Hasard du calendrier, les conclusions de la commission d’enquête sénatoriale sur l’électricité, présenté jeudi 4 juillet, interviennent dans une campagne pour les élections législatives très marquées par la question énergétique. Après six mois de travail et plus de 140 auditions, le sénateur (centriste) de l’Essonne, Vincent Delahaye a présenté les conclusions de ce travail qui vise à abaisser le prix de l’électricité pour les ménages, tout en renflouant les caisses de l’Etat et d’EDF. Nicolas Meilhan, ingénieur et spécialiste des sujets d’énergie, a été auditionné par la Commission d’enquête, il revient pour L’Express sur ses conclusions, et salue l’approche "pragmatique" de ses auteurs.
L’Express : Au sein d’une campagne politique très marquée par la question de l’énergie et du pouvoir d’achat, ce rapport présente de nombreuses pistes pour répondre aux enjeux de production et de consommation. Comment recevez-vous ce travail ?
Nicolas Meilhan : C’est un rapport qui se projette dans le temps et qui pose des questions sur l’évolution de la production, de la consommation, de la place du nucléaire. Il est assez complet et assez bienvenu, parce que la Commission d’enquête sur la perte de souveraineté énergétique de l’Assemblée nationale —qui a rendu ses conclusions en mars dernier— regardait le passé et non le futur. Il permet aussi de se pencher sur les objectifs européens de développement des énergies renouvelables qui nous sont imposés, et montre qu'ils ne sont pas toujours pertinents au vu de notre mix électrique, déjà très fortement décarboné.
Sur la question de la production, il rappelle que l’enjeu principal est de prolonger la durée de vie des réacteurs existants, jusqu’à 60 ans d’abord, et pourquoi pas au-delà comme cela se fait aux Etats-Unis. Il insiste aussi sur l’importance de relancer la recherche sur le nucléaire de demain, et pointe les risques de pénuries d’uranium à l’horizon 2060, alors que l’on avait un peu délaissé cette question. Il rappelle aussi que l’on doit aussi régler notre souci sur l’énergie hydraulique, parce que c’est un levier important et que le contentieux avec Bruxelles empêche tout développement. La Commission d’enquête sur la souveraineté énergétique était intéressante de ce point de vue, mais peu de choses ont été mises en place. Les sénateurs prennent le relais et il faut s’en réjouir.
La taxation de l’électricité a été un élément central de la campagne pour les législatives, face à ceux qui proposent une baisse générale de la TVA, le rapport de la Commission d’enquête du Sénat propose une autre solution, qualifiée de "différenciée". C’est la bonne ?
La question centrale qui se pose désormais, c’est comment rendre l’électricité plus accessible, sans pour autant encourager les gens à consommer plus. Les sénateurs ont trouvé un équilibre, en mettant en place une TVA réduite sur la consommation électrique de "base", puis une TVA en fonction de l'autre partie de la consommation. Cela fonctionnerait par pallier, un peu comme l’impôt sur le revenu. Une taxe réduite sera mise en place sur la consommation de base et pour ce qui est de la consommation de "loisir", le taux plein est appliqué. Ça permet de cibler les aides de manière juste, et de faire des économies. Et ça a le mérite de rendre l’électricité plus accessible et donc de favoriser l’électrification des usages.
La Commission défend aussi la mise en place de contrats de long terme sur le nucléaire, appelé "contrats pour différence". Est-ce une bonne manière de répondre à la fin du dispositif d’Accès régulé à l’électricité nucléaire historique (Arenh) ?
Les mécanismes de prix mis en oeuvre ces dernières années ont manqué d'efficacité : les tarifs réglementés - en place depuis 2012 - n’ont pas permis de protéger les consommateurs et les entreprises. Les boucliers tarifaires constituaient une sorte de rustine pour pallier ces défauts-là. Pour la Commission d’enquête, cela justifie d'aller chercher à Bruxelles la possibilité de mettre en place des Contrats pour différences (CFD) permettant de protéger des tarifs à la hausse mais aussi à la baisse pour favoriser EDF. Cette entreprise a beaucoup souffert des prix de marchés qui étaient un peu déprimés de 2015 à 2020.
Avec les CFD, EDF va vendre son électricité à prix fixe, avec un principe : si ses revenus sont inférieurs à ceux escomptés, l’Etat rembourse la différence, et si ses revenus sont plus élevés, c’est l’Etat qui peut bénéficier de la hausse du prix avant de la redistribuer. L’option des CFD avait été écartée par l'énergéticien, qui préférait pouvoir vendre son électricité sur les prix de marché, jugeant que cela lui serait plus favorable. Ce rapport remet l’option sur la table.
Parmi les 33 propositions faites par les sénateurs, l’une évoque la modération du tarif d’utilisation du réseau public d’électricité (TURPE), cela est-il nécessaire ?
Certes, la fiscalité a beaucoup augmenté en France, plus que le coût de l’électricité. Cependant, on a financé sans trop compter toutes les énergies renouvelables en oubliant parfois ce que ça représente en terme d'investissement pour les réseaux, pour pouvoir les raccorder. Enedis et RTE parlent de 200 milliards d’euros nécessaires d’ici 2040, donc ça fait 10 milliards d’euros par an à partir de 2020. Donc, il faut regarder ce qui est prioritaire, où installer ces énergies renouvelables, et prioriser certains raccordements lorsque le réseau est déjà en place. C’est pour cela que la Commission estime que les programmes d’investissement des opérateurs du réseau devront faire l’objet d’une expertise minutieuse. Financer une ferme photovoltaïque sur un terrain qui n’est pas raccordé au réseau coûterait très cher par exemple, donc il faut reposer ces questions avec une démarche rationnelle, scientifique. C’est ce qui permettra, aussi, un allègement de la facture pour les consommateurs.
La Commission d’enquête semble dénoncer le modèle d’innovation sur les petits réacteurs modulaires (SMR). Leur développement par des startups ne serait pas le plus adapté…
Appliquer le modèle des licornes au nucléaire paraît un peu utopiste, parce que cela risque de diluer l’argent disponible dans plusieurs solutions quand on sait qu’il n’y en a peut-être qu’une seule qui va fonctionner. Et puis avec les SMR se pose la question du type de combustible à utiliser. Certains projets fonctionnant avec du plutonium, une matière pour laquelle on n’est pas tout à fait équipé ! Bâtir une filière de combustible prend beaucoup de temps et d'argent. Ce n’est donc pas toujours pertinent. Par ailleurs, on a voulu approcher le problème des SMR avec des startups alors que les sommes investies auraient pu nous permettre de financer plus amplement les recherches sur les réacteurs de 4e génération à neutrons rapide. La commission a donc raison de mettre les pieds dans le plat.
