«Qu’allez-vous faire si vous êtes élue ? Honnêtement, je n’ai pas encore réfléchi au problème », déclare franco une candidate Rassemblement national entre les deux tours des législatives tandis qu’une autre affirme tout aussi spontanément que « nous sommes encore dans l’ère glaciaire ». Et il y a eu aussi la candidate qui a posé avec une casquette nazie ; la retraitée ex-preneuse d’otage ; le sexagénaire sous curatelle…Devant les micros tendus par les journalistes et, forcément, sur les réseaux sociaux, les électeurs ont eu droit à un festival. Au mieux d’imprécisions ; au pire, d’inepties frôlant parfois avec les limites de la légalité.
Erreurs de castingLa brièveté de la campagne n’est pas une explication : elle a été la même pour tous les partis. À quoi tient alors l’impréparation de la part d’un mouvement dont le canal historique, le Front national, est vieux de plus d’un demi-siècle ? À quoi sont dues ces erreurs de casting flagrantes au point que des postulants ont été désinvestis à la hâte et en vain puisqu’entre les deux tours, le retrait de candidature est légalement impossible ?Hier, au lendemain des élections où, pourtant, le parti a presque doublé le nombre de ses élus, le directeur général du Rassemblement national (RN, ex-Mégrétiste), Gilles Pennelle, l’artisan du « Plan Matignon » censé prévoir toute la logistique, a joué les fusibles en démissionnant de son poste…Comme avant le FN, « le RN ne parvient pas à recruter beaucoup et sur l’ensemble des territoires, et, de plus, il y a des différences énormes entre les fédérations », pointe la politiste Safia Dahani (2).
Logiques sociales« Le RN, appuie Jean-Yves Camus (*), n’a plus le maillage territorial qui existait avec le Front National […] même s’il reposait sur un petit nombre de personnes, celles-ci tenaient » les fédérations départementales. « Pour faire campagne, renchérit la post-doctorante à l’EHESS, il faut aussi du temps et si possible de l’argent en plus de bien vouloir se présenter sous une étiquette politique […] ». De fait, « les logiques sociales » diffèrent. À droite, on recrute dans les professions libérales, les cadres supérieurs… Du côté du RN, ce sont plutôt des employés ou des personnes sans profession ».« Maîtriser un programme, savoir s’exprimer sur un plateau de télévision, savoir débattre, cela requiert des compétences, or le parti forme très peu ses militants qui apprennent sur le tas » poursuit-elle. « Le campus numérique Héméra », qui sert de lien d’apprentissage pour les prétendants à l’élection au RN, peut-il être vraiment efficace « pour partager le même logiciel idéologique » ?, s’interroge le politologue. En citant aussi l’ISSEP l’autre école de sciences politiques qui, lancée à Lyon par Marion Maréchal, aurait pu former une élite… si ses diplômes avaient été reconnus. » Pas d’école du parti, donc.
Un vote très nationalisé« Après, souligne Safia Hadani, face à ces débats qui nous semblent ratés, il nous faut prendre en compte les autres instruments de jugement qui sont ceux des électeurs et ne portent pas que sur des compétences ». D’autant moins, qu’il y a, dans l’électorat RN, une maîtrise très inégale de ce qu’est une élection législative ». Et que ce scrutin-là « a témoigné d’un vote très nationalisé où l’on a opté pour le RN, peu importe le candidat […] ».Ce que pointe également Jean-Yves Camus. « Le risque aujourd’hui, c’est que le RN continue à faire un score sur l’étiquette RN et pas sur les candidats » souvent inconnus dans leur circonscription ; dont le visage n’apparaît « même pas sur les professions de foi où figurent Marine Le Pen et Jordan Bardella », déplore le politologue. En ironisant : « Ces candidats pourraient ne pas exister, cela serait pareil ! » En résumé, X ou Y portant une pancarte RN a un socle électoral non négligeable, mais derrière lequel il peut n’y avoir aucune implantation […] En province, il y a un ratio entre le nombre de militants et le nombre de voix obtenues par le parti qui ne leur permet pas de tenir les choses en main.
Jouer en Ligue 1« À toutes les élections », rappelle le politologue, « le RN a été obligé de retirer son soutien à un certain nombre de candidats mais là, le nombre a été affolant ». D’autant plus surprenant qu’aujourd’hui, « le parti sait qu’il existe des newsletters spécialisées sur l’extrême droite, […] écrites par des journalistes d’investigations dédiés » et que les validations hasardeuses pourraient être contre-productives.« Jouer en Ligue 1 »Le RN, reprend Safia Hadani, est, comme d’autres partis, composé de novices et de professionnels de la politique.
Peut-être est-il encore moins professionnalisé que ce que l’on a pu dire .
« Ce qu’il manque aux instances du parti […] c’est quelqu’un qui dise : “Si on veut jouer en Ligue 1, il faut être au niveau” », appuie le politologue. « Est-ce qu’il y a quelqu’un, dans ce parti, pour coacher les gens ? », s’interroge Jean-Yves Camus. Alors, au moment où le président annonce une dissolution surprise, « on prend ce qu’on a sous la main ». Rompu ou pas à l’exercice. Et ce ne sont pas les transfuges d’autres partis, ni ceux dont les CV sont les plus étoffés qui peuvent faire la différence quand il s’agit de désigner 577 candidats.
Maintenant qu’ils sont élus, il va leur falloir « s’atteler au choix des assistants parlementaires. Vérifier leur CV pour qu’on n’ait pas le même phénomène qu’avec les députés. Parce qu’en 2022, l’appel d’air escompté chez les jeunes diplômés de Sciences Po ou d’HEC ne s’est pas produit ! » Les assistants « ont dû être recrutés chez les identitaires ou les milieux catho intégriste », souligne Jean-Yves Camus.« Il ne faut pas oublier que lorsqu’on est politisés à l’extrême droite, on a le choix entre le RN et Reconquête ! et qu’ainsi ce n’est pas surprenant d’avoir entendu des candidats tenir des propos antisémites, racistes, homophobes : ce ne sont pas des “brebis galeuses” ce sont des gens que le RN fait exister. » (1) Coauteur avec Nicolas Lebourg de Les droites extrêmes en Europe, éditions du Seuil, 2015.(2) Co-coordinatrice de Sociologie politique du Rassemblement national, Presses universitaires du Septentrion, 2023.
Sophie Leclanchésophie.leclanche@centrefrance.com