams font froid dans le dos. En cas d’insoumission persistante de l’épouse, si les « conseils » du mari pour la remettre dans le droit chemin ne suffisent pas : « alors tu dois la taper […] mais pas au visage, car tu risquerais de lui casser le nez ou de lui crever un œil et tu serais obligé de payer », développe un imam.
Le journaliste a les preuves. Il a conservé des dizaines d’heures d’enregistrement contenant des propos de religieux poussant à commettre des délits ou des crimes. Au nom du respect de la parole du prophète.
Etienne Delarcher a été frappé par le contraste entre l’accueil souvent affable et souriant de ses interlocuteurs et la teneur de leurs propos. « Ce n’est jamais un discours de haine, hormis peut-être à l’encontre de l’homosexualité. C’est une radicalité proférée gentiment ». Les propos rapportés proviennent de conversations « privées » et non des prêches du vendredi. « Le discours public est beaucoup plus contrôlé, car pèse toujours la menace d’une expulsion », analyse le journaliste, qui estime que s’il se présente dans une mosquée professionnellement « à découvert », on peut lui servir « un discours très républicain ».
Au cours de son enquête, il a tout de même échangé avec des religieux se démarquant d’une interprétation littérale du Coran, mais « chacun propose ses propres arrangements avec ces textes écrits il y a plus de mille ans, c’est un peu du bricolage ». Bilan de ce sondage en profondeur : l’esprit des Lumières reste globalement à la porte des mosquées de France.
« On parle beaucoup du salafisme, des islamistes, mais le cœur du problème c’est que l’islam est une religion non réformée. Il n’y a pas eu de mise à jour […] les Frères musulmans, qui sont dans le collimateur, n’ont en fait pas un discours plus radical que celui qui a cours dans des mosquées soi-disant modérées ».
Un idéal théocratique très partagéAu-delà de l’idéalisation de « l’âge d’or indépassable », des premiers temps de l’islam, « pas un seul de mes interlocuteurs n’a défendu la laïcité […] ils espèrent l’avènement d’un système théocratique ». Quand l’un des imams interrogés fustige l’État islamique devant le « converti », il lui conseille dans la foulée un « livre du Moyen-Âge qui glorifie le djihad et la mort en martyr ».
La parution d’extraits de l’enquête dans Marianne a fait réagir la mosquée de Villeurbanne. « Le Conseil des mosquées du Rhône (CMR) conteste solennellement que les imams habilités de la mosquée aient pu tenir les propos qui sont prêtés à l’un d’eux », rapporte le site Saphir news, qui suit l’actualité de la communauté musulmane. Le philosophe Faker Korchane, lui, ne doute pas de la véracité des propos rapportés dans le livre.
Cet enseignant est le porte-voix en France du mutazilisme, un courant réformiste de l’islam. « Le discours officiel des religieux n’a pas évolué depuis des siècles parce qu’il ne peut plus évoluer. Depuis des siècles, c’est l’école du hadith, l’école du naql ou de l’imitation qui s’est imposée en milieux sunnites. Or l’écrasante majorité de nos mosquées en France sont sunnites », commente Faker Korchane.
L’enquête très « frontale » d’Etienne Larcher, construite autour des « questions qui fâchent », ne sonde pas les fidèles. Faker Korchane souligne que la pratique « des musulmans lambda » est très détachée de ces préceptes obscurantistes. Ce qui pourrait faire l’objet d’une autre enquête.
Au cœur de l’islam de France, Trois ans d'infiltration dans 70 mosquées par Etienne Delarcher, aux éditions du Rocher. 19,90 euros
Julien Rapegno