Bien qu’inquiet et même par moments paniqué à l’idée de voir le Rassemblement national accéder au pouvoir, quand cette catastrophe annoncée s’est soudain démentie et définitivement effondrée le dimanche 7 juillet au soir, j’avoue avoir ressenti, durant une fraction de seconde, l’infantile et amorale déception de l’aventurier qui a raté l’avion qui va se crasher, du photographe de guerre qui a quitté Hiroshima une heure avant le largage atomique d’Enola Gay. Comme si l’Histoire me privait d’un de ces grands moments qui allait faire de moi un traître ou un héros. Un collabo ou un résistant.
Ça se passait dans l’avion qui nous ramenait de Minorque, la jolie petite île des Baléares où nous nous étions rendus pour assister à l’inauguration de la dernière œuvre de Felice Varini, présentée par la galerie Albarran Bourdais. Dora a réalisé une magnifique vidéo : https://www.instagram.com/lartcontent
Varini réalise des œuvres qui ne peuvent se voir que par une seule personne à la fois. Ce qui rend très difficile les inaugurations avec cocktail où la foule se bouscule pour brouiller le principe même de l’œuvre. Il faut donc revenir le lendemain, au calme, en solitaire, et savourer cette prise en charge jubilatoire de l’espace par une structure picturale qui se déplie, se recompose, tel un caméléon à la recherche de sa troisième dimension. Bref, on s’amuse bien. Et une fois de plus, on s’est bien amusés.
Minorque est une île aux prises avec un phénomène de grand remplacement qui a commencé il y a une dizaine d’années. Aujourd’hui, 80 % des maisons, appartements, fincas, commerces qui sont achetés le sont par des Français. C’est du moins ce que nous a raconté Ignacio, un autochtone qui voudrait dénoncer ça et qui, pourtant, tient une agence immobilière, et donc vit de la manne invasive de ces Français friqués qui ont trouvé là un rêve de soleil, de mer, de ville non bétonnée, de terres non polluées, et de bords de mer pas encore pourris par l’hyper-tourisme.
Ignacio nous a fait visiter l’hippodrome de Ciudadela, la deuxième ville de l’île, la plus belle. C’est son grand-père qui l’a fondé, il y a une cinquantaine d’années. Il était propriétaire de trotteurs qu’il faisait courir sur son hippodrome, et un jour, après une course remportée par un de ses champions, fou de bonheur, il est mort d’une crise cardiaque. Avec Ignacio, nous sommes convenus qu’il s’agissait là d’une mort parfaite, idéale, heureuse s’il en est. Même Dora, qui n’aime pourtant pas envisager ma mort, en est convenue.
Le dimanche 7 juillet, vers six heures du soir, on était à l’aéroport, devant le guichet de la Transavia, passablement inquiets du résultat du vote. Dora regardait son portable, sur lequel un ami haut placé devait lui envoyer les premières estimations… Heureusement, l’avion avait une demi-heure de retard, ce qui fait qu’à sept heures moins le quart, alors qu’on était déjà dans l’avion à attacher nos ceintures, Dora a reçu la bonne nouvelle. On pouvait rentrer chez nous. D’ailleurs, l’avion a décollé.
C’est sur la ligne 14 que je me suis rendu compte que j’avais oublié ma jolie petite sacoche dans l’avion. Je n’étais pas inquiet, je faisais confiance à Transavia, ils allaient la retrouver, et, comme il y avait mon permis de conduire à l’intérieur, je n’aurais aucun mal à prouver qu’elle m’appartenait. Pareille mésaventure m’était arrivée dans le train, et je l’avais retrouvée au service des objets perdus de la gare du Nord.
En rentrant à la maison, j’ai tout de suite rempli le formulaire de déclaration de perte. Pas de nouvelle de ma sacoche au bout de quarante-huit heures. J’ai appelé le service de presse de Transavia, où je me suis fait passer pour un chroniqueur de L’Express qui a oublié sa sacoche dans l’avion et qui aimerait bien savoir si… "Ne m’en dites pas plus, on s’en occupe !"
Ça va faire bientôt une semaine que j’attends. Je voudrais juste savoir s’il y a de vrais gens dans ce service des objets trouvés de Transavia. Si ce service existe ailleurs que sur le Net.