Quand La Fontaine raconte Emmanuel Macron, cela donne le livre malicieux et passionnant, comique et grave, drôle et instructif de Dominique Folscheid intitulé En même temps. Rien d’étonnant à cela. Si les Fables, en effet, sont « une comédie à cent actes divers » dont l’auteur a un génie politique évident, il faut reconnaître que le règne d’Emmanuel Macron se prête, quant à lui, à pareil récit tant il s’apparente à une pièce de théâtre protéiforme.
En personnage principal, trône le Roi en majesté. Autour de lui, une Cour et ses grands fauves, à la fois ménagerie, salon, Cour de justice, marigot et pétaudière. Face à ce « haut lieu de rivalité mimétique », un peuple coassant de « grenouilles démocrates ». À travers 22 chapitres brefs aux titres savoureux, tout y passe : les guerres — le virus, l’islamisme, le réchauffement climatique, l’ours russe— jusqu’à notre vie politique au quotidien. Tout commence par « la peste »—ou plutôt « les pestes à foison »— qui fait aux animaux la guerre et dont l’auteur analyse précisément le caractère « apocalyptique », jusqu’aux farces et attrapes où se prennent les dindons et dindes européens, ignorants qu’il faut toujours se méfier des gens sans moralité. En attendant le Dragon chinois « qui fera taire les coqs ». Ce n’est pas un pouvoir abstrait que décrit Folscheid mais un pouvoir actualisé. Pas un bébête show qu’il fait mais une analyse politique et philosophique enlevée des acteurs et des actes.
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Le Roi Lion, parlons-en : il est dans le titre du livre. Il est au centre de tout chez La Fontaine comme chez nous. Cynique, machiavélique, un peu brute mais sacrément fort, chez La Fontaine, bien sûr que Macron, c’est le Roi Lion. Lion de guerre, maître des horloges, mais aussi Lion « déconstruit » et Roi « dans de beaux draps », il assure, en acteur accompli, le rôle du renard beau parleur. Ce n’est pourtant pas dans la figure du Lion que le roi du « en même temps » s’incarne le mieux mais dans un oiseau mammifère hybride et bifide : la chauve-souris. Il faut lire avec attention le chapitre que l’auteur consacre à la fable La Chauve-Souris et les Deux Belettes : « Je suis Oiseau : voyez mes ailes… Je suis Souris : vivent les Rats ! … Jupiter confonde les Chats » ! Certes, dit l’auteur, La Fontaine aurait salué le numéro de voltige du Roi Macron. Mais, il faut lire aussi, dit Folscheid, le pendant sévère que fait la fable Le Satyre et le Passant au « en même temps » macronien qui conduit, comme on le voit actuellement, à une impasse politique majeure.
De La Fontaine, André Siegfried dit qu’il était le Machiavel français. En tout prince, également, œuvre un Machiavel. Si donc la peste est une maladie politique protéiforme, on peut y mettre le virus jupitérien qui a mis à mal la séparation des deux corps du roi. Au portrait de Hyacinthe Rigaud répondent désormais des images d’un Roi en maillot de bain, en boy branché, en boxeur, sur sa planche à voile… La fonction royale s’est dégradée. Le corps du Roi serait-il définitivement déconstruit pour la grande joie de Sandrine Rousseau ?
On dit que le peuple français est éminemment politique et que, dans notre pays, politique et littérature sont intimement liées—dont le livre de Dominique Folscheid est la preuve—et même la poésie. S’il est deux vers, en effet, dans la fable « apocalyptique » Les Animaux malades de la peste, qui rendraient, mieux que tout, l’atmosphère actuelle de notre société, ce sont bien ceux-là : « Les tourterelles se fuyaient. Plus d’amour, partant plus de joie. » Qu’il soit permis, dans ces conditions, de se demander qui donnera, au Roi Lion de la fable, le coup de pied de l’âne…
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