L’engagement actif des femmes dans des groupes terroristes n’est pas nouveau, principalement depuis la fin du XIXème siècle.
Du Parti socialiste révolutionnaire en Russie à la Fraction armée rouge allemande, des Brigades rouges italiennes à Action directe en France, des Forces armées révolutionnaires de Colombie au Partya Karkerên Kurdistan (PKK) en Turquie, de l’organisation Euskadi Ta Askatasuna (ETA) à l’organisation Tigres de libération de l’Eelam tamoul (LTTE), du Hamas en Palestine à l’Etat islamique, elles sont nombreuses à rejoindre les rangs d’organisations terroristes.
De Charlotte Corday à Sofia Pereskovaïa, de Leila Khaled à Nathalie Menigon, d’Ulrich Meinhof à Emilie König, combattantes, militantes, résistantes, activistes, qu’elles soient françaises, russes, palestiniennes, allemandes, elles sont toutes animées par la même violence et le même objectif, vaincre par la force et les armes.
Elles n’hésiteront pas à soutenir activement et de leur plein gré, sur les plans idéologique et opérationnel ces groupes terroristes et à participer à la commission d’infractions liées au terrorisme.
Depuis des siècles les femmes participent à des luttes et pourtant le rapport de la femme à la violence continue de nous surprendre, de nous fasciner et de nous révulser à la fois.
A lire aussi : Comment Emmanuel Macron attise la guerre civile
« Femmes » et « violence » ne peuvent-ils pas aller de pair ? L’architecture sur laquelle repose nos sociétés occidentales a fait de la femme le « sexe faible » celle qui donne la vie et ne peut donc la reprendre. Ces femmes qui cassent les codes des stéréotypes du genre dérangent. Quelles sont leurs motivations ? Sont-elles manipulées ? Sont-elles des suiveuses, des amoureuses ? Quelle est la force de leur engagement ? Si ce phénomène de la violence des femmes n’est pas nouveau dans l’histoire, le contexte actuel où le terrorisme hante notre quotidien et peut frapper à chaque instant, en tout lieu, n’importe qui et par tout moyen semble plus inquiéter aujourd’hui le grand public. Les sympathisantes du djihad, présentes sur notre territoire et celles qui ont fait le choix de rejoindre une organisation terroriste islamique renforce l’idée d’une féminisation du terrorisme.
La culture occidentale considère généralement le masculin comme le chasseur, le guerrier, le commandant, on l’appelle le « sexe fort ». Quant au féminin, on lui attribue, douceur, maternité, pacifisme, on l’appelle le « sexe faible ».
Alors que la part des femmes dans la criminalité est moindre que celle des hommes et que le droit traite en principe à égalité les deux sexes, pourquoi leurs « crimes » nous amènent-ils à plus de questionnements ?
Plus souvent considérées comme des victimes, elles ont longtemps occupé une place à part dans le discours et dans la lutte contre le phénomène du terrorisme. Il faudra attendre les années 70, pour qu’émergent aux yeux du public à travers les médias, les visages de ces femmes. Comment oublier, la diffusion chaque soir aux informations des photos de Nathalie Ménigon et de Joëlle Aubron membres du mouvement terroriste Action Directe ? Oui, les femmes peuvent porter les armes et combattre, comme les Amazones ! Oui, les femmes peuvent être des soldats, comme Jeanne d’Arc ! Oui, les femmes peuvent tuer, comme Muzghan et Nasreen !
L’histoire nous démontrera que les femmes comme les hommes, les filles comme les garçons peuvent prendre les armes, commettre des actes de violence, semer la terreur et devenir tout simplement des terroristes.
La participation politique des femmes aux évènements s’est affirmée durant la Révolution française. Dans la rue, dans les tribunes, dans les clubs, les assemblées et les sociétés, elles occupent tous les terrains. De la simple tricoteuse à la militante qui lutte contre la misère, la faim, de la Gironde à la Convention. D’Olympe de Gouges à Théroigne de Méricourt, elles revendiquent la liberté de la femme et l’amélioration de leurs conditions civiles et sociales, s’engagent dans les armées révolutionnaires et telle Charlotte Corday n’hésitent pas à tuer.
A lire aussi : Les résistantes résistaient-elles autrement que les résistants?
Elles trouveront face à elles, leurs sœurs, leurs cousines, adhérant aux idées contre-révolutionnaires, fidèles au roi et à la religion, vendéennes et bretonnes, paysannes et nobles, soutiens logistiques et soldates de l’Armée catholique et royale. Marie Papin, Soeur Agnès ou les deux sœurs de La Rochejaquelein pour ne citer qu’elles.
En 1793, la Convention interdit aux femmes d’accéder à l’uniforme de soldats, les invitant à porter l’uniforme qui convient à leur sexe. Pourtant, nombreux sont les portraits de ces amazones, fières, altières, androgynes, en habit d’homme, armées telles des Minerve de la Rome antique.
13 juillet 1793, Marat, la figure de l’Ami du peuple vient d’être assassiné d’un coup de couteau dans la poitrine par la jeune Charlotte Corday, de son vrai nom Marie-Anne Charlotte de Corday d’Amont, issue de la noblesse rurale normande, femme d’esprit, républicaine, engagée en politique auprès des girondins et idéaliste ; elle sera arrêtée le jour même. Marat, celui qui incarne à ses yeux l’injustice et le mensonge, Marat un des principaux responsables de l’écrasement des Girondins, Marat le symbole des dérives de la Révolution.
Depuis 1792, Marat cristallise les haines d’une partie de la population, on lui reproche l’essor de la violence, un vent de paranoïa souffle sur Paris, Louis XVI a été exécuté le 21 janvier, tout le monde dénonce tout le monde. Danton, Robespierre et Marat saignent le pays au nom de la liberté, de l’égalité et de la fraternité. Jacobins et Montagnards s’opposent aux Girondins. Parmi les partisans de la Révolution, certains s’opposent aux méthodes des radicaux rejoignant même les monarchistes.
Le 31 mai, Marat exige à la tribune l’arrestation d’une trentaine de girondins, c’en est trop, c’est dans ce contexte agité que Charlotte émet le projet de délivrer son pays de la tyrannie de l’Ami du peuple.
Charlotte Corday est accusée « d’avoir méchamment et de dessein prémédité, étant à Caen, formé le projet d’attenter à la représentation nationale, en assassinant Marat, député à la Convention (…) ce qui est contraire à l’article 4 section trois du Titre premier et à l’article 11 section première Titre second du Code pénal ».
Article 4 (section 3, titre 1, IIème partie) : Toute organisation ou attentat, pour empêcher la réunion, ou opérer la dissolution du corps législatif, ou pour empêcher par force et violence la liberté de ses délibérations, tout attentat contre la liberté individuelle d’un de ses membres, seront punis de mort. Tous ceux qui auront participé auxdits conspirations ou attentats par les ordres qu’ils auront donné ou exécuté, subiront la peine portée au présent article.
Article 11 (section 1, titre 2, IIème partie) : L’homicide commis avec préméditation sera qualifié d’assassinat et puni de mort
Lors de son procès, elle confessera son crime, il s’agira de déterminer pourquoi elle l’a commis, et surtout si elle a agi seule ou sur les ordres d’opposants à Marat ?
Le Républicain français du 23 juillet 1793, publiera un compte-rendu du procès, je cite :
« Le président : Qui vous a engagé à commettre cet assassinat ?
L’accusée : Ses crimes
Le président : Qu’entendez-vous par ses crimes ?
L’accusée : Les malheurs dont il a été la cause depuis la révolution.
Le président : Quels sont ceux qui vous ont engagé à commettre cet assassinat ? L’accusée : Personne ; c’est moi seule qui en ai conçu l’idée.
Le président : Quelles étaient vos intentions en tuant Marat ?
L’accusée : De faire cesser les troubles, et de passer en Angleterre, si je n’eusse point été arrêtée […]. Je savais qu’il pervertissait la France. J’ai tué un homme pour en sauver cent mille. C’était d’ailleurs un accapareur d’argent. »
Elle écrira à son père, « Pardonnez-moi, mon cher papa, d’avoir disposé de ma vie sans votre consentement. J’ai vengé bien d’innocentes victimes, j’ai prévenu bien des désastres ; le peuple, un jour désabusé, se réjouira d’être délivré d’un tyran […]. Adieu, mon cher papa : je vous prie de m’oublier, ou plutôt de vous réjouir de mon sort. Vous connaissez votre fille ; un motif blâmable n’aurait pu la conduire. J’embrasse ma sœur, que j’aime de tout mon cœur, ainsi que tous mes parents. N’oubliez pas ce vers de Corneille : “Le crime fait la honte, et non pas l’échafaud ! C’est demain à huit heures, qu’on me juge ”».
Jugée le 16 juillet, elle sera guillotinée le lendemain, sur la place de la Révolution. L’assassinat de Marat présente tous les aspects d’un attentat politique, cependant il est surtout relaté comme un fait divers.
Certains verront en Charlotte Corday une figure héroïque de cette période de l’histoire, d’autres une « bonne » criminelle. Et pourtant Charlotte fascine, les portraits la représentant auprès de sa victime sont légion. Peut-être même dérange-t-elle l’ordre établi des normes sociales et genrées de l’époque ? Hauer la dessinera de face et en buste, tenant à gauche la gaine qui enveloppait la lame et dans sa paume droite le couteau que l’on devine, le regard décidé à en finir avec Marat, l’ennemi du peuple. Mi-homme, mi-femme, telle une déesse antique. Inversion des représentations féminine et masculine. Mais qui s’en étonnerait dans cette période troublée ?
En Vendée, en Bretagne, en Normandie et dans le Maine, au même moment, des femmes, des filles, des ménagères et des aristocrates mènent aussi un combat, mais cette fois-ci pour Dieu et pour le Roi. Peu nombreuses à combattre au sein des armées en campagne, elles occuperont, malgré tout, une part prépondérante et joueront un rôle important dans l’effort de contre-révolution pour battre les « Bleus ».
Se mobilisent-elles pour maintenir un ordre plus traditionnel et conservateur ? Refusent-elles ce nouvel ordre républicain profondément masculin ?
A lire aussi : Aux armes, citoyennes!
L’armée catholique et royale comptait dans ses rangs des femmes de toutes conditions. Des femmes issues de l’aristocratie combattront auprès de François de Charrette de la Contrie pendant les guerres de Vendée contre les républicains, on les appelle les « amazones » de Charrette, telles, la Marquise de la Rochejaquelein, Madame de la Rochefoucauld, Suzanne Marguerite-Adélaïde Poictevin de la Rochette, Céleste Julie Michel Bulkeley Talour de la Cartrie pour ne citer que les plus célèbres. Excellentes cavalières et rompues au maniement des armes du fait de leur condition et de leur éducation, elles s’engagent conquérantes, courageuses, parfois animées par la vengeance, d’un fils perdu ou d’une fortune détruite. Profondément catholiques, elles défendront les lieux de cultes et les religieux. Comme certaines figures républicaines, telle Théroigne de Méricourt, elles n’hésitent pas à troquer leur habit de dame, pour une tenue masculine.
En terre chouanne, les femmes auront un rôle de premier plan en février 1791 au moment où la question religieuse devient déterminante ; du printemps 1791 au printemps 1792, l’activisme féminin est majeur, ce sont elles principalement qui se mobiliseront pour défendre le clergé réfractaire et s’opposer aux prêtres constitutionnels, elles n’hésiteront pas à avoir recours à la violence au nom de Dieu et pour le salut de la France.
Peut-on parler d’action terroriste ? La question demeure, pour certaines qui ont pris les armes et n’ont pas hésité à combattre et mener des actions « criminelles », sans doute que oui, quand d’autres auront limité leur engagement, à de simples implications matérielles et logistiques, transport de munitions ou de missives, agents de liaison, la réponse est plus mitigée. Rappelons que la France est dans une période troublée, que la violence et la terreur sont au cœur du fonctionnement ou dysfonctionnement du pays. Des actions violentes criminelles et qui terrorisent, commises par des hommes ou des femmes, en de telles périodes, est-ce surprenant ? Sans doute est-il plus pertinent de parler de militantes, d’activistes ou de résistantes.
Un tiers seulement des femmes inculpées comme contre-révolutionnaires devant les tribunaux criminels sera soupçonné d’avoir joué un rôle dans des réseaux.
Les actions à caractère criminel menées par les femmes pendant la révolution, pro ou contre-révolutionnaires même si peu nombreuses, méritent cependant d’être soulignées.
La semaine prochaine : L’émergence de la femme terroriste 2 – L’anarchisme féminin : Naissance de LA terroriste
L’article Les Amazones de la terreur est apparu en premier sur Causeur.