Une croix gammée, des tablettes de chocolat et les restes d’un bombardier écrasé contre les flancs du puy Violent. Depuis 80 ans, le mystère du crash du Junkers Ju 88 plane sur Saint-Paul-de-Salers.
Cet appareil de la Luftwaffe, l’armée de l’air allemande, avait été retrouvé au petit matin du 27 juillet 1944 dans les monts du Cantal. « D’où venait l’avion ? Où allait-il ? Pourquoi est-il tombé ? Qu’est devenu son équipage ? » Sans réponse, ces questions ont été posées dans un article de La Montagne daté du 22 mai 2016. Grâce à l’association Aérocherche et à l’obstination d’un passionné, une partie de l’énigme vient probablement d’être résolue. Même si de nombreuses zones d’ombre demeurent…
Quelques témoignages, des bouts de l’avion collectionnés ici ou là ainsi qu’un livre, qui fait toujours référence : Histoire de l’aviation dans le Cantal, du journaliste Jean-Baptiste Ledys. Voici ce que l’on connaissait déjà de cette petite histoire, perdue dans la grande.
De nouveaux éléments
Mais maintenant, on en sait bien davantage. Originaire du Rouget, mordu d’aéronautique, Jérôme Giolat vient de découvrir des informations déterminantes sur ce Junkers Ju 88 : sa dernière position connue de la Luftwaffe (« 40 km au sud de Limoges ») ; son modèle exact (une évolution A-17) ; son escadrille (la huitième de la KG-26) ; le motif de son accident (« dû à un manque de carburant ») ; et surtout, le nom et le grade d’un membre de l’équipage. Mécanicien-navigant, le sergent Albert Dörrstein (né le 17 février 1914) a été fait « prisonnier », indique la base de données dans laquelle le Cantalien a puisé ces précieux renseignements. Une véritable mine d’or qui a pu être exploitée via l’intermédiaire de l’association toulousaine Aérocherche.
Retour sur ces jours terribles de mai et juin 1944 dans le Cantal
Ces éléments changent tout. Concrets, ils permettent à Jérôme Giolat de corroborer ou d’infirmer des hypothèses, puis de reconstituer un déroulé des événements. Ces bimoteurs, utilisés comme torpilleurs, étaient alors établis à Montpellier-Fréjorgues. « Ils décollaient à la tombée de la nuit, se dirigeaient vers une base arrière du centre de la France (comme Cognac, Saumur ou Avord), s’y posaient pour être ravitaillés en carburant. Et pour être armés. On leur accrochait des torpilles, ou des bombes, puis ils devaient effectuer des bombardements de harcèlement sur la tête de pont alliée en Normandie, jusqu’à Cherbourg, et sur la flotte de navires ravitaillant les troupes de débarquement. »
Selon lui, le crash du puy Violent s’est donc produit au retour d’une mission nazie. « Pour une raison X ou Y, l’avion s’est retrouvé à court de carburant, retrace-t-il. Son équipage a signalé qu’il avait un problème en passant par Limoges, puis en continuant sa progression vers le sud (c’est-à-dire vers sa base de Montpellier), s’est finalement retrouvé dans une situation où il a fallu prendre une décision : se poser en catastrophe. »
Les flancs du puy Violent. Photo d'illustration Jérémie Fulleringer.
Là, dans le Massif central, « ils ont cherché une prairie d’altitude à peu près dégagée, déduit-il. Tous ceux qui ont pu évacuer ont sauté en parachute. Et peut-être qu’un membre de l’équipage est resté à bord pour tenter de sauver l’appareil ». Cela reste une supposition.
Par contre, le Cantalien est formel : ils étaient quatre, comme sur toute opération d’attaque. Pour un simple vol de convoyage, un mécanicien-navigant n’aurait pas embarqué.
Jérôme Giolat a relancé l’enquête, mais celle-ci débute à peine… « Cela serait intéressant de savoir ce que sont devenus les autres membres de l’équipage. Est-ce qu’ils ont tous sauté ? Est-ce que l’appareil s’est posé, plus ou moins durement, et est-ce qu’un seul des membres de l’équipage a été attrapé ? Est-ce que les trois autres ont réussi à rejoindre les lignes allemandes ? Il y a beaucoup de points d’interrogation », énumère-t-il.
Les résistants du maquis du col de Néronne, à 3.000 mètres à vol d’oiseau, ont-ils joué un rôle ? Mystère…
L’association Aérocherche, qui dispose d’un îlot au musée Aeroscopia, à Blagnac, s’appuie sur un réseau de 20 à 30 bénévoles à travers le monde. Son objectif, « retrouver des vestiges d’avions et les faire revivre, par l’histoire de l’appareil et des navigants ». En 2022, elle avait ainsi révélé à la fille d’un pilote de l’armée de l’air française le destin de son père, Georges Schlienger, mort dans le crash de son Heinkel 162 en 1948.
Et maintenant ?
Les recherches se tournent désormais vers trois axes. Jérôme Giolat compte formuler une demande aux archives du Comité international de la Croix-Rouge, à Genève, pour consulter le dossier du prisonnier de guerre Albert Dörrstein. Par ce biais, il pourrait aussi trouver d’éventuels descendants du mécanicien-navigant.
Autre piste : le Volksbund. Cette organisation humanitaire répertorie les sépultures militaires allemandes. Et du côté du Bundesarchiv ? Les archives militaires allemandes entreposent-elles le journal des marches de la KG-26 ? Si oui, identifie-t-il les pertes du 27 juillet 1944 ?
Le Junkers Ju 88
Environ 15.000 Ju 88 ont été fabriqués par la firme allemande Junkers de 1936 et 1945. L’avion était un bimoteur très polyvalent, extrêmement sollicité par la Luftwaffe durant la Seconde Guerre mondiale. Des dizaines de variantes de l’appareil sont sorties des usines. Celui retrouvé écrasé contre les flancs du puy Violent « est un modèle de fabrication tardive, l’évolution A17, utilisé comme torpilleur », détaille Jérôme Giolat.
Tous les indices que le Cantalien a pu rassembler confortent l’hypothèse d’un avion tombé à la fin du conflit plutôt qu’au début : le type de camouflage (assez clair) ; la date de fabrication des maillons de bande de mitrailleuse (février 1942)… Enfin, il n’a pas été « nettoyé » par les troupes allemandes, alors que leur politique consistait à « ramasser tout ce qui tombait ». L’abandon de cette épave tend donc à prouver que la Libération de la région n’était qu’une question de jours.
Romain Blanc
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