Une volonté d’inscrire dans le marbre ce qui jusqu’à présent, ne l’avait jamais été. C’est lors d’une conférence donnée dans le cadre d’un club de réflexion durant l’été 2022 que le professeur d’histoire-géographie, Jean-Luc Léger, fait le constat qu’aucun monument n’existe en Creuse dédié spécifiquement à la mémoire des juifs creusois déportés. L’idée d’en créer un fait consensus. « D’autant plus à l’heure où les survivants de la Shoah sont de moins en moins nombreux », a-t-il précisé lors de l’inauguration du monument situé au square des Justes à Guéret.L’historien local Christophe Moreigne complète alors une liste déjà réalisée par le travail de recensement des époux Klarsfeld. Ce sont finalement 206 noms qui ont été gravés sur le monument réalisé par le marbrier Nourrisseau. « Ici en ce lieu bat le cœur de visages disparus. Ce monument permet de créer ensemble un souvenir pour ne pas oublier », a appuyé la maire de Guéret, Marie-Françoise Fournier.
A partir de 1942Redonner une identité à des destins tragiques, pour beaucoup oubliés, telle a été l’humble ambition de la réalisation de ce monument. Deux années d’un travail collaboratif afin de ne pas oublier ces 206 noms de juifs creusois déportés à partir de 1942.
En effet, beaucoup ont fui la zone occupée pour la zone libre à partir des rafles de 1942. Ils sont nombreux à arriver en Limousin et à être assignés à résidence. « Et même si la Creuse fut une terre d’accueil pendant la Seconde Guerre mondiale, cette générosité d’âme n’a pas empêché des déportations », a souligné l’édile de la ville. Sur plus de 3.000 juifs accueillis en Creuse, 206 ont été déportés, 15 seulement sont revenus de l’enfer des camps.
Photo Floris Bressy.
Une première rafle a lieu le 26 août 1942 : 90 juifs sont arrêtés dans le département sur une liste de 105 établie par l’administration préfectorale. Polonais et Allemands pour la plupart, ils meurent pour beaucoup dès leur arrivée à Auschwitz en septembre. C’est le cas de la famille Wolf. Ayant fui la Pologne après l’invasion du pays, Wolek et sa femme Rywka arrivent en France avec leur fils Henri le 6 décembre 1939. Arrêtés aux aurores par les gendarmes de la brigade de Pontarion, ils sont envoyés au camp de Nexon en Haute-Vienne avant d’être transférés en zone occupée le 29 août et d’être déportés à Auschwitz en partant de Drancy. C’était le convoi 26. « Notre grand-mère a été gazée dès son arrivée à Auschwitz et notre grand-père est mort trois mois avant la libération », a rappelé l’une des deux filles d’Henri Wolf, seul rescapé de la famille. Il a survécu après avoir été sélectionné pour le travail de force et transféré dans un autre camp à l’été 1944. Il sera libéré fin avril 1945 par l’armée américaine.
Mettre en lumière les vies des individusAinsi ce Mur des Noms permet d’inscrire dans le marbre ces trop nombreuses victimes. De mettre en lumière ces vies individuelles qui s’effacent derrière la globalité des chiffres des décès pendant les guerres. « Nous ne connaissions pas certains détails de leurs histoires », s’est émue la fille d’Henri Wolf lors de l’inauguration du monument devant une assemblée nombreuse. « Graver un nom, c’est se souvenir de l’existence de chaque victime, a soutenu l’initiateur du projet, Jean-Luc Léger. Ce Mur participera au devoir de mémoire dont on parle si souvent. »
Cela, afin de se souvenir que comme la famille Wolf, de nombreuses autres ont été déportées. Fin février 1943, 88 juifs ont été arrêtés en Creuse puis déportés. Convois 50 et 51. Durant la même année, les rafles de familles juives françaises ou étrangères se sont poursuivies à travers le département. Puis jusqu’à la fin de la guerre avec notamment celle du 21 juillet 1944 durant laquelle 20 personnes ont été arrêtées par les nazis à Bourganeuf. Avant que 10 autres le soient également quatre jours plus tard, le 25 juillet 1944 à Guéret.
Désormais, chaque année aura lieu une commémoration pour honorer la mémoire de ces 206 juifs creusois déportés. « Mais il ne s’agit pas uniquement de déposer une gerbe », a tenu à souligner la préfète de la Creuse Anne Frackowiak-Jacobs. Rappelant ô combien il est important de combattre sans cesse l’antisémitisme et de ne jamais oublier le passé.
C’est d’ailleurs à cela que s’est employé Henri Wolf durant toute la suite de sa vie en parlant de la Shoah aux collégiens et lycéens jusqu’à son décès en 2005. C’est également en voulant souligner l’importance du devoir de mémoire dans le contexte actuel que Jean-Luc Léger a cité Winston Churchill : « “Un peuple qui oublie son passé n’a pas d’avenir.” »
Vincent Faure