Et pendant ce temps-là, le déclassement se poursuit. Alors que la paralysie paraît guetter le pays, en l’absence de majorité à l’Assemblée nationale, les problèmes les plus urgents, ceux qui exigent des décisions fermes et tranchées, ne sont pas traités. Le risque ? Que les frustrations dérivent imperceptiblement en colère, et que la France se réveille, un jour prochain, plus distancée et fracturée que jamais. La preuve par trois avec les dossiers de l’école, des déserts médicaux et de la Nouvelle-Calédonie.
Décembre 2023. Le niveau des élèves français dégringole en maths et en compréhension de l’écrit, selon le classement Pisa, commun aux pays de l’OCDE. Il stagne en sciences. Dans ces trois disciplines, la France est éjectée du top 20 mondial. Une débâcle. Gabriel Attal, alors ministre de l’Education nationale, annonce une série de mesures pour conjurer le déclin. Groupe de niveaux au collège, retour des redoublements, brevet obligatoire pour accéder au lycée général à partir de 2025… Des réformes emblématiques extrêmement liées à l’arbitrage du futur Premier ministre, qui pourraient être remises en cause par un autre gouvernement.
Surtout, ces mesures ne prennent pas en compte un des principaux fléaux de l’éducation nationale : le malaise enseignant. Devenir professeur n’enthousiasme plus, plus de 3 000 postes n’ont pas trouvé preneur en 2024. Comment faire ? Entre le Nouveau Front populaire, Renaissance et le Rassemblement national, personne n’est d’accord. La gauche veut augmenter les fonctionnaires de 10 % et prévoit de recruter jusqu’à 160 000 enseignants, pour un coût de 6,8 milliards d’euros selon l’Institut Montaigne. Les macronistes mettent l’accent sur la modernisation de l’enseignement et des orientations d’élèves dès le collège. Le Rassemblement national prétend abolir les réformes Attal et supprimer le collège unique. Faute d’un consensus ne serait-ce que minimal, le risque est d’aboutir à un surplace toujours plus inefficace pour des générations d’élèves au niveau vacillant.
En l’absence de majorité, impossible d’avancer sur les déserts sanitaires. Or, là aussi, il y a urgence : désormais 30 % des Français habitent dans une zone désertifiée, et les trois quarts des départements ont vu leur densité médicale se dégrader ces dernières années. "Beaucoup reste à faire", prévient Paul Frappé, président du Collège de médecine générale. Les médecins supplémentaires de la fin du numerus clausus devraient permettre une respiration, mais ne seront formés… qu’en 2031. Et rien ne dit qu’ils s’installeront dans les déserts.
La loi Valletoux votée fin 2023 devait arranger la situation, mais 70 % de son contenu est bloqué, faute d’exécutif susceptible de prendre les décrets d’application. Quant à la quatrième année d’internat dans les déserts médicaux, elle est gelée, le gouvernement n’a pu finaliser les textes réglementaires à temps.
En l’absence de majorité, difficile de faire avancer les grands dossiers comme celui des médecins dans les zones mal loties. La gauche rêve de limiter la liberté d’installation, les amis d’Emmanuel Macron ne veulent pas en entendre parler. Le statu quo nourrirait le sentiment de "déclassement" médical, dont la France est malade : "La santé, c’est le ciment du pacte républicain", résume Emmanuel Vigneron, géographe de la santé.
C’est une crise qui n’en finit pas. Depuis le déclenchement d’émeutes en Nouvelle-Calédonie, le 13 mai, la situation s’enlise. En annonçant la suspension du projet de loi constitutionnelle sur le dégel du corps électoral, Emmanuel Macron pensait pouvoir "donner toute sa force au dialogue sur place et au retour à l’ordre". Mais si les horloges se sont arrêtées à Paris, les troubles se poursuivent dans le Pacifique.
Ce 10 juillet, le parquet de Nouméa a annoncé qu’un homme a été tué par les forces de l’ordre, alors qu’il faisait feu sur des gendarmes. Cette dixième victime vient rappeler l’impasse dans laquelle se trouve l’archipel : face à l’absence de majorité à l’Assemblée, le projet de loi constitutionnelle est reporté sine die. Or, sans cette modification du corps électoral, impossible d’organiser les prochaines élections provinciales, qui devaient se dérouler au plus tard le 15 décembre prochain.
Pendant ce temps, la défiance grandit à Nouméa. Les législatives anticipées ont débouché sur l’élection d’un leader indépendantiste pour la première fois depuis trente-huit ans. Son nom n’est pas inconnu : Emmanuel Tjibaou est le fils de Jean-Marie Tjibaou, dirigeant kanak assassiné un an après avoir signé les accords de Matignon, en 1989. Un nom pour rouvrir le dialogue… ou marquer une rupture définitive ?