Il y a parfois du bon à louper le bus. C’est un peu ce que l’on s’est dit quand, à l’issue de la première soirée du Bilbao BBK Live, on s’est retrouvé les bras ballants au bord de la route. Encore un peu sonné par la flopée de concerts qu’on s’était envoyé ce soir-là, voilà que la nuit allait s’étirer plus encore, un peu malgré nous.
Non plus sous la lumière rutilante des projecteurs, mais bien sous une fine pluie revigorante accompagnant notre redescente vers les entrailles de la ville, après quelques heures perchés dans les hauteurs du mont Cobetas – où les festivités se tenaient. Et qui dit hauteur dit vue imprenable : autant dire que nos yeux restèrent rivés, pour ne pas dire aimantés, sur ce paysage d’une rare beauté, émaillé des feux de Bilbayen·nes un brin couche-tard.
Veiller jusqu’au bout de la nuit – et arracher quelques moments hors du temps par la quiétude du panorama –, on s’y est donc donné à cœur joie les 11, 12 et 13 juillet, portés par l’effervescence espagnole et le talent d’artistes venu·es du monde entier, d’Irlande comme d’Australie, d’Angleterre, de France… et tous·tes rassemblé·es au cœur du Pays Basque espagnol. Florilège des temps forts de l’événement.
C’est avec leur concert que l’on a ouvert les hostilités le jeudi : à peine arrivé sur le site du festival, on marchait à grandes enjambées en direction de la scène Txiki – “petit”, en basque – pour un groupe dont la presse anglophone s’amourache depuis plusieurs mois déjà : NewDad. Emmené par Julie Dawson (chant, guitare), le quatuor formé à Galway en 2017 puise dans une palette sonore à dominante shoegaze, tout en empruntant à l’identité new-wave – en témoigne cette reprise de Just Like Heaven de The Cure, jouée vers la fin du set pour achever de convaincre la foule.
Juste devant la scène, leur groupe de potes s’époumonait en hurlant les paroles de chacun des morceaux, tandis qu’un type brandissait un drapeau irlandais, plus loin. “I like the flag!”, lançait alors la chanteuse, le ton badin. Derrière elles et eux, les courbes des collines dressaient le décor idoine aux vapeurs des guitares, alors voilées d’une fine couche de nuages. Une belle entrée en matière.
Ce fut l’interstice entre la chaude lumière de l’après-midi, et la nuit bleutée propre aux soirées estivales. Air prenait d’assaut la scène San Miguel, quelques heures plus tard, pour nous propulser tout droit vers les astres avec son Moon Safari, premier album sorti en 1998 et rejoué en intégralité dans le cadre d’une tournée anniversaire exceptionnelle.
Le duo versaillais est finalement parvenu à capter l’attention d’une foule bien bavarde, performant chacun de ses morceaux avec une minutie sans pareil. Et nous a même arraché quelques larmes, en ressortant des tiroirs de sa (vaste) discographie le somptueux Highschool Lover – titre dont la mélodie s’est envolée dans les hauteurs, alors mêlée à la tiédeur de l’air. On en est sorti les yeux embués, et le cœur résolument plein.
On a enquillé ensuite avec d’autres pontes, cette fois-ci côté trip hop britannique : Massive Attack. C’est sur la scène Nagusia – l’une des deux plus grandes – que le collectif de Bristol a performé devant le public espagnol, lequel avait largement répondu présent. Il a donc fallu jouer des coudes pour se hisser à une place convenable, alors même qu’une foule compacte s’amassait de part et d’autre.
Pour l’occasion, 3D et Daddy G avaient invité les Écossais de Young Fathers, ainsi qu’Elizabeth Fraser – chanteuse de Cocteau Twins dont la voix éthérée n’a rien perdu de sa splendeur – pour performer leurs morceaux communs, fruits de collaborations passées : Voodoo in My Blood, Teadrop, Black Milk… Chansons qui se sont vues accompagnées de messages cryptiques et alarmistes projetés derrière elles·eux – en anglais comme en basque –, entremêlés d’images de figures politiques contestées (de Poutine à Netanyahou) et d’extraits de films au grain vintage.
Dans ce flot de symboles énigmatiques, une poignée de slogans rappelait à l’évidence leurs engagements politiques – à commencer par celui en faveur de la paix à Gaza, revendiqué en ces mots : “Ceasefire now!” Le concert s’est achevé sous un ciel mystérieusement jauni, soudain transpercé d’une fine pluie dont on se serait bien passé.
Le vendredi, avec une mine réjouie, ceux-là affichaient d’emblée leur désir grandiloquent de faire du BBK Live “un immense temple de joie”, à peine arrivés sur la scène Txiki. Défi ambitieux mais relevé avec brio par Ezra Collective, au vu de la dynamique que les Londoniens sont parvenus à impulser dès le début de leur performance.
Si les premières minutes ont eu de quoi rebuter les plus introverti·es – les membres du collectif invitaient tout un·e chacun·e à “saluer l’inconnu à côté de soi et lui demander d’où il vient” –, nul doute que leur jazz, nourri d’afrobeat et de dancehall, a su lier les spectateur·rices d’une seule et même ferveur. Quelle douce vision que ces duos bras dessus, bras dessous (et un peu saouls), sautillant au son des trompettes comme si leur vie en dépendait.
Il n’y avait qu’à voir l’étendue de la foule devant la scène San Miguel pour comprendre que se jouait l’un des moments forts de la soirée : le concert de Parcels. On s’y est rendu sans attentes particulières, juste après s’être mis en jambes avec la performance de Khruangbin – trio texan au groove imparable, bien qu’un peu soporifique au bout d’une heure de live –, et autant dire que l’on n’a pas été déçu. Verre de vin à la main et sourire jusqu’aux oreilles, les cinq Australiens se sont pointés devant nous avec un enthousiasme sincère, glissant quelques rudiments d’espagnol sans doute appris pour l’occasion.
Et si l’atmosphère d’un concert dépend des flux d’énergie qui emplissent l’espace et se rencontrent – les artistes donnent, le public reçoit puis donne en retour –, le quintet a prouvé qu’il excellait en la matière, semant une certaine allégresse sur son passage. Sur un immense dancefloor d’herbe (quelque peu boueuse, fâcheuse conséquence d’une journée de pluie), la foule s’est dandinée à bâtons rompus au son des hits pop du groupe, de Somethinggreater à Tieduprightnow, en passant par Overnight. On a tout aimé de ce moment, même le rire tonitruant du grand dadais derrière nous.
Le samedi, pour Slowdive, on avait pris nos précautions. Pas question d’arriver ric-rac : on ne voulait perdre aucune miette de leur performance, et surtout être au plus près de la scène. Assister pour la première fois au live d’un groupe de ce calibre a toujours quelque chose d’émouvant, d’autant plus lorsque l’on sait l’impact que celui-ci a eu dans l’histoire de la musique. L’avènement du shoegaze à l’échelle internationale, c’est – en partie – elleux.
Autour de nous, quelques tignasses décolorées à l’instar de celle de Rachel Goswell (la chanteuse et guitariste du groupe), des quinquas visiblement fans de la première heure et de jeunes couples enlacés, comme bercés par les remous des fuzz. On a eu un peu l’impression d’être enveloppé par l’épaisseur des effets des guitares, nappes synthétiques et voix aériennes, nageant dès lors dans un bain sonore à la douceur bienvenue. Le tout sous l’éclat d’un croissant de lune qui nous toisait de là-haut et, face à nous, un écran sur lequel ondulaient des formes psychédéliques. On s’en rappellera longtemps.
Ils nous avaient asséné une première claque loin de l’Espagne, à Paris, une soirée d’avril. Un peu par hasard, on découvrait Chalk sur la scène du Supersonic – alors bouche bée face à ce groupe de Dublin dont on ne savait encore rien, mais qui a très vite fait montre de sa capacité à retourner les foules. Ces trois-là incarnent aujourd’hui, avec d’autres, le tournant indus du post-punk, nourri de saillies bruitistes et de couleurs dance –, non sans rappeler Model/Actriz, leurs consorts new-yorkais.
C’est donc sans la moindre hésitation et avec une certaine fièvre qu’on s’est pressé devant la scène Firestone du BBK Live – dédiée à la scène émergente – pour des retrouvailles dont on se réjouissait d’avance. Face à un public d’averti·es, Chalk a fait trembler l’asphalte, achevé de convaincre de vieux rockeurs – d’abord en retrait, puis finalement à ras la barrière de sécurité –, et même envoyé valser une cymbale. Comment aurait-on pu mieux clore les festivités ?