Formé en 2022 à Nicosie dans la zone tampon surveillée par l'ONU qui sépare les deux communautés de l'île, le groupe Island Seeds (graines d'île, en français) joue dans "la perspective d'un avenir commun", confie à l'AFP le guitariste de 36 ans.
"C'est une année très triste", admet l'auteur-compositeur chypriote-grec, évoquant "50 ans" de séparation depuis la partition de l'île en 1974 après des années de tensions intercommunautaires.
"Mais il y a quelques poches d'espoir dans certaines initiatives" comme la leur, qui, selon lui, va au-delà du "projet bicommunautaire" pour établir "une connexion entre les personnes" dans un pays coupé en deux.
Les musiciens de Island Seeds, tous âgés de moins de 50 ans, n'ont pas connu leur pays avant la division, intervenue après l'invasion turque de son tiers nord en réponse à un coup d'Etat de nationalistes chypriotes-grecs souhaitant rattacher le pays à la Grèce.
Une partition sans issue après plusieurs décennies de dialogue infructueux, même si l'île est restée en grande partie paisible en raison d'un statu quo.
Mais quand les musiciens du groupe jouent, ils "ne pensent pas à la division, tout se fond dans la musique", assure Lefteris Moumtzis, manager et producteur chypriote-grec du groupe, âgé de 46 ans.
Pour Ezgi Akgürgen, Chypriote-turque de 35 ans et chanteuse principale d'Island Seeds, dont la plus jeune membre a 26 ans, écrire avec le groupe est "thérapeutique" et permet de partager un traumatisme commun qui perdure.
"Situation fragile"
Plus loin, dans la zone tampon, une quarantaine de Chypriotes grecs et turcs se réunissent tous les mercredis depuis 27 ans dans un ancien hôtel emblématique de l'île pour chanter dans la "Chorale bicommunautaire pour la paix à Chypre".
Leur répertoire est à l'image de leur mission: des chansons traditionnelles chypriotes en grec et en turc véhiculant des messages de fraternité.
La chorale "est en quelque sorte politique", affirme à l'AFP l'un de ses fondateurs, George Spyrou, Chypriote grec de 65 ans. Elle permet de "montrer aux gens que nous pouvons vivre ensemble".
"Dans notre chorale, il n'y a pas de +Tu es Turc, je suis Grec+, nous sommes +Chypriotes+", renchérit Zomrut Oral, une architecte chypriote-turque de 52 ans.
A quelques pas de là, côté nord, l'établissement San Telmo réunit chaque vendredi soir des amateurs de tango venus des deux côtés de l'île - chypriotes-grecs dans le sud et chypriotes-turcs dans le nord - ainsi que des résidents étrangers.
Ici, "ce n'est ni le nord ni le sud, c'est l'endroit du tango", un "langage commun" qui "nous unit" car, "lorsque vous étreignez quelqu'un, vous ne vous souciez pas vraiment de l'endroit d'où il vient", affirme Christiana Neofytou, une danseuse chypriote-grecque, au milieu de danseurs virevoltant sur le parquet.
"Les divisions existent, tout le monde en est conscient", mais "le tango reflète le genre de pays dans lequel nous voulons vivre", dit de son côté à l'AFP Kemal Baykalli, Chypriote-turc de 48 ans, avant d'emmener sur la piste la jeune femme de 36 ans, qui s'était rendue pour la première fois dans le nord pour le tango il y a quelques années.
Pour Meltem Onurkan Samani, fondatrice et coordinatrice générale du Centre de paix et de dialogue de Chypre, les activités bicommunautaires "contrebalancent la propagande et les récits négatifs nés du conflit, où chaque partie se victimise".
Mais "il ne suffit pas de chanter et de danser ensemble pour résoudre le problème chypriote".
"Nous devons élever nos voix (...) pour que ces activités soient réellement efficaces sur le plan politique et contribuent à une solution", dit à l'AFP cette Chypriote-turque de 55 ans, pour qui "le statu quo n'est pas viable" car "sans règlement, la situation est fragile".