La pression monte au cœur de Paris. Quelques-unes des stations de métro desservant des quartiers touristiques majeurs (Concorde, Tuileries…) sont déjà fermées et la liste va s’allonger à partir du 18 juillet. Sur les quais de Seine, des tribunes sont montées en vue de la cérémonie d’ouverture (le 26 juillet) entre le pont d’Austerlitz et le Trocadéro (pont d’Iena).
Un périmètre sécurisé est d’ores et déjà matérialisé par quelque 45.000 barrières métalliques : une « zone grise » représente une bande d’une centaine de mètres sur chaque rive du fleuve. Dès le 18 juillet, cette zone de sécurité anti-terroriste ne sera plus accessible qu’aux riverains et aux professionnels munis d’un « pass jeux », qui prend la forme d’un QR code obtenu auprès des autorités.
Le Boulevard Saint-Germain, près du Palais-Bourbon est coupé de la Seine par les grilles. Fehti, l’un des kiosquiers les plus proches de l’Assemblée nationale, n'a pas vu passer grand monde ces derniers jours, mais c’est surtout à cause de la pause législatives imposée par la dissolution : « J’espère avoir quand même quelques touristes le temps des Jeux. J’ai d’ailleurs acheté un stock de souvenirs ».
En zone grise, les restaurateurs seront indemnisésRive gauche, toujours, en se faufilant dans un chemin grillagé, on peut encore atteindre le musée d’Orsay. L’exposition historique sur les débuts de l’Impressionnisme se mérite. Autour du musée, des restaurants sont fermés. David, le patron du resto-crêperie Paris-Orsay tient bon mais, le 26 juillet, pour la cérémonie d’ouverture, il fermera.
Les quais de Seine au niveau du Palis-Bourbon le 8 juillet. photo Franck Boileau Le syndicat Umih est monté au créneau : « Beaucoup de cafés et restaurants prévoyaient de fermer dans cette “zone grise”, mais on a obtenu de Gabriel Attal la mise en place d’une commission d’indemnisation du préjudice économique. S’il y a des pertes avérées de chiffre d’affaires, il sera possible de remplir un dossier », assure son président parisien Franck Delvau, qui n’en trouve pas moins « moches » ces « 45.000 barrières le long de la Seine ».
La baisse du tourisme international était annoncéeGrossiste en viande, livrant une centaine de restaurants parisiens, Christophe Claudel a lui aussi le moral en « zone grise » et l’exprime sans ambages : « On change tous nos horaires pour pouvoir livrer de nuit. Et à tous les salariés des fournisseurs des restaurants on a dit de ne pas prendre de vacances. Tous ces efforts pour, au final, ne pas faire de chiffre supplémentaire, ça risque de dégoûter tout le monde ».
A proximité de la place de la Concorde, un site olympique en cours de montage. photo Franck Boileau
Car pour l’instant, l’effet JO sur l’attractivité de la ville-lumière n’est pas au rendez-vous, ce serait même plutôt l’inverse.
15,1 millions de visiteurs sont attendus cet été à Paris pour les Jeux olympiques et paralympiques. En 2023, une bonne année, le cumul de visiteurs dans la capitale sur les trois mois d’été atteignait 12,7 millions, avec une hausse notable (8 %) des touristes étrangers, a comptabilisé l’Office de tourisme et des congrès de Paris. « Ce chiffre de 15 millions, c’est un leurre, grince Franck Delvau, le représentant syndical des hôteliers. Un été normal à Paris c’est 3,5 à 4 millions de touristes étrangers. Les JO ça va en ramener au maximum 1,5 million ».
« Ils ont fait peur aux Parisiens »L’Office de tourisme et des congrès parisien a bien anticipé le fait que les spectateurs des JO seront essentiellement des Français (à 92 %). La fréquentation des visiteurs étrangers devrait ainsi connaître « une baisse de 18,2 % par rapport à une année normale ».
« Plutôt que de parler d’effet d’éviction, nous parlons davantage d’effet de substitution des touristes habituels par les touristes des JO. Cela ne veut pas dire que certains équipements, comme les musées, ne perdront pas au change », euphémise l’office parisien.
De façon plus cash, Franck Delvau évoque « un niveau de fréquentation de début d’été catastrophique. Paris est quasiment déserté ».
Même constat pour Christophe Claudel, commercial d’une boucherie en gros, qui fournit une centaine d’établissements parisiens. Ces jours-ci, ses clients ont le moral à zéro.
« Paris était vide la semaine dernière. D’habitude, jusqu’au 14 juillet, ça bosse bien. Ils ont fait peur aux Parisiens, tout le monde s’est barré »
La période d’incertitude politique ouverte le 9 juin a eu aussi son effet : « Il y a eu quinze jours d’arrêt pour les repas d’affaires ». L’incitation au télétravail aurait également très bien fonctionné : « Il n’y a plus de réunions en présentiel », note Franck Delvau. « Je connais des restaurants qui fonctionnent avec des habitués qu’ils ne verront pas durant deux mois. Leur entreprise leur propose de cumuler vacances et télétravail sur tout juillet-août », abonde Christophe Claudel.
Baisse de fréquentation des aéroports parisiensCôté hôtellerie, sont remontés au président de l’Umih-Paris des taux d’occupation moyens de « 50 %. Et ça ne montera pas au-dessus de 70 % au plus fort des Jeux ». Christophe Claudel cite des hôtels de grande capacité « remplis à 30 % ».
Le prix moyen d’une chambre d’hôtel à Paris est cet été, tout standing confondu, de 300 euros.
« Dans toutes les villes olympiques, les prix ont été multipliés par trois, à Paris, on serait un peu en dessous. Ce qui a vraiment flambé, ce sont les prix les locations touristiques meublées de courte durée. Certains ont cru gagner au loto ».
Des hôteliers n’en ont pas moins dû revoir leurs tarifs à la baisse, après s’être laissés griser.
Même les bateaux-mouches ne font pas le plein, alors que la haute saison a débuté. Paris, le 8 juillet photo Franck Boileau Parmi les indicateurs très sûrs : « Les aéroports parisiens accusent une baisse de fréquentation de 10 à 15 % », rapporte Franck Delvau. Pas étonnant : des influenceurs se sont fait mousser en pratiquant le « JO bashing ». D’aucuns allant jusqu’à agiter à nouveau le spectre des « punaises de lit » pour effrayer à bon compte les touristes étrangers.
« Même à Montmartre, ça ne bosse pas. C’est un point de repère très fiable de l’activité. Et les “Champs” sont à moitié vides… », déplore Christophe Claudel, qui vient d’assister à la « fermeture définitive d’un établissement important sur les Champs-Élysées. Ils n’ont même pas attendu que les Jeux soient passés ». Les défaillances dans le secteur sont remontées en flèche, confirme l’Umih, et notamment à Paris.
Le précédent des JO de Londres en 2012Cet « effet JO » pour l’instant très décevant a un précédent : les Jeux olympiques de Londres en 2012. Le nombre de touristes étrangers avait été divisé par trois, tandis que les Londoniens avaient fui. Ils avaient suivi les prescriptions des autorités anticipant un engorgement des transports. Au mois d’août 2012, Londres s’était transformée en « ville fantôme », selon les médias britanniques. À tel point que le Premier ministre David Cameron avait dû battre le rappel en catastrophe en appelant la population “à venir consommer dans les boutiques et les restaurants ».
Photos : Franck Boileau Texte : Julien Rapegno