C’est fou comme la dissolution a vraiment tout clarifié ! Ce second quinquennat est décidément à nul autre pareil. Le dernier remaniement avec Gabriel Attal à sa tête est déjà loin, les élections européennes sont à peine terminées que le président décide de convoquer des élections législatives. Avec le résultat qu’on connaît… Plus que jamais, en coulisses, les uns apprennent à esquiver les croche-pattes, les autres se familiarisent avec l’art du complot, bref, tout le monde prépare l’après-Emmanuel Macron avec rigueur et détermination.
Les députés élus grâce à l’alliance entre le Rassemblement national et Eric Ciotti l’ont bien compris : la législature va être compliquée pour eux. Composé de seulement 16 députés, le groupe présidé par l’élu des Alpes-Maritimes reste menacé de dissolution, et ne constitue pas la force pivot espérée par le président (contesté) des Républicains. Alors, certains députés ont déjà fait le deuil de leur activité parlementaire : "On a bien compris qu’on serait seulement dans un jeu d’opposition basique, donc la plupart d’entre nous comptent plutôt sur leur statut pour travailler au maximum leur implantation locale et leur présence en circonscription." Eric Ciotti devrait être ravi de présider un groupe fantôme.
Ce n’est pas le mariage de la carpe et du lapin, mais l’accueil des députés LFI que Jean-Luc Mélenchon a purgé dans le groupe écologiste en interroge plus d’un au sein du Nouveau Front populaire. Et pour cause, la ligne politique d’un François Ruffin, élu d’une terre ouvrière où le RN progresse et les Verts n’existent que très peu, est souvent à rebours de celle des députés, élus de grandes villes pour beaucoup. Nucléaire, chasse, viande… Les désaccords sont nombreux.
Ainsi, les nouveaux venus (Corbière, Ruffin, Autain, Simonnet) et leurs hôtes verts, chaperonnés par Cyrille Châtelain, ont eu "une discussion sur la cohérence politique du groupe", explique un cadre écolo. "Nous avons beaucoup de choses en commun sur la nécessité de rupture, le changement du modèle économique ou encore les victoires sociales à aller chercher. Et nous avons aussi des élus de territoires ruraux, comme Benoît Biteau." Il y a le fond, mais aussi la forme car les députés ex-LFI sont également très médiatiques. Les chefs écolos ont prévenu : "il faudra construire un groupe, pas une somme d’individualité. Le collectif avant tout."
Ces derniers mois, un cap a été franchi. En particulier grâce à la figure de Jordan Bardella qui, usant de son image et de signaux un peu grossiers, a réussi à rassurer une partie du monde de l’entreprise, jusque-là réticente à voter pour le parti d’extrême droite. Mais à l’Assemblée, certains députés frontistes, tenants d’une ligne plus sociale, s’interrogent déjà. Comment concilier ce nouvel électorat plus aisé et leur base populaire ? Pour un jeune élu, la réponse est déjà trouvée : "L’argent ne peut pas tout dominer. Le moment venu, on saura remettre le monde de l’économie à sa place." Le Jordan Bardella pro-business appréciera.
Laurent Wauquiez a montré patte blanche. Opposé à toute coalition gouvernementale, le nouveau patron du groupe la Droite républicaine (DR) a dévoilé ce lundi 21 juillet son "pacte législatif", 13 mesures qu’il s’engage à soutenir si le prochain exécutif les soumettait au vote. Le bloc central prend acte de cette démarche, mais mesure bien que le candidat putatif de 2027 n’ira guère plus loin. Ce dernier, soucieux d’incarner l’alternance, ne veut pas être comptable du bilan d’Emmanuel Macron. "Wauquiez n’a pas intérêt à cette coalition, juge une ministre démissionnaire. Il mise sur l’instabilité. Avec ce pacte, il montre juste qu’il sait créer du rassemblement interne avec ses députés." Un membre du gouvernement confirme : "Il ne veut participer à rien mais être spectateur de tout."
Emmanuel Macron a remis une pièce dans la machine. Le chef de l’Etat a jugé mardi 23 juillet qu’il n’était pas une "bonne chose" de priver le Rassemblement national de postes-clés à l’Assemblée. Lors d’une réunion de groupe, les députés Ensemble pour la République (EPR) avaient pourtant décidé à 93 % de ne pas soutenir la candidature de la formation d’extrême droite à ces postes-clés. Avant de joindre le geste à la parole. Cette quasi-unanimité cache mal des divisions internes.
La formation d’Edouard Philippe, Horizons, ne partage pas cette ligne. Certains cadres Renaissance non plus. Comme ce ministre issu de la droite, qui craint que cette exclusion ne soit contre-productive. "On permet au RN de tenir un discours simple et difficilement contestable sur l’exclusion de leurs 11 millions d’électeurs." Et ne parlez pas à cet élu du risque d’institutionnalisation du parti. "Le RN n’est pas passé de 88 députés à 143 députés car Sébastien Chenu était vice-président de l’Assemblée."
Il n’en démord pas. Emmanuel Macron souhaite une coalition des "forces républicaines" pour sortir la France de la paralysie parlementaire. Mais la perspective d’une nouvelle dissolution dans un an - elle n’est pas possible avant - ne freine-t-elle pas cette solution ? Plusieurs élus le pensent, estimant qu’elle les emprisonne dans leurs sociologies électorales respectives. "A l’Assemblée, chacun pense à son équilibre politique territorial, juge un cadre LR. Et reste donc campé sur ses positions pour ne pas effrayer ses propres électeurs." Une ministre démissionnaire en appelle presque au chef de l’Etat lui-même pour dénouer la situation. "Il pourrait affirmer qu’il ne dissoudra pas d’ici 2027." Mais une telle annonce ne lui lierait-elle pas les mains ?