Publié en 1975, devenu une référence des militant·es de la cause animale et végétarienne, La Libération animale, l’un des premiers livres de philosophie exclusivement consacrés au statut moral des animaux, a créé un moment de rupture décisif dans le champ de l’éthique. Dévoilant pour la première fois les sévices exercés sur les animaux par l’élevage industriel en plein essor, son auteur Peter Singer, issu du courant dit “utilitariste” de la philosophie, y déployait un solide modèle éthique visant à tenir compte du bien-être des “sentients”, ces êtres vivants tels le cochon, le poulet ou la vache, capables de ressentir la douleur et doués d’une conscience de la mort.
Tous les débats houleux autour de la condition animale depuis cinquante ans procèdent de ce livre séminal. Singer se détache de la tradition classique de l’humanisme en refusant de sacraliser la vie humaine par opposition à la vie animale. En défendant un principe d’égalité absolu entre elles, il ouvre la voie à l’antispécisme. Parfois considéré par ses adversaires comme “l’homme le plus dangereux du monde” à cause de sa radicalité théorique et pratique, Peter Singer défend au fond des idées assez simples, quand bien même on peut évidemment les discuter. Au premier rang desquelles une “égalité de considération des intérêts”.
Selon lui, cette égalité ne signifie pas que tous les animaux, humains ou pas, ont les mêmes capacités, mais qu’“il n’y a pas de raison logique qui impose de faire découler d’une différence de fait dans les capacités que possèdent deux personnes une différence quelconque dans la quantité de considération que nous devons porter à la satisfaction de leurs besoins et intérêts”. Il ne dit pas qu’il faut traiter les animaux comme les hommes, ce qui serait absurde : les intérêts des animaux étant différents, “considérer également des intérêts différents implique des traitements différents”. Considérer également les intérêts du cochon et ceux de l’homme, par exemple, “n’implique pas d’apprendre à lire au cochon, mais de le laisser en compagnie d’autres cochons dans un endroit où il y a une nourriture suffisante et de l’espace pour courir librement”.
Pour Singer, il s’agit “d’élever” avant tout le statut des animaux, “non d’abaisser celui des humains”, contrairement à ce que certain·es lui reprochent. Même si l’élevage industriel continue de prospérer au-delà de la raison (humaine), l’éthique animale porte son héritage fondateur, comme l’arme philosophique d’une lutte politique et civilisationnelle.
La Libération animale de Peter Singer, édition définitive (Payot/“Petite Bibliothèque Payot Essais”), traduit de l’anglais (Australie) par Johan-Frédérik Hel-Guedj, 500 p., 12 €. En librairie.