Pour pouvoir procéder au "carénage" des bateaux - consistant à nettoyer la coque des algues et coquillages accumulés, qui risquent d'affecter leur maniabilité ou leur vitesse - le port a d'abord fait venir en camion une cuve de 10.000 litres, remplie d'eau pendant l'hiver. C'est là que pompent les plaisanciers.
L'innovation se situe plus loin: l'eau utilisée est collectée, filtrée et dépolluée, puis réinjectée dans la cuve.
Le dispositif est ainsi quasiment "en boucle fermée", explique Frédéric Dombrowski, président de Rellumix, l'entreprise l'ayant conçu.
Quasiment, car environ 10% de l'eau est perdue dans l'opération, notamment par évaporation.
Ces pertes sont compensées par la récupération d'eau de pluie et, surtout, par un système de désalinisation de l'eau de mer.
Sur l'aire de lavage, les plaisanciers comme Jean-Claude Pilon, 79 ans, profitent depuis mai de ce système pour préparer leurs navires à l'été.
Ce retraité est venu exprès du port de Canet-en-Roussillon, dans le département voisin des Pyrénées-Orientales, avec son voilier bleu. "Ici, on peut laver !", se réjouit-il.
A l'été 2023, témoigne-t-il, c'était "une vraie galère, (...) les particuliers ne pouvaient pas caréner" à Canet ni à Leucate.
Nappes dans le rouge
Depuis l'année dernière, la sécheresse a amené l'Etat à ordonner des restrictions sur l'utilisation de l'eau, dont l'interdiction de nettoyer les bateaux.
"C'est un vrai problème pour une station portuaire comme la nôtre" car "beaucoup de nos entreprises dépendent de cette activité", selon le maire LR de Leucate, Michel Py.
D'autant que sur le littoral audois, comme dans les Pyrénées-Orientales, les niveaux des nappes phréatiques restent "très préoccupants", selon le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), les pluies du printemps n'ayant pas permis de les recharger suffisamment.
"Nous avons donc dû chercher des solutions", souligne M. Py. Installé dans un conteneur de 13 mètres de long, le projet à 170.000 euros devrait ainsi "permettre 1.000 carénages par an dans un port de 1.500 bateaux", assure-t-il.
Chaque bateau consommant "entre 400 et 700 litres d'eau" par carénage, selon Carine Jouanaud, directrice du Port de Leucate, cela représente environ l'équivalent d'une piscine de 25m par an qui ne devrait plus être puisée dans le réseau.
"Vision circulaire"
Christelle Wisniewski, spécialiste du traitement des eaux usées, estime qu'il s'agit "d'une très bonne idée" et salue sa "vision circulaire", car le carénage "demande beaucoup d'eau, une eau qui est ensuite extrêmement polluée".
"Mais il faut faire attention à la consommation d'énergie", prévient cette professeure à l'université de Montpellier, ainsi qu'à "ce qui est fait des déchets".
Rellumix affirme que son dispositif a une consommation "inférieure à 90 kWh" par jour, ce qui équivaut environ à la consommation électrique moyenne journalière de 15 personnes. La société assure aussi que les polluants filtrés de l'eau lors du recyclage ou de la désalinisation sont "stockés dans des bidons avant qu'ils ne soient incinérés en déchetterie".
Simon Popy, président de la branche Occitanie-Méditerranée de l'association écologiste France Nature Environnement, se réjouit pour sa part que le port montre "qu'il est possible de faire autrement" pour consommer moins d'eau.
A ses yeux, les plaisanciers pourraient faire plus d'économies, en utilisant "de l'eau de mer pour nettoyer la plupart des équipements de bateau" et en réservant l'eau douce aux pièces les plus fragiles. Cette affirmation fait néanmoins débat chez les amateurs de nautisme, certains mettant en avant l'aspect esthétique - l'eau de mer laisse des traces sur l'inox - et la détérioration à la longue des équipements par le sel.
Le port de Canet-en-Roussillon propose par exemple une solution intermédiaire: laver les bateaux à l'eau de mer, avant un dernier rinçage à l'eau douce. Son directeur envisage également d'investir dans un dispositif similaire à celui de Leucate.