Il n’est plus à un exploit près. Il en a tapissé sa carrière de haut en bas et, tout autant que ses peines et ses désillusions, cela lui a valu de se blottir avec passion dans le cœur des Français. De pédaler en tandem avec cette « Poupoularité » incomparable, tout au long d’un destin décidément unique. À 38 ans, c’est toujours aussi vrai. Raymond Poulidor étire sa carrière dans une même ferveur et l’âge ne semble pas avoir de raison sur ses performances. Ce Tour de France 1974, c’est son douzième et il a le mordant d’un cadet, la soif du champion inassouvi.
Les mollets en berne cinq jours plus tôtPourtant, pour le Limousin, des vents contraires ont soufflé cinq jours plus tôt sur cette 61e Grande Boucle dont Eddy Merckx, en l’absence de Luis Ocana, est le grand favori. La 11e étape entre Aix-les-Bains et Serre Chevalier a même carrément viré au cauchemar pour l’enfant de Masbaraud-Mérignat.
Dans la dernière ascension de la journée, le redoutable col de Galibier, le protégé de Louis Caput a dû faire face à une terrible défaillance. Sur les pentes de celui qui marque la limite entre les Alpes du Nord et les Alpes du Sud françaises, il s’est retrouvé sans jus, presque à l’arrêt, les mollets en berne. Concédant à l’arrivée plus de six minutes au « Cannibale ».
Et si, pour « Poupou », le poids de ses 38 printemps pesait désormais trop lourd sur ses épaules ? Sa réponse va se montrer aussi éclatante que ses jambes retrouvées. Car sur cette 16e étape entre Seo de Urgel, en Espagne, et Plat d’Adet, sur les hauteurs de Saint-Lary-Soulan, que le Tour emprunte pour la première fois, le champion miaulétou retrouve ses 20 ans.
Cinq cols se succèdent tout au long des 209 km au programme et, au pied de la dernière difficulté du jour, Raymond Poulidor est dans le groupe de la vingtaine de coureurs qui font la course en tête. Le coureur de chez Gan-Mercier ne mégote pas sur ses efforts et alors que le sommet pointe le bout de sommet, le journaliste Robert Chapatte, en train de doubler en voiture pour se rendre à l’arrivée, s’arrête à sa hauteur et lui dit : « Eddy Merckx n’est pas bien ».
Porté par une foule qui déborde d’enthousiasmeLa remarque vaut comme une invitation pour le Limousin. À un peu moins de 10 km du sommet, il joue du braquet et passe à l’offensive. L’effet est immédiat. Portée par une foule qui déborde d’enthousiasme, l’idole du public lâche irrémédiablement le Cannibale belge dont les crocs sont bel et bien moins aiguisés en ce jour.
Mais ce n’est pas tout. Le Belge Willy Van Neste qui affichait peu de temps auparavant quatre minutes d’avance?? Il l’avale comme qui rigole. L’ensemble de ses rivaux ? Il les met au supplice, fort d’un tempo qui ne faiblit pas.
Sa chevauchée est fantastique, son numéro extraordinaire. Et quand il passe la ligne d’arrivée, à Saint-Lary-Soulan, il peut avoir la satisfaction du travail bien fait. Il devance le deuxième Lopez Carril de 41 secondes, alors qu’Eddy Merckx, sixième, concède 1’49’’. Ce dernier reste Maillot Jaune mais Raymond Poulidor est revenu à la 5e place du général. À six minutes du Belge. Les six minutes qu’il a perdues dans le Galibier…
Cette victoire me rajeunit
Pour autant, le Miaulétou a prouvé à tout le monde, et peut-être à lui-même, qu’il pouvait être toujours aussi fringant et qu’il n’était pas encore temps de le mettre à la retraite, comme certains l’ont avancé.
« Cette victoire me rajeunit », tranche-t-il d’ailleurs. Et elle lui sert de tremplin pour la suite de ce Tour de France 1974. Car les jours suivants, il ne perd plus sa flamme, parvient à combler l’écart qu’il concède sur l’Espagnol Vicente Lopez Carril, s’empare de la deuxième place au général et la conserve à La Cipale lors de l’arrivée finale.
Fidèle à sa légende, le Cannibale Eddy Merckx s’est montré le plus fort et remporte donc son cinquième Tour de France – égalant le record de Jacques Anquetil – en cinq participations. Mais comme un symbole, comme un résumé de sa carrière, le plus applaudi est Raymond Poulidor. Celui qui s’adjuge pour la troisième fois la deuxième place du Tour est littéralement ovationné, comme si c’est à lui que devaient revenir tous les lauriers. Comme si l’amour pour son champion n’avait pas d’âge. Un champion qui, en cet été 1974, s’est offert un enivrant bain de jouvence.La sculpture de Raymond Poulidor au Pla d'Adet. À l’image du directeur du Tour de France Christian Prudhomme, de nombreuses personnalités étaient présentes pour l’inauguration de la statue de Poupou le 25 mai dernier.Une vingtaine de membres de l’ARPAD (Association des Amis de Raymond Poulidor et André Dufraisse) ont escaladé les premiers kilomètres du Pla d’Adet.
Xavier Georges xavier.georges@centrefrance.com