Qui sera nommé à Matignon ? Quand ? Avec quelle majorité ? Pour combien de temps ? Une coalition est-elle possible ? Sur la base de quel programme ? La liste des questions qui se posent au lendemain des législatives et le score surprise du Nouveau Front populaire est longue comme le bras. Les Français à s’être réveillés dans le brouillard ce 8 juillet sont nombreux, mais la clarification appelée de ses voeux par Emmanuel Macron au moment de l’annonce de la dissolution aura au moins clarifié un point : le "front républicain" n’est pas mort. Pour autant, faute de majorité claire à l’Assemblée et face à l’impossibilité de dissoudre avant l’été prochain, "la situation d’ingouvernabilité dans laquelle nous risquons d’entrer peut profiter au Rassemblement national", analyse Arnaud Benedetti, rédacteur en chef de la Revue politique et parlementaire. Auteur de Aux portes du pouvoir - RN, l’inéluctable victoire ? (Michel Lafon), ce professeur associé à l’Université Paris-Sorbonne "voit mal comment on sera en mesure de constituer une majorité à partir des résultats du second tour des législatives" et ne croit guère à l’entrée d’un Premier ministre issu du NFP à Matignon : "le bloc de gauche est en tête mais il n’est pas majoritaire". Entretien.
L’Express : Les observateurs ont-ils sous-estimé la vigueur du "front républicain" ?
Arnaud Benedetti : Il est toujours difficile de faire des projections précises pour des élections législatives, qui plus est dans un contexte politique aussi nouveau, mais il est clair que l’efficience du "front républicain" a été sous-estimée. Même s’il s’érode depuis quelques années, il est indéniable que celui-ci a fonctionné, avec des mécaniques de report de voix qui ont largement contenu la poussée du Rassemblement national. Les consignes de désistement ont été suivies par les électorats du NFP mais aussi du côté d’Ensemble. C’est ce qui permet mécaniquement au bloc de gauche de virer en tête à l’issue du second tour. Car ne nous méprenons pas, il n’y a pas de dynamique sociale derrière les 182 sièges remportés par le NFP. Ce à quoi nous avons assisté hier soir, c’est une victoire du "front républicain" qu’on avait enterré.
Un "front républicain" que certains observateurs présentaient pourtant avant les résultats comme un "carburant" du vote RN. Comment expliquez son efficacité dimanche ?
On a d’autant plus mésestimé le "front républicain" que l’on pensait que les écarts idéologiques entre les macronistes, LR et le bloc de gauche étaient tels qu’ils ne permettraient pas des désistements aussi mécaniques que par le passé, compte tenu notamment des positions de la France Insoumise. Sans compter les doutes sur la capacité des électeurs macronistes à voter pour des candidats du NFP et notamment de LFI (43 % des électeurs d’Ensemble ont finalement glissé un bulletin LFI face au RN, 53 % lorsque le candidat du NFP n’était pas issu de LFI, NDLR).
Sur la binationalité, le RN a donné du carburant à une rediabolisation
Du côté du RN, il y a eu des erreurs stratégiques durant cette campagne. Le parti n’a pas réussi sa professionnalisation, notamment au niveau de l’investiture d’un certain nombre de candidats peu aptes à porter une étiquette politique susceptible de l’emporter dans une législative. Et avec ses sorties sur la binationalité, le RN a par ailleurs donné du carburant à une forme de rediabolisation relative de son offre politique. Cette question a en partie parasité sa campagne.
La stratégie de dédiabolisation entreprise par le RN ces dernières années a-t-elle finalement échoué ?
Non. Elle aurait échoué si nous avions assisté à un recul du Rassemblement national. Or, dans la nouvelle Assemblée, le RN et ses alliés, c’est tout de même 143 députés ! Ça démontre que la stratégie de normalisation, si elle n’est pas totale, a continué à opérer. Mais il est clair qu’elle n’est pas achevée, loin de là. La question de la compétence est un sujet majeur pour le RN. Il faut toutefois garder en tête que la situation d’ingouvernabilité dans laquelle nous risquons d’entrer peut lui profiter dans les mois et les années qui viennent.
Finalement, l’échec relatif du RN n’est-il pas la meilleure configuration possible pour lui en vue de 2027 ?
C’est une lecture possible qui fait d’ailleurs écho à une autre configuration, celle des législatives de 1978 où la gauche avait perdu alors qu’on pensait qu’elle l’emporterait. Finalement, cette défaite avait vraisemblablement permis à François Mitterrand de remporter la présidentielle trois ans plus tard. Plusieurs hypothèques pèsent toutefois sur cette lecture s’agissant du RN. D’abord, il y a la question du procès des assistants parlementaires dont on parle peu mais qui conjoncturellement peut le contraindre. Des doutes peuvent par ailleurs s’exprimer sur la capacité du parti à dépasser ce fameux plafond de verre qui continue partiellement à subsister. Ils vont aussi avoir besoin de mettre une ligne programmatique qui, sur le plan économique, apparaisse plus cohérente que les derniers changements de pied opérés lors de la dernière campagne. Et ils ont surtout un enjeu de professionnalisation qui reste majeur en matière d’offre de candidats. Cette déficience leur a probablement coûté un certain nombre de sièges dans des circonscriptions qui étaient potentiellement gagnables.
Nous sommes trois ans avant la prochaine présidentielle, ça laisse aussi du temps à d’autres partis politiques pour se reconstruire. Mais il est vrai que le fait de ne pas exercer le pouvoir en période de cohabitation, qui est plus avec une majorité relative, permet au Rassemblement national de rester dans une opposition, de pouvoir poursuivre sa professionnalisation et sa normalisation et surtout se préparer à l’exercice du pouvoir, ce qui ne semblait pas être perçu comme tel lors de ces législatives. Enfin, est en train de s’installer l’idée chez certains que cette élection aurait été "volée". Tout cela nourrit la colère, la frustration et le ressentiment, ce qui n’est pas de nature à faire retomber la pression et le RN peut potentiellement capitaliser dessus en vue de 2027. Il va faire un pari en négatif, celui d’une dégradation de la situation du fait d’une instabilité potentielle des institutions qui ne permettra pas de répondre aux problèmes des Français en termes de pouvoir d’achat et d’ordre public.
Il ne faut pas exclure qu’on soit contraints de revoter dans un an
Après leur score surprise, certains du côté du NFP appellent d’ailleurs à ne pas bercer dans l’autosatisfaction…
Il faut en effet relativiser et recontextualiser ce qui s’est passé hier. L’échec du RN, c’est de ne pas être arrivé en tête au soir du second tour. Mais arithmétiquement, il est le premier parti de la nouvelle Assemblée nationale et améliore au passage son nombre de sièges par rapport à 2022. Sans oublier qu’un certain nombre de duels de second tour se sont joués à très peu de voix dans plusieurs circonscriptions.
Emmanuel Macron a "le devoir d’appeler le Nouveau Front populaire à gouverner", a réagi Jean-Luc Mélenchon dans la foulée de l’annonce des résultats. Le chef de l’Etat peut-il faire autrement que de nommer un Premier ministre issu du NFP ?
Le problème du NFP, c’est qu’il n’a "que" 182 députés, ce qui est quand même très loin d’une majorité absolue. On est même dans une majorité relative qui n’est pas relative. En réalité depuis hier soir, il n’y a pas de majorité alors que la Ve République est bâtie sur le fait majoritaire. Dans l’hypothèse où Macron nommerait un Premier ministre issu du NFP, je ne donnerais pas beaucoup de temps pour que celui-ci soit renversé par l’Assemblée nationale. Sans compter qu’au sein du Nouveau Front populaire, les divergences sont nombreuses. Non, je ne vois pas d’hypothèse NFP à Matignon. C’est une question d’arithmétique. 182 députés, ça ne fait pas une majorité. Regardez les difficultés que la majorité a rencontrées pour gouverner avec 250 députés sous l’ancienne législature… Considérez aujourd’hui que le NFP est majoritaire me paraît une interprétation rapide de la situation.
Il y a aussi sur la table l’hypothèse d’une coalition qui irait des plus modérés du NFP jusqu’à LR…
C’est l’hypothèse la plus envisageable pour Macron, bien que je ne sois pas sûr qu’elle soit réalisable. Ce scénario se heurte à trois écueils. Il faudrait d’abord qu’il y ait un étiage central à l’Assemblée pour créer les conditions d’une telle coalition. Cet étiage peut exister du fait de la présence de 168 députés Ensemble mais il est très bas, ce qui impliquerait de chercher au moins une centaine de députés venant d’autres formations. Macron pourrait chercher à détacher du NFP les socialistes et une partie des écologistes pour les ramener dans une coalition mais à ce stade, les premiers ne semblent pas être prêts à faire cette partie du chemin. Il lui faudrait aussi rallier tout ou partie de LR canal historique. Or, pour qu’une coalition se construise il ne faut pas que l’écart idéologique entre les parties prenantes soit tel qu’il ne permette pas à cette coalition de se constituer et plus important, de durer. Les conditions posées par le NFP, y compris chez les plus modérés, comme l’abrogation de la réforme des retraites, me semblent peu susceptibles de pouvoir être acceptées par le bloc central et les LR.
On se retrouve aujourd’hui dans une situation institutionnelle avec trois blocs, qui est atypique et inconcevable sous la Ve République. On voit mal comment on sera en mesure de constituer une majorité à partir des résultats du second tour des législatives. L’objectif de clarification du président de la République qui avait été mis en place pour légitimer cette dissolution paraît peu atteint à ce stade. Après les résultats du second tour, quelque chose s’est vicié dans les institutions de la Ve République. Compte tenu de la configuration de l’Assemblée, si on ne trouve pas la martingale magique qui permettrait de constituer un gouvernement stable, il ne faut pas exclure qu’on soit contraints de revoter dans un an.