Le silence. Le canoë se laisse porter par le courant. Le fleuve sauvage porte bien son nom. La faune et la flore transpirent la liberté. Seul bruit qui vient perturber cette quiétude, les coups de pagaies de Joël Bettin.
Ce Nivernais, champion de canoë-kayak, est un amoureux de la Loire et du petit village de Pouilly. Il gère une petite entreprise de location de canoë-kayak. Le rendez-vous est pris à Charenton à deux kilomètres en amont du pont du village viticole. Dès la mise à l’eau, la vue sur la colline de Sancerre est à couper le souffle.Le canoë est un moyen doux pour se rendre à Pouilly-sur-Loire. Photo Pierre Destrade
Joël dont "le pouilly fumé est le vin préféré" ne tarit pas d’éloges sur ces terres où la vigne est reine.
"Le fleuve apporte une particularité au vin et la viticulture fait vivre le village et ceux des alentours."
Joël Bettin
Le champion, connaisseur de son terroir, tient à rappeler toutes les petites villes bénéficiant de l’appellation : "Pouilly-sur-Loire, Tracy-sur-Loire, Les Loges, Bouchat, Boisgibault et Saint-Andelain." Cette dernière est la seule à ne pas se trouver à proximité de la Loire mais plus en hauteur, de l’autre côté de l’autoroute A77. Cela représente 1.422 hectares et 131 vignerons. 98 % de la production est du sauvignon blanc (l’AOC pouilly fumé). Les 2 % restant, du chasselas pour l’AOC pouilly-sur-loire. Une production confidentielle à l’origine de l’histoire viticole du village.
Un village idéalement placé le long de l’axe ligérien si on est un gourmet. "Dans un rayon de 50 km, il y a cinq AOC : un fromage, le crottin de Chavignol et quatre vins, le sancerre, le menetou salon, le pouilly fumé et les coteaux du Giennois répartis sur deux régions -la Bourgogne-Franche-Comté et le Centre-Val de Loire- et trois départements -la Nièvre, le Cher et le Loiret-."
Se laisser bercer par le fleuve sauvagePendant que le champion de 58 ans raconte, le canoë longe les rives de Pouilly-sur-Loire. "Là, sur votre droite, vous pouvez apercevoir une parcelle de vignes" mais l’essentiel se trouve sur les coteaux.
Notre rameur se décale plus au centre du lit pour nous offrir une vue plus dégagée sur la cité viticole de 1.700 habitants. Au niveau du pont de Pouilly-sur-Loire, des vignes au milieu des maisons du XVIIIe siècle pointent le bout de leur pied.
Aucun bruit, aucune trace de l'homme. La réserve naturelle du Val de Loire est un havre de paix. Photo Pierre Destrade
"À votre gauche, sur l’îlot des sternes naines. On les reconnaît à leur bec jaune contrairement aux sternes pierregarin dont le bec est rouge." Joël ne se lasse pas de faire découvrir ce milieu naturel. "Je connais la Loire par cœur. D’années en année, le courant change les bancs de sable. Une année, on passe à un endroit et l’année suivante à un autre. C’est un fleuve capricieux. Depuis début 2024, il est très haut. Avec les pluies, le niveau s’est maintenu."
Quant aux viticulteurs, "ils ont été épargnés par la grêle et il y a eu peu de gel." Ce climat "chaud mais pas trop en été car la Loire ventile et froid l’hiver est une des spécificités des pouilly", explique Manon Vidal, responsable communication à la Tour du Pouilly Fumé, notre destination.
"Les raisins mûrissent dans de bonnes conditions. Le vin n’est pas trop sucré".
Notre descente de deux kilomètres se poursuit. Le clocher de l’église de Pouilly-sur-Loire se dévoile. Les murs en pierre de la cité font rempart. "Nous allons accoster." Où?? Rien n’indique le lieu. Nous sommes dans la réserve naturelle Val de Loire. L’humain n’a pas le droit de laisser de trace. Nous sommes 200 m après le pont. "La rue de la Loire est juste là, à droite". Il faut connaître.Le clocher en ardoise de l'église de Pouilly-sur-Loire indique la fin de notre voyage au fil du fleuve sauvage. Photo Pierre Destrade
Trois quarts d’heure de navigation se sont écoulés. Nous avons l’impression que le temps s’est arrêté. Nous ne l’avons pas vu passer. La découverte de Pouilly-sur-Loire continue mais à pied. Nous remontons la ruelle ceinturée de murs en pierre. "Certainement pour protéger le bourg des crues décennales de la Loire", lance Joël Bettin avant de nous quitter.
De la Loire à la découverte à pied du village viticoleLes frontons des maisons affichent le nom des domaines. Impossible de ne pas se rendre compte de l’importance de la viticulture en son sein. Nous croisons quelques cyclistes. Une autre manière de découvrir le village et les paysages vallonnés des alentours. Pouilly-sur-Loire est seulement à 1,5 km de l’itinéraire de la Loire à Vélo.
Nous arrivons au centre œnologique de la Tour du Pouilly Fumé situé à dix minutes. Cet ancien domaine, propriété de la Ville a été conçu en collaboration avec les viticulteurs. Première étape : l’espace scénographique qui relate l’histoire viticole de Pouilly. Quinze minutes plus tard, direction la salle sur le travail de la vigne et des vignerons. Puis, dans un décor de fausses cuves en inox, vous saurez tout sur la vinification, essentiel pour obtenir les deux AOC tout comme les huit arômes spécifiques au pouilly-sur-loire et au pouilly fumé présentés dans la cave aux arômes. Et pour finir, la dégustation.
Vous y apprendrez que ces deux appellations d'origine contrôlée se boivent jeune, "d’une année sur l’autre. Le potentiel de garde est entre cinq et sept ans", relate Manon Vidal. "Le vin blanc se garde moins bien que le rouge."
Elle définit ainsi le pouilly fumé : "vin sec, complexe avec beaucoup d’arômes. Vous pouvez retrouver un ou deux arômes dans le même vin." Quant au pouilly-sur-loire : "il est plus frais. C’est un vin d’apéritif, plus facile à boire." Sa production est tellement confidentielle -30 hectares- que "vous pouvez vous le procurer exclusivement à Pouilly-sur-Loire." Cela s’explique par le fait que "le cépage chasselas qui le compose résiste moins bien au froid." Pourtant, dès le Ve siècle à Pouilly, les Gallo-romains faisaient pousser ce raisin que "l’on mangeait à table. Plus tard, les vignerons ont décidé d’en faire du vin. Puis, ils ont planté du sauvignon, cépage du pouilly fumé, car il était plus résistant."
La jeune femme nous explique également le rôle des rosiers en tête de parcelle. "Ils sont annonciateurs des maladies. Ils permettent de connaître l’état de santé de la vigne. Même si les techniques ont évolué, ils sont toujours présents." Pour vous en rendre compte, il suffit de sortir du village. À sa lisière, les coteaux s’étalent à perte de vue sur 1.422 hectares.
Une expérience épicurienneLa Tour du Pouilly fumé propose des animations permanentes et temporaires autour du vin. Photo Pierre DestradeLa Tour du Pouilly Fumé propose, vendredi 9 août, une expérience épicurienne. "Un accord mets et vins comme du chocolat, de l’anguille ou des sushis avec du pouilly fumé." Un autre évènement à partager en famille est programmé mardi 30 juillet et mardi 13 août : "Dans la peau d’un vigneron". De manière ludique, vous vivrez de l’intérieur ce métier qui a fait la renommée de Pouilly-sur-Loire.
Une histoire de vignobles qui remonte au Ve siècle
Un terroir, un fleuve, un climat. Les conditions sont réunies pour créer une très longue histoire viticole. Depuis le Ve siècle, Pouilly-sur-Loire est une cité où le vin est roi.Dès l'ouverture de la porte de l'espace scénographique de la Tour du Pouilly Fumé, une remontée dans le temps s'opère. Photo Pierre Destrade
En entrant dans l’espace scénographique de la Tour du Pouilly Fumé, rien ne nous prépare à une remontée temporelle. Une grande table et deux bancs en bois. Des bouteilles et objets au mur. Trois écrans. La lumière s’éteint et une voix nous parle.
Vincent, vigneron de père en fils depuis des générations, nous raconte son histoire et celle de Pouilly-sur-Loire. Une histoire ancestrale.
C’est un très vieux vignoble de 1.500 ans.
Les premières vignes remontent au Ve siècle.
En 1095, les Bénédictins de la Charité-sur-Loire les acquièrent et en font leur notoriété. Le blanc fumé apparaît au XVIIe siècle. Cette nomination viendrait du chasselas. "La pellicule grise recouvrant le grain du raisin dégage une fumée lorsqu’il est versé de la hotte à la remorque", découvrons-nous.
La prospérité des domaines prend son essor lors de la Révolution industrielle. En 1861, la première locomotive à vapeur fait son entrée dans le bourg ligérien. Pendant 40 ans, les bouteilles de pouilly se retrouvent sur les étals des marchés parisiens.
Le vignoble disparaît et renaîtUn succès qui s’arrête brutalement en 1887 avec l’arrivée du phylloxéra. Les vignerons tentent tout pour sauver leurs vignes mais en 10 ans, le vignoble a disparu. Le remède viendra d’Amérique. Le porte-greffe américain permet sa renaissance. Il obtiendra deux AOC en 1937 : pouilly fumé (sauvignon) et pouilly-sur-loire (chasselas).L'arrivée des cuves thermorégulées en inox va révolutionner le monde des vignerons. Photo Pierre Destrade Au XXe siècle, les techniques se modernisent. Une deuxième révolution voit le jour avec l’arrivée des cuves en inox thermorégulées. "L’innovation au service de la qualité". Pour autant, "les gestes qui se font depuis toujours restent." Pouilly est un petit vignoble, "petit mais mondialement connu." Le pouilly fumé a toujours une place au centre des plus grandes tables françaises et étrangères.
Deux AOC constituées de huit arômes
Deux cépages, chasselas et sauvignon, le terroir et huit arômes : la recette qui rend les deux AOC pouilly-sur-loire et pouilly fumé exceptionnels.
Humecter. Ressentir. Découvrir. Dans une ambiance feutrée, la Tour du Pouilly Fumé offre une expérience olfactive. Au centre d’une cave voûtée en pierre, huit bulles en verre. L’intérieur renferme les huit arômes qui constituent la spécificité du pouilly-sur-loire et du pouilly fumé.
Ce lieu "était le domaine d’une famille de vigneron de Pouilly. Maintenant, c’est la propriété de la Ville", raconte Manon Vidal, responsable communication de la Tour du Pouilly Fumé.
Un voyage olfactif est proposé dans la cave des arômes. Photo Pierre Destrade
Cassis, fleurs blanches, agrumes, miel, fruits secs ou confits, fruits à chair blanche et fruits tropicaux. "Le jeu est de tous les sentir et de retrouver le huitième de la boule noire vierge de toutes indications", explique la jeune femme. Les compositions de fleurs, fruits, agrumes sont renouvelées chaque jour pour que l’expérience soit optimale.
Le moment est venu de fermer les yeux, de plonger son nez dans les becs et de se laisser aller. Certains arômes sont plus reconnaissables que d’autres comme le miel, les agrumes. Les fleurs blanches sont plus subtiles. Quant à l’arôme caché, c’est un vrai défi.Pour mettre à profit toutes les informations sur les deux AOC, le moment dégustation. Photo Pierre Destrade
Il faut bien les garder en mémoire. L’aventure se poursuit lors de la dégustation.
Nous dégustons au Caveau des moulins à vent à Pouilly-sur-Loire, La Mariée 2022, un 100 % blanc fumée (sauvignon). Ce vin à 12,65 € la bouteille a été multi médaillé.La Mariée 2022 est 100 % blanc fumé. Photo Pierre Destrade. VIN / VIGNOBLE / POUILLY
"Son nom vient d'un chemin entre Les loges et Pouilly-sur-Loire qui existe toujours, explique Frédéric Chais du Caveau des moulins à vent à Pouilly-sur-Loire. A l'époque, les jeunes gens allaient s'y promener pour se rencontrer alors que cela était interdit. C'étaient le lieu des rendez-vous coquins avant l'internet." Des rendez-vous qui pouvaient se conclure par des mariages.
À chaque gorgée, plusieurs arômes sont présents : une dominante fruits secs puis des groseilles allant jusqu’au maquereau. Il faut avoir le palais aiguisé, les narines dégagées pour les retrouver. Sans compter l’influence du terroir. La Mariée est un assemblage d’argile à silex et de marnes kimmérigiennes coquillées. Point d’inquiétudes à avoir devant ce difficile exercice, le plaisir de boire ces vins n’est pas altéré.
Emmanuelle Delaigues