La figure, a fortiori caricaturale, du supporter colle au foottball. L’émergence du supportérisme est toutefois concomitante de la montée en puissance du sport spectacle dont le football, certes, est une caricature…
Certes, ils sont les plus nombreux, les plus bruyants et les plus caricaturaux au regard de leur passion dévorante ou de leurs déchaînements de violence, mais réduire les supporters au football n’a pas plus de sens que de réduire le football à ses supporters. Reste que l’analyse de ce phénomène indissociable du sport spectacle tourne souvent autour du ballon rond. « Être supporter, relève le sociologue Ludovic Lestrelin, c’est prendre parti pour un camp, développer un attachement généralement durable pour une équipe ou un champion et entrer dans un jeu d’interactions sociales. Mais être supporter n’exige pas l’appartenance à un collectif organisé. Il y a bien d’autres façons de supporter une équipe ou un champion. Tout le monde n’a pas la vocation à animer les virages des tribunes d’un stade de football?! Les collectifs structurés qui prolongent dans les tribunes la rivalité du terrain font partie du spectacle. Mais il arrive que cette rivalité vocale et visuelle ne suffise pas aux plus vindicatifs qui n’hésitent pas à en venir aux mains dans et hors du stade. »
VélodromesA l’exemple - évident - du football, les rivalités collectives semblent, de prime abord, davantage se prêter à la pratique du supportérisme que les face-à-face individuels. « C’est oublier, corrige le sociologue, l’engouement que suscitait au début du siècle dernier la boxe anglaise alors déjà entre les mains de professionnels de l’industrie du divertissement. Et la presse fabriquait des vedettes et des rivalités, feuilletonnait aussi les compétitions où l’exceptionnel le disputait à l’incertitude. » Le terrain était préparé pour l’avènement du football. « Les hippodromes puis les vélodromes qui accueillaient sous des tribunes ouvertes le public, développe Ludovic Lestrelin, ont servi de modèles à la construction des stades dans une perspective de maximisation des recettes. Des lignes tracées à la chaux, puis des barrières et aujourd’hui des grilles délimitent l’espace et distribuent les rôles avec, d’un côté, des spectateurs qui en veulent pour leur argent et leurs encouragements et, de l’autre, des joueurs et des dirigeants qui attendent un soutien inconditionnel mais non sans mesure. » Mais un stade, une salle, c’est aussi et d’abord un environnement. Des « perches » ici, des filets là, des paniers ailleurs : partout, le spectacle sportif occupe le terrain. Le football et les passions qu’il draine sont les plus visibles parce que ce sport est, de loin, le plus présent géographiquement et médiatiquement : « La structure pyramidale de ses compétitions, qui emboîte les échelles locale, régionale et nationale, constitue une incomparable chambre d’écho à l’expression des attaches identitaires et des rivalités entre territoires. »
IncertitudeSa pyramide « coubertinienne », assise sur plus de deux millions de licenciés, ajoute de l’incertitude à l’incertitude, de l’émotion à l’émotion, de la tension à la tension. « Les aléas sont une composante essentielle du football, reprend le chercheur. C’est le seul sport où un match peut se solder sur un score vierge. L’ethnologue Christian Bromberger en fait aussi “le royaume de l’erreur” car on y joue avec les pieds, pas avec les mains. Enfin, parce que pratiqué en masse, d’un échelon à l’autre, il n’y a pas le gouffre physique et technique que l’on voit dans bien d’autres disciplines. » Le public du football s’est, dès les années 1920, élargi et diversifié. « Avant et encore dans les années 1910, rappelle Ludovic Lestrelin, il y avait pour encourager les équipes surtout des joueurs et des anciens joureurs pour quelques-uns devenus dirigeants. Le football, comme le sport en général, restait encore largement une activité distinctive. Associé à la modernité, le sport était alors surtout pratiqué par une frange plutôt urbaine et aisée. Mais, très vite, un nouveau public a accompagné l’essor du football, moins sensible au jeu et à ses subtilités qu’à la victoire de ses couleurs. »
Un nouveau média s’est depuis emparé du ballon : « Les clubs, longtemps, se sont méfiés de la télévision, craignant que les retransmissions vident les stades. Puis, ils y ont vu une source de financement indirect. La télévision a étendu la géographie des supporters. Si, jusqu’aux années 1980, le lien des supporters avec leur club tenait à sa proximité, l’aura des clubs et des joueurs, célébrés par les retransmissions, en ont fait un élément parmi d’autres de la passion des supporters. On l’a vu avec Saint-Étienne, qui a accéléré la transition entre le modèle du paternalisme patronal et une gestion ouvertement mercantile, ou Marseille, qui a sans complexe assumé cette évolution. »
Rugby« Avec la professionnalisation, insiste le sociologue, les rapports d’interconnaissances directes des supporters avec les joueurs et les dirigeants se sont distendus. Les clubs, forts de leur statut de société commerciale, se sont professionnalisés à tous les niveaux. Les proches et les supporters qui, bénévolement, tenaient la buvette ou vendaient des produits dérivés n’y ont plus leur place. Le supportérisme contestataire qui a surgi ces vingt dernières années s’oppose à cette marchandisation effrénée et une sécurisation accrue du spectacle qui tient les fans à distance. »
Football : une course de fonds aux meilleurs joueurs
À l’opposé, le rugby a longtemps mis en avant son refus de vendre son âme. « Ces deux sports ont des racines communes outre-Manche, nuance Ludovic Lestrelin. Mais le football s’est vite professionnalisé et exporté tandis que le rugby défendait l’amateurisme et l’ancrage local. Ses supporters se réclament de ses “valeurs” dans leur opposition à leurs homologues du football dont ils dénoncent les débordements. Mais existe-t-il vraiment un sport où les joueurs et supporters sont toujours exemplaires?? Le public du football est plus hétérogène. Tous les milieux sociaux sont représentés, à commencer par les classes populaires mais pas que. » « Le football, ajoute-t-il, reste un bastion du virilisme. Le supportérisme y reste une pratique encore très masculine comme au rugby, d’ailleurs. C’est moins vrai pour les sports de salle. » Le football féminin donne pourtant à voir un supportérisme plus apaisé. Soit, mais les stades ne sont pas aussi pleins et ces compétitions sont trop jeunes pour avoir une histoire dans laquelle les supporters peuvent inscrire la leur.
Jérôme Pilleyre
Lire. Ludovic Lestrelin, Sociologie des supporters, Éditions La Découverte, collections Repères, 2022, 11 €.
