Premier épisode de notre série d'été : Sancerre, l'histoire, le vin et l'art

Et si on profitait de l’été pour prendre la route des vins ? Du Centre à l’Auvergne, en passant par la Bourgogne, chaque dimanche, nous vous proposons de partir à la découverte d’un terroir viticole. Le premier épisode de notre série fait une halte à Sancerre, dans le Cher.

C’est presque naturellement que Sancerre guide ses visiteurs vers la Maison Farnault. Comme si la ville voulait se présenter. Cette bâtisse est à l’image de l’histoire de la cité médiévale. Mélange de patrimoine et… de vin.

Datée de la fin du Moyen Âge ou du début de la Renaissance, son origine est floue. Les informations disponibles sur cet édifice datent surtout du XVIIIe siècle. En 1750, la maison est connue comme appartenant à un tonnelier et la cour sert au séchage des merrains, la cave au stockage des fûts et le rez-de-chaussée est l’atelier de fabrication. 

Son histoire bifurque quelques siècles durant : hôpital tenu par des Sœurs, presbytère, maison d’accueil des réfugiés durant la guerre d’Espagne, parquet pour les bals clandestins durant l’Occupation, école maternelle municipale… Puis la Maison Farnault tombe en ruine.

C’est là que la force des vignerons sancerrois se manifeste. Après un échec, en 1968, l’Union viticole sancerroise acquiert enfin l’édifice, qui devient la Maison des Sancerre. Les travaux de restauration débutent en 2002 et durent trois ans. Aujourd’hui, c’est entre ces murs chargés d’histoire que devrait débuter toute visite de la ville.Le jardin aromatique de la Maison des Sancerre invite les visiteurs à découvrir les senteurs qu’ils pourront retrouver dans les vins.

Après un hall d’accueil agrémenté d’une boutique, un escalier mène vers le cœur du lieu. Là, les visiteurs découvrent Sancerre dans toute sa complexité. Son relief, ses roches préhistoriques, l’organisation de ses villages vignerons, le travail à la vigne selon les saisons, l’expérience immersive des vendanges à travers un cinéma 4D et bien sûr, ses vignerons, dont les visages et les histoires défilent sur des écrans.

Dehors, un jardin aromatique invite les visiteurs à découvrir les senteurs qu’ils pourront retrouver dans les vins, le tout en profitant de fenêtres de verdure, ouvertes sur la vallée et ses allées de vignes. Et pour finir : une dégustation de vins, évidemment.

À Sancerre, le breuvage est partout. Au fil des ruelles, les vitrines exposent les bouteilles, surmontées par les noms de nombreux domaines. En se dirigeant vers l’esplanade de la Porte César, l’un des plus beaux panoramas de la ville, une petite boutique cache un grand plaisir.

Le domaine Château de Sancerre crée tous ses vins blancs au cœur même de la ville. Ouvert à la visite, les curieux peuvent là aussi découvrir une part importante de l’histoire de la ville.Les vins blancs du domaine Château de Sancerre sont élevés en cuve inox, en fûts de chênes ou en amphores de terre cuite.

Le domaine existe depuis le Moyen Âge, « à l’époque où le château fortifié était encore debout », raconte Mathilde Berthe, la guide. À l’intérieur des bâtiments, la jeune spécialiste en œnotourisme mène la danse, d’une pièce à l’autre, pour faire découvrir tout le processus de création. Du pressurage à la mise en bouteille, en passant par la fermentation et le vieillissement en fûts de chênes ou en amphores. Les salles se succèdent, tantôt caves en pierre voûtées, tantôt grandes cuves en inox, « c’est un vrai mélange d’ancien et de modernité ».

« Ici, 57 hectares de vignes sont transformés en environ 400.000 bouteilles chaque année », explique Mathilde. Et sur toutes ces bouteilles, un emblème : la Tour des Fiefs. 

Seule rescapée du château fort, la Tour des Fiefs se dresse fièrement au sommet du piton. À côté d’elle, la silhouette rouge du château de Sancerre se dessine. Le simple fait de franchir l’imposante porte César donne l’impression d’être un châtelain important, et le parc, savamment entretenu par un seul homme depuis 34 ans, semble mener vers un autre monde.Propriété privée, le château est ouvert au public tout l’été. En 150 ans d’existence, c’est la première fois que la porte César s’ouvre sur l’extérieur.

Propriété privée, le château est ouvert au public tout l’été. En 150 ans d’existence, c’est la première fois que la porte César s’ouvre sur l’extérieur. Les allées du parc longent les restes de rempart. Ici et là, des bancs proposent de faire une pause à l’ombre des arbres. Et tout en haut, au rez-de-chaussée du château, une exposition de Victor Vasarely, père de l’art optique, joue innocemment avec les paysages de la vallée.

Mais il est un point de vue qui n’a nul autre pareil à Sancerre : le sommet de la Tour et son panorama à 360 degrés. C’est pour sauver ce bijou que le propriétaire a décidé d’ouvrir les portes du lieu. Une grande partie des bénéfices des visites sera reversée pour sauver l’édifice, abîmé par les siècles qui passent.

Au sommet, la splendeur du Sancerrois s’offre sans pudeur. D’un côté, la Loire serpente docilement entre les vignes. De l’autre, les routes s’éloignent vers l’horizon. Loin des bruits quotidiens, les toits de Sancerre esquissent le souvenir du village médiéval, où les ruelles s’enchevêtrent au milieu de maisons de toutes les tailles.Le sommet de la Tour et son panorama à 360 degrés.

Martine Beltramelli tire son inspiration de ces ruelles biscornues. Artiste peintre née à Sancerre, elle tient l’une des nombreuses galeries d’art de la cité, la Casa dell’artista, sur le Rempart des Dames. Sur ses murs, les façades de belles bâtisses du centre-ville se succèdent, mises en valeur sous les coups de pinceau de la sexagénaire.

« J’aime me perdre dans les allées de Sancerre, loin du parcours touristique », sourit-elle. Comme « dans la rue des Chènevières, très romantique avec toute sa verdure ».Martine Beltramelli, artiste peintre sancerroise, aime se perdre dans les ruelles.

Après plusieurs années à Pouilly-sur-Loire, dans le département voisin de la Nièvre, elle retrouve depuis quatre ans le village de son enfance. « Sancerre est une ville avec peu d’habitants, où tout le monde se connaît. Il y a une vie sociale dynamique, c’est vivant?! » Un dynamisme qu’elle retrouvait, durant sa vie nivernaise, « en venant profiter quelquefois des restaurants ».

Les boutiques de vin sont nombreuses. Les endroits où les déguster au cours d’un bon repas aussi. L’incontournable Hôtel des Remparts et son propriétaire, Jacky Fleuriet, institution sancerroise, « l’esplanade, le Connétable, la Pomme d’Or, le Sacripanti, l’Écurie, le Clos Maréchal ou encore le Restaurant de la Tour, mon préféré autant pour la nourriture que pour l’ambiance », liste Martine Beltramelli.Le sancerre se déguste accompagné d'autres spécialités locales, comme le crottin de Chavignol.

À Sancerre, on boit bien et on mange bien. Le crottin de Chavignol est presque aussi connu que le vin de Sancerre. Il y a aussi le croquet, un petit biscuit que l’on trempait autrefois dans le nectar local pour lui offrir un goût d’amandes. Le lichou, un gâteau moelleux à la pâte d’amandes contenant des cubes de melon confit. Ou encore, moins connu « le jambon de Sancerre de chez Chevreau », servi en dégustation au domaine Château de Sancerre.

Rien n’est trop beau ou trop bon pour ce village préféré des Français. Et ce n’est pas Martine Beltramelli qui dira le contraire :  « Aujourd’hui, aucun autre coin de France ne me ferait envie, si je devais partir d’ici un jour, ce serait pour quitter le pays. » Nul doute que les visiteurs qui ont un jour eu le plaisir d’arpenter Sancerre iront en son sens. Patrimoine, nature et bonne chère sont bien les amours indéfectibles des Français, et tous sont réunis sur le piton.

Pour comprendre la typicité du terroir de Sancerre, il faut revenir 30 millions d’années en arrière. Les coteaux du Sancerrois sont situés au cœur d’une structure tectonique : le « fossé de la Loire ». Le résultat d’un étirement de la croûte terrestre, qui a décalé les sous-sols et explique aujourd’hui la diversité des roches. La faille de Sancerre est estimée à une centaine de mètres.

Sur une surface restreinte, le vignoble sancerrois s’étalant sur tout juste 2.800 hectares, les vignerons profitent de trois types de sols : les caillotes et griottes, plutôt calcaires?; les silex et enfin les « terres blanches », plus argileuses.

Les terres blanches, à l’ouest, sont plutôt froides et humides. Le sauvignon mûrit lentement, ce qui donne une teneur en sucre élevée. Contrairement aux vins des caillottes, les vins des terres blanches développent leurs arômes dans la durée, pour devenir plus fermes et charpentés.

Les caillottes, « ces gros cailloux calcaires qui s’enfoncent jusqu’à 30 ou 40 cm sous la surface du sol », et les griottes, composées des mêmes roches, qui s’effritent après quelques centimètres pour se mêler à la terre, offrent un sol bien drainé.

Les ceps installés dessus souffrent moins de la sécheresse. Leurs racines, bloquées par les roches compactes, sont traçantes. Ces différents facteurs induisent un cycle végétatif précoce et donc une maturité rapide des raisins. « Cela donne des vins plus vifs, qui peuvent être dégustés très jeunes. On peut ouvrir les bouteilles dès les premiers mois », explique Agnès Des Places, de la commission des vins. « Ce sont des vins aromatiques, avec un profil floral, élancé, et minéral. »Les sols du territoire sancerrois sont formés de quatre types de roches différents.

Enfin, les « chailloux », à l’est. Un sol de silex, formé par l’altération des roches du Crétacé, est présent sur les pentes de la butte de Sancerre. Il produit des vins plutôt épicés, au bouquet caractéristique de pierre à fusil.

C'est sur ce dernier sol que poussent les ceps à l'origine du vin Vignes silex du domaine Reverdy Ducroux. Car à Sancerre, il n’y a pas de grands crus. Une particularité donne tout de même à certains vins une saveur particulière : les parcellaires. Des parcelles de vignes qui bénéficient de conditions climatiques et de sols plus favorables que les autres, et donnent un vin plus savoureux.

Les vignes silex du domaine Reverdy Ducroux poussent sur un coteau à 190 mètres d’altitude, à l’est de Sancerre et proche de la Loire. Elles permettent de créer un sancerre fruité et minéral au goût de pierre à feu.

Ce coteau a été planté en sauvignon blanc en 1980 et compte 7.500 pieds par hectare. La parcelle est gérée en culture raisonnée. La vendange est choisie à sa meilleure maturité, puis égrappée et pressée délicatement dans des pressoirs de dernière génération. Le moût fermente en cuve inox en levures neutres.

Après un élevage sur lie fine, afin d’augmenter sa densité et ses arômes, le vin est filtré, mis en bouteille et bouché sous vide en bouchon de liège naturel. Le tout donne un vin fruité avec des notes d’agrumes et de pierre à fusil et une belle fraîcheur.

Il se savoure servi à 11 °C, avec des huîtres et autres coquillages, les poissons et les produits locaux tels que les lentilles du Berry ou le crottin de Chavignol. Pour le déguster au summum de sa valeur, il faut ouvrir la bouteille dans les 5 ans, le terroir Silex s’intensifiant tranquillement au fil du temps.

Les Vignes Silex 2022 blanc a obtenu la note de 2 étoiles au guide Hachette vins 2024, ce qui correspond à un vin remarquable. Le jury lui a décerné un coup de cœur.

Delphine Simonneau