M/V Thunbderbird, un bateau de légende

Conçu à la fin des années 30 par le légendaire John L. Hacker, Thunderbird est une parfaite synthèse du savoir-faire motonautique et aéronautique de l’époque. Soutenu par une fondation, ce modèle, qui figure parmi les yachts américains les plus célèbres de tous les temps, continue de faire rêver. Texte Bruno Cianci avec Michel Luizet - Photos DR [caption id="attachment_185044" align="aligncenter" width="500"] Le yacht passe devant l’une des marques du domaine de Thunderbird, qui repose en grande partie sur l’utilisation de pierres. © E. jarvis[/caption] Quelques mois avant le krach de la bourse de New York en 1929, un magnat du nom de George Whittell Jr., né en 1882, a la sagesse, sinon l’intuition, de vendre environ 50 millions de dollars d’actions (environ 900 millions aujourd’hui) pour replacer la somme dans des investissements fonciers et immobiliers. L’homme en question est originaire de la région de San Francisco. Il est l’héritier d’une vaste fortune amassée, à l’époque de la ruée vers l’or, par ses grands-parents dans le secteur de la banque, l’immobilier et les chemins de fer. [caption id="attachment_185048" align="aligncenter" width="500"] Cette vue de drone prise devant le domaine permet d’observer que la proue de Thunderbird s’élève d’environ un pied et demi lorsqu’il navigue à grande vitesse. © Nathan Dethlefsen[/caption]

Vue sur le lac à couper le souffle

Au milieu des années 1930, le jeune quinquagénaire concentre ses investissements dans l’État du Nevada, où les impôts sont négligeables et où il peut se consacrer au jeu, l’une de ses plus grandes passions. À ses côtés se trouve sa troisième épouse, la Française Elia Pascal, qu’il a rencontrée en Europe pendant la Première Guerre mondiale. Malgré son infidélité chronique, Whittell restera marié avec elle jusqu’à sa mort en 1969. Le tycoon a le sens des affaires et sait se montrer visionnaire. Il achète à tour de bras des parcelles autour du splendide lac Tahoe, ainsi que 30 km de rives, soit près de la moitié de sa circonférence. Son projet consiste à faire de cet endroit à la nature sauvage envoutante un lieu de villégiature pour gens fortunés, avec station de ski à proximité et hôtel-casino de grand luxe. [gallery columns="2" size="medium" ids="185047,185033"] Sous ses ordres est construit un manoir qui prend le nom de Thunderbird Lodge, en hommage à l’oiseau légendaire de la culture amérindienne (« oiseautonnerre »). Cette superbe résidence privée est conçue par Frederic DeLongchamps, l’architecte le plus en vue du Nevada. Elle est le résultat d’une approche architecturale qui se veut en harmonie avec son environnement, que certains qualifieront d’architecture organique. Tout, de l’emplacement à la conception, des matériaux aux choix en matière de paysagisme, reflète cette philosophie. Le style est un mélange de rustique et de néo-Tudor, presque avant-gardiste pour l’époque. La construction a fait l’objet d’un haut niveau d’expertise dans le choix des matériaux, concernant la maçonnerie en pierre, la ferronnerie et le travail du bois. Ainsi, le Lodge, habité par le couple en été de 1939 à 1968, offre une vue sur le lac à couper le souffle. Perché sur un promontoire rocheux, le bâtiment principal est réparti sur trois niveaux, sans être démesuré. En effet, le couple Whittell n’aime pas recevoir ses invités pour la nuit. Il a fait construire sa résidence d’été sur mesure et pour ses invités occasionnels, qui quittent le domaine après quelques heures de plaisir. [caption id="attachment_185051" align="aligncenter" width="500"] Cette image met en évidence le toit ajouté et l’aménagement du cockpit, modifications voulues par le second propriétaire de Thunderbird. © DR[/caption]

Coque et cockpit inspirés d’un DC-2

En plus de ce manoir, la propriété comporte des cottages, des maisons pour les domestiques et une « grange à éléphants », car le fantasque maitre des lieux a une passion pour les animaux sauvages. George Whittell a aussi toujours été fasciné par les dernières technologies, qu’ils s’agisse d’avions, de voitures et de bateaux. Parmi les nombreux engins mécaniques qu’il possède figurent un DC‑2, customisé pour son usage personnel, un hydravion Grumman Goose, six voitures de collection de marque Duesenberg, un yacht de 44 m de long et celui qui nous intéresse, l’iconique Thunderbird. [caption id="attachment_185045" align="aligncenter" width="500"] Le garage couvert de Thunderbird, sur la rive névadaise du lac Tahoe, présente des dimensions parfaitement adaptées à ce yacht hors norme © Eric Jarvis[/caption] Commandé par Whittell pour ses déplacements personnels sur le lac Tahoe, ce bateau, qui ne ressemble à aucun autre, est l’oeuvre de l’architecte naval de renom John Hacker, tandis que la construction est effectuée par Huskins Boat Works, à Bay City dans le Michigan. Épris des lignes de son DC-2, baptisé lui aussi Thunderbird, l’excentrique nabab exige que la coque et le cockpit s’inspirent du fuselage de sa machine volante préférée. [gallery columns="2" size="medium" ids="185053,185052"] Fabriqué en acajou à double lame et en acier inoxydable brossé, le yacht de 17 m de long est censé assurer les déplacements d’agrément du milliardaire sur le lac Tahoe, avec style et rapidité. Acheté 87 000 $ (environ 1,9 million de dollars d’aujourd’hui), Whittell prend livraison de Thunderbird à l’été 1940. Il le fait venir depuis le Michigan par train jusqu’à Tahoe City et commence à l’utiliser aussitôt. [caption id="attachment_185029" align="aligncenter" width="500"] Thunderbird, pris en photo sur une remorque, à l’époque où il voyageait par voie terrestre entre le lac Tahoe et San Francisco. ©DR[/caption] En décembre 1941, l’entrée en guerre des États- Unis fait craindre au milliardaire que son yacht ne soit saisi par le gouvernement pour l’effort de guerre. Il a alors l’idée de le cacher dans un hangar à flot grand comme un terrain de basket, qu’il reliera par la suite à sa propriété en faisant creuser un tunnel de 180 m de long. Thunderbird reste à l’abri jusqu’à la fin du conflit. L’après-guerre est moins glorieux. Whittell, diminué physiquement par une fracture de la hanche mal soignée, ne se déplace qu’en fauteuil roulant. Il vit de plus en plus reclus dans sa propriété. Suspendue au sec par des élingues dans son garage, Thunderbird ne sortira plus de sa cachette deux décennies durant. Il faut attendre 1962 pour que Whittell se décide à le vendre. L’acheteur se nomme alors Bill Harrah, un businessman qui a fait fortune en lançant une chaine de casinos. Celui-ci procède à quelques modifications à bord. Cela passe entre autres par l’ajout, au centre du long fuselage d’acier, d’une superstructure qui abrite désormais le poste de pilotage. [caption id="attachment_185035" align="aligncenter" width="500"] Le deuxième propriétaire, Bill Harrah (à gauche), et son épouse aimaient recevoir à bord des stars de Hollywood, chanteurs et personnalités en vue. © DR[/caption]

60 nd grâce aux nouveaux moteurs

Il remplace également les moteurs. Bill Watson, historien et dirigeant du TPS, connait tous les détails de ce refit d’anthologie. [caption id="attachment_185037" align="aligncenter" width="500"] Thunderbird peu après sa transformation de 1962. La timonerie arrière est le principal ajout © DR[/caption] « Lorsque Harrah achète Thunderbird, les moteurs Kermath (2 x 550 ch) d’origine affichent seulement 83 heures de fonctionnement ! Whittell n’a en fait navigué sur Thunderbird que pendant les étés 1940 et 1941, poursuit Watson. Les moteurs furent remplacés par deux moteurs d’avion Allison V-1710, identiques à ceux qui équipaient le Lockheed P-38 Lightning pendant la Seconde Guerre mondiale. La puissance totale à bord de Thunderbird est porté à 2 200 ch. Lors de son lancement en 1940, les premiers essais sur la rivière Saginaw avaient permis de relever une vitesse de 39,1 nd à plein régime. Vingt-deux ans plus tard, le bateau est chronométré à 60 noeuds avec sa nouvelle motorisation. Pour y parvenir, Harrah avait quand même dû ajouter des foils pour stabiliser la coque et l’empêcher de plonger dans sa vague d’étrave ! » [caption id="attachment_185036" align="aligncenter" width="500"] Des membres de l’US Air Force posent à côté d’un avion P-38 Lightning et d’un moteur Allison V-12, du même type que celui installé à bord de Thunderbird. © DR[/caption] Thunderbird entame alors une nouvelle vie faite de balades mondaines sur l’eau. Il sert à divertir les clients les plus flambeurs des casinos de Bill Harrah. Frank Sinatra, Tony Bennett, Sammy Davis Jr., Bill Cosby ou encore Liza Minnelli auront le privilège d’être invités à bord. [gallery columns="2" size="medium" ids="185030,185040"] À la fin de chaque saison, le torpédo hiverne confortablement dans un chantier naval de Reno, la grande ville voisine. La coque et les parties en acajou sont sablées puis recouvertes à nouveau de dix couches de vernis. À la mort de Harrah en 1977, la chaine d’hôtels Holiday Inn rachète tous ses biens avant de les revendre peu après aux enchères. [caption id="attachment_185028" align="aligncenter" width="500"] Thunderbird photographié sur toile de fond des conifères qui tapissent les rives du lac Tahoe, entre Californie et Nevada © E. Jarvis[/caption] Thunderbird tombe dans l’escarcelle d’un couple fortuné, Clyde et Joan Gibb, qui le transportent jusqu’à Oakland, dans la baie de San Francisco. Mauvaise idée : conçu pour l’eau douce, le yacht se détériore rapidement dans le milieu salin. Retour donc au bercail quelques années plus tard. Le divorce des Gibbs change définitivement le destin de Thunderbird. Au milieu des années 2000, c’est la jeune Thunderbird Lodge Preservation Society qui hérite du domaine et de la gestion du bateau. [caption id="attachment_185041" align="aligncenter" width="500"] L’intérieur tel qu’il apparait aujourd’hui, avec des finitions particulièrement soignées. Les canapés disposent de revêtement spéculaire, typiques des meilleurs commuters. © B. Cianci[/caption]

Sauvé par celui qui devait tout raser

Bill Watson et d’autres personnes altruistes ont en effet contribué, grâce à la création de cette fondation, à sauver la propriété d’une inévitable démolition par les promoteurs immobiliers. « Je suis venu sur le lac en 2006 avec pour mission de raser le Thunderbird Lodge, se souvient Watson dans une interview bien connue. Mais je suis tombé amoureux du lieu et je ne pouvais pas le laisser partir. » [caption id="attachment_185038" align="aligncenter" width="500"] Bill Watson, responsable de la Tahoe Preservation Society, grâce à qui le domaine et Thunderbird existent encore aujourd’hui. © DR[/caption] Le sauvetage du Lodge et de Thunderbird est devenu une fierté locale, presque nationale. [caption id="attachment_185050" align="aligncenter" width="500"] Thunderbird © S. Lapkin[/caption] Le M/V Thunderbird est désormais disponible à la location au prix de 5 000 dollars les deux heures de navigation ! Toutefois, le moyen le moins onéreux pour profiter de Thunderbird est d’assister au concours d’élégance du lac Tahoe, qui a lieu chaque été. [caption id="attachment_185042" align="aligncenter" width="500"] Des admirateurs devant Thunderbird lors de l’Antique Boat Show qui se tient chaque année sur le lac Tahoe. Le bateau est considéré là-bas comme une icône. © DR[/caption] La 50e édition est prévue en aout 2024. Pour un don minimum de 20 $, les passionnés peuvent effectuer une sortie sur les eaux du lac Tahoe, sans lequel ce bateau n’aurait probablement jamais vu le jour. [gallery columns="2" size="medium" ids="185032,185049"]

Carnet de voyage Thunderbird et le lac Tahoe

[caption id="attachment_185034" align="aligncenter" width="500"] Tout proche de Carson City, la petite capitale du Nevada, le lac Tahoe se situe à environ 80 km de Reno, plus grande ville du nord de l’État, et à 320 km de San Francisco, en Californie. La frontière entre les deux États passe au milieu du lac. © Neptune yachting Moteur[/caption]

Géographie

Niché au coeur de la Sierra Nevada, le lac Tahoe est à cheval entre les États de Californie et du Nevada. Le lac est situé à 1 897 m d’altitude et sa profondeur maximale dépasse les 500 m. Entouré de stations de ski, le lac est aussi un lieu de randonnées terrestres extraordinaires qui font sa réputation.

Comment s’y rendre ?

Prendre l’avion jusqu’à San Francisco, puis louer une voiture pour parcourir les 320 km en 3 h 30 jusqu’à la rive occidentale du lac, côté californien. Reno (Nevada) est la grande ville la plus proche (80 km). [caption id="attachment_185046" align="aligncenter" width="500"] Les visiteurs embarquent depuis un petit ponton
au pied du manoir de Thunderbird Lodge. © E. jarvis[/caption]

Que faire sur place ?

Faire le tour du lac en voiture en suivant le Lake Tahoe Scenic Drive (100 km environ). Découvrir Emerald Bay, une anse féérique située au sud du lac, sur un bateau à aubes du XIXe siècle. Participer à un charter de pêche pour taquiner le saumon…

Preserving Lake Tahoe

Cette fondation gère le lodge et le bateau de George Whittell. Le manoir se visite de juin à mi‑octobre uniquement sur réservation (75 $ par personne, tarif unique). La visite (1 h 30) inclut le manoir, le tunnel secret et le garage à bateau quand celui-ci est disponible.

Louer Thunderbird

Le bateau se réserve pour des évènements privés avec des tarifs élevés (environ 5 000 $/2 h), mais aux États-Unis, c’est déductible des impôts ! Réservation sur demande. [caption id="attachment_185043" align="aligncenter" width="500"] Depuis le milieu des années 2000, le bateau est administré par une fondation en charge de conserver le patrimoine Thunderbird. © D. Jones[/caption]

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