Sa vie de chef de file des députés socialistes, qui l’ont désigné à l’unanimité mercredi 10 juillet, sera bien différente dans cette nouvelle législature. Il est fini le temps de président d’un groupe d’une trentaine de députés. Voilà Boris Vallaud meneur de 69 parlementaires à la rose, au minimum… Car il se murmure quelques recrutements à venir, pour grossir les rangs et tenir la dragée haute à la France insoumise au sein du Nouveau Front populaire. 69 députés PS, et pas des moindres : sur les bancs, on remarquera François Hollande, l’ancien président dont Vallaud fut secrétaire général adjoint à l’Élysée entre 2014 et 2016. Ou encore l’ancien ministre de la Santé Aurélien Rousseau, son ami de longue date avec qui il ferraillait lors de la bataille des retraites voilà un an.
L’Express : Dans une lettre aux Français, publiée dans la PQR, Emmanuel Macron "demande à l’ensemble des forces politiques se reconnaissant dans les institutions républicaines" de "bâtir une majorité solide, nécessairement plurielle, pour le pays". Y êtes-vous favorable ?
Boris Vallaud : Je suis favorable à ce que le vote des Français soit entendu. Ils ont refusé de porter l’extrême droite au pouvoir et y ont opposé un front républicain, ils ont infligé une défaite cinglante à Emmanuel Macron et ont placé le Nouveau Front populaire en tête à l’Assemblée nationale. Cette lettre donne une lecture partielle et partiale de la réalité. Il est curieux d’en appeler à une majorité solide quand la vôtre se disloque sous vos yeux ! Les Français ne font plus confiance au président de la République pour leur indiquer un chemin. Ils l’ont choisi malgré lui. Emmanuel Macron n’a plus la main. Le pouvoir n’est pas à l’Élysée mais au Parlement. Ce chemin, c’est le Nouveau Front Populaire au gouvernement pour appliquer au plus vite les mesures d’urgence sociale attendues par les Français… Et le front républicain à l’Assemblée nationale pour faire vivre le débat démocratique et engager les grandes réformes dont le pays a besoin. Et, j’ajoute, le front social dans le pays, pour redonner aux partenaires sociaux et à la démocratie sociale toute sa place. Pourquoi ne serions-nous pas capables de débattre de nos propositions et de construire les grands compromis républicains qui font les lois immortelles ? Les Français attendent désormais une rupture avec le macronisme. Une rupture sur le fond en inversant l’ordre des priorités, c’est-à-dire être du côté de la France qui n’a que son travail pour vivre et qui n’en vit pas toujours, et pas du côté de la France qui va bien. Et une rupture sur la forme : respecter le Parlement, les corps intermédiaires, les collectivités locales et en finir avec le césarisme présidentiel.
D’ici là, le gouvernement se chargera des affaires courantes. Est-il urgent d’attendre pour nommer un nouveau gouvernement ?
La situation est inédite et il est vrai que d’autres pays plus coutumiers des majorités relatives prennent du temps pour constituer un gouvernement, mais nous venons de vivre deux campagnes électorales éprouvantes. Il y a de l’impatience dans le pays autant que de la lassitude. Les Français veulent être rassurés, ils veulent être gouvernés. Nous sommes prêts. Que le président nomme un gouvernement issu du Nouveau Front populaire ! Qu’on évite aux Français les manœuvres dilatoires du président de la République pour conserver la main, pour essouffler l’élan démocratique donné au Parlement par les Françaises et les Français, voire pour trahir leur vote.
Nous sommes une force motrice, autonome, respectée
Le groupe socialiste à l’Assemblée nationale vous a redonné sa confiance, vous désignant président à l’unanimité. Le nombre des députés PS a doublé. Qu’est-ce que cela va changer pour vous ?
Je veux dire ma reconnaissance envers mes collègues qui m’honorent de leur confiance. C’est aussi une grande responsabilité dans la période. Les socialistes sortent considérablement renforcés de ces élections, notre groupe est renouvelé, très représentatif de la diversité du territoire français et riche de talents. Nous sommes avec nos collègues sénateurs socialistes la première force politique à gauche au Parlement avec plus de 130 parlementaires. Cela donne de la force à nos combats autant que cela oblige à être aux rendez-vous des attentes des Françaises et des Français : pouvoir d’achat, services publics, logement, justice fiscale, sécurité du quotidien et lutte contre le narcotrafic… C’est la gauche qui se renforce quand les socialistes se renforcent et je ne peux que m’en réjouir. C’est la raison pour laquelle les socialistes sont candidats à diriger ce gouvernement de front populaire.
Sous la précédente législature, la cohabitation n’était pas toujours simple, notamment avec les insoumis. Comment éviter de retomber dans les travers de la Nupes ?
Nous n’avons pas reconstitué la Nupes. Il n’y a pas d’intergroupe par exemple, les présidents se voyant en tant que de besoin. Le Nouveau Front populaire c’est bien autre chose, c’est plus que nous et nous n’en sommes pas propriétaires ! Il appartient aussi au peuple de gauche, aux forces sociales, syndicales, au tissu associatif, aux mouvements citoyens… Et dans ce Front populaire, parce que les équilibres sont différents après la très belle campagne de Raphaël Glucksmann comme après ces élections législatives, personne ne peut plus considérer les socialistes comme une force d’appoint. Nous sommes une force motrice, autonome, respectée et dont la ligne est claire. Nous continuerons d’affirmer ce que nous sommes, socialistes ardents, républicains intransigeants, tout en ne renonçant jamais à une union de la gauche la plus large possible sans laquelle on ne peut pas changer la vie.
Rendons à nos concitoyens le pouvoir qu’Emmanuel Macron leur a pris
Olivier Faure semble tenir la corde pour être le candidat à Matignon. N’y avait-il que lui ? Votre nom a été cité aussi.
Ces dernières semaines, plusieurs noms socialistes ont émergé pour cette fonction et cela montre que nous sommes un parti qui a l’expérience de l’État et beaucoup de talents. Olivier Faure est le Premier secrétaire de notre parti, il a toute la légitimité pour être le Premier ministre issu de ces élections législatives et il a mon soutien et ma confiance.
Ne vous trompez-vous pas de sujet ? Au regard de la configuration de l’Assemblée, aucune des trois coalitions n’a la force numérique pour réformer. Vous serez victime des majorités de blocage…
Des majorités de blocages pour faire échec à des mesures attendues par les Françaises et les Français ? L’augmentation du Smic et des salaires ? Le blocage des prix des biens de première nécessité ? L’abrogation de la réforme des retraites rejetée par 80 % des Français ? L’annulation de la réforme de l’assurance chômage pour redonner la main aux partenaires sociaux ? Ça serait trahir les Françaises et les Français. Des majorités de blocage avec le concours de l’extrême droite ? Ça serait les trahir encore. Nous avons toutes et tous entendus dans cette campagne les vies difficiles, le travail qui ne paye pas, les fins de mois qui arrivent de plus en plus tôt, la difficulté à se loger ou à se soigner, à remplir son réfrigérateur ou son réservoir d’essence. Nous avons tous entendu les déserts médicaux, les services publics sans visage ou qui s’éloignent, celles et ceux qui les servent et en perdent parfois le goût et le sens… Si nous ne sommes pas capables d’améliorer rapidement et durablement la vie des Françaises et des Français, alors le barrage républicain ne sera plus qu’un pauvre barrage contre le pacifique de l’extrême droite. Voilà pourquoi je dis : un gouvernement de Front populaire, un parlement de Front républicain. Soyons assez intelligents pour ne trahir ni nos électeurs de premier tour, ni nos électeurs de second tour. Un gouvernement exigeant pour mettre en œuvre un programme ambitieux, un parlement intelligent et suffisamment adulte pour trouver les majorités autour de textes servant l’intérêt général et la vie des Français. Nous y sommes prêts. Qui pourrait sérieusement y opposer une majorité de blocage ?
De fait, la durée de vie d’un gouvernement, qu’il soit de droite ou du Nouveau Front populaire, est limitée.
La seule chose qui devrait nous guider c’est la recherche de la justice et de l’intérêt général. Il faut changer la façon de faire. Nous sommes une grande démocratie, nous devons être à la hauteur de ce grand défi. Respectons enfin les partenaires sociaux, le dialogue social et le débat parlementaire, faisons confiance aux collectivités territoriales, donnons la parole aux Françaises et aux Français. Bref, rendons à nos concitoyens le pouvoir qu’Emmanuel Macron leur a pris. Et je souhaite aussi dire aux citoyens français, car ils ont montré qu’ils sont toujours un grand peuple politique avec cette participation autant qu’avec ce front républicain : restez, soyez exigeants mais soyez là, nous avons besoin d’être portés et irrigués par la société civile. Il y a le Front populaire, il y a le front républicain. Il doit y avoir aussi un front social à nos côtés, c’est ensemble que nous pourrons largement rassembler pour améliorer la vie de celles et ceux pour qui la fin du mois est de plus en plus tôt.
Comment gouverner alors ? Par 49.3 ?
Je ne le souhaite pas. Pas plus que je ne crois souhaitable de gouverner par ordonnance. Nous ne pouvons pas reprocher une brutalisation du Parlement par Emmanuel Macron depuis 7 ans et faire de même. N’imposons pas nos mesures, essayons de convaincre sur notre programme et de rassembler. Acceptons le dialogue, le compromis sans compromission. Les Français ont affirmé leurs priorités dans cette campagne, le pouvoir d’achat, les services publics, la justice, la tranquillité au quotidien, ce sont celles que nous portons et nous avons des propositions fortes : si certains veulent présenter leurs solutions, nous devons les regarder.
Dans un communiqué, Renaissance appelle à "une coalition de projets allant des sociaux-démocrates à la droite de gouvernement" et qui exclut LFI. Est-ce possible ?
Nul ne saurait oublier - comme l’a malheureusement fait à deux reprises le président de la République - les conditions de son élection. Pour ma part, je ne l’oublie pas et cela m’oblige vis-à-vis de mes électeurs. Le front républicain, c’est tout sauf l’extrême droite. Tous les partis, et d’abord ceux du Nouveau front populaire, ont participé à ce barrage contre l’extrême droite. Madame Borne, par exemple, a bénéficié du désistement d’un candidat LFI contre le Rassemblement national. Je pose une question simple à celles et ceux qui ont bénéficié du front républicain : vont-ils l’appliquer à l’Assemblée nationale et faire barrage ou vont-ils, comme en 2022, permettre à l’extrême droite d’accéder à des postes de responsabilité ? Tenons l’engagement des électeurs jusqu’au bout.
L’urgence ne fait-il pas nécessité ?
La seule urgence, elle est sociale. Mettons-nous en situation de répondre aux colères, aux angoisses et aux difficultés des Françaises et des Français. Entendons ce qui nous a été dit dans cette campagne. Si nous ne changeons pas la vie, nous serons emportés.
Un groupe commun du Nouveau front populaire peut-il être envisageable ?
Non. Chacun aura son propre groupe car chacun a sa sensibilité, son histoire, son autonomie et sa liberté.
