Ces élections législatives anticipées ont bouleversé la vie politique, en consacrant notamment au premier tour le Rassemblement national qui a terminé en tête du scrutin et se qualifie dans 447 circonscriptions sur 577. Similaire à celle de la gauche en 1981 ou celle de Macron en 2017, cette vague RN a permis au parti de Jordan Bardella d’être présent dans toutes les circonscriptions métropolitaines, sauf quelques-unes dans les grandes métropoles (Ile-de-France, Lyon, Marseille, Rennes, etc.).
Seulement, si cette performance est historique, le retour du Front républicain rend incertaine une majorité absolue pour le RN.
Le bloc du Rassemblement national est en forte progression. Alors que l’on pouvait penser que le parti lepéniste avait atteint un plafond à la présidentielle de 2022, il a réalisé un record ce dimanche 30 juin 2024. En effet, il a enregistré un record de voix avec 10,6 millions de voix, soit 6 millions de voix supplémentaires qu’au premier tour des législatives de 2022 et 2 millions de voix supplémentaires par rapport au score de Marine Le Pen au premier tour de la présidentielle 2022. D’autant plus que le score du Rassemblement national a progressé malgré une participation moins forte aux législatives qu’à la présidentielle (66% contre 73,69% en 2022), ce qui traduit un élargissement électoral du Rassemblement national.
Le Rassemblement national n’est plus isolé politiquement. S’il a longtemps été le seul parti du bloc national induisant ainsi de faibles reports de voix lors de seconds tours, il est désormais au cœur d’une galaxie de partis satellites grâce aux alliances avec Eric Ciotti, Marion Maréchal ou encore Eric Dupont-Aignan. Cette situation permet au Rassemblement national d’agréger de nouvelles sensibilités politiques (libérale, souverainiste, conservatrice, etc.) qui lui reconnaissent le leadership politique malgré les différences idéologiques. Ainsi, selon les territoires et les configurations de second tour, le Rassemblement national peut espérer de meilleurs reports de voix au second tour d’une partie d’électeurs Les Républicains ou encore Reconquête qu’auparavant.
Le Front républicain est encore tenace face au Rassemblement national qui a été désigné comme l’ennemi à éliminer pour le second tour des élections législatives. En quelques heures, et malgré sept ans d’oppositions frontales, sur les 306 hypothèses de triangulaires, 220 candidats se sont désistés face au parti de Jordan Bardella, soit 72% des cas. Or, si les partis politiques ne sont pas les propriétaires de leurs électeurs, les désistements mettent le Rassemblement national dans une moins bonne situation.
D’une part, les reports de voix ne risquent pas d’être massifs dans la mesure où il s’agit d’un désistement de deux camps opposés (Ensemble et Nouveau Front Populaire) sur de nombreux sujets et qui ont connu des affrontements violents notamment ces deux dernières années. D’autre part, il est tout de même plus difficile pour le Rassemblement national de l’emporter dans un duel que dans une triangulaire, car l’adversaire du RN capte davantage les voix du candidat s’étant désisté. D’autant plus que l’unique argument invoqué pour justifier un désistement est de « battre le Rassemblement national » en faisant appel à l’imaginaire des républicains qui barraient la route des fascistes lors des années 1930…
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De plus, le Rassemblement national est dans une situation moins favorable que prévue. Il est plus simple pour lui de gagner un duel face à la gauche que face à un candidat du camp présidentiel ou des Républicains. En effet, en 2022, les duels face à la gauche avaient tourné à l’avantage du RN, qui en avait remporté 33 sur 59, soit plus de la moitié. Alors que le Nouveau Front Populaire a terminé deuxième derrière le Rassemblement national, il aurait été logique que le nombre de duels entre la gauche et le RN explose. Or, cela n’est pas le cas puisqu’il ne devrait y avoir que près de 149 duels entre le RN et la gauche (celle-ci s’étant beaucoup plus désistée) contre plus de 129 duels entre le RN et le camp présidentiel et une cinquantaine contre LR, deux configurations moins favorables au RN.
Le Rassemblement national peut toujours remporter une majorité absolue mais cela devient plus incertain en raison du Front républicain et d’une performance moins bonne que prévue au premier tour. Ainsi, il est arrivé trop peu de fois en tête au premier tour, en terminant en tête dans seulement 297 circonscriptions sur les 447 où il s’est qualifié. Cela rend le parti à la flamme tributaire du niveau de reports de voix dont disposera son adversaire au second tour, et donc de l’efficacité du Front républicain. Or, nous assistons à la constitution d’un Front anti-RN, allant de l’aile droite de la macronie aux Insoumis sur le modèle des élections régionales de 2015. Les appels de la gauche et du camp présidentiel à se désister l’un pour l’autre renforceront les reports de voix entre les deux, puisque la bête noire n’est plus la Nupes de Mélenchon comme en 2022 mais le Rassemblement national de Jordan Bardella. Il s’agit désormais de savoir si ce dernier obtiendra une majorité absolue ou non, et l’ensemble des Français s’exprimeront dessus comme s’il s’agissait d’un référendum.
Seulement, un cumul de facteurs d’indécision peut encore permettre au Rassemblement national d’envisager une majorité absolue ou une majorité relative suffisamment solide (sur le modèle de ce qu’a été la majorité présidentielle jusqu’à présent). Premier facteur, le Rassemblement national doit gagner un maximum de circonscriptions (environ 90%) où il a terminé en tête avec une large avance ainsi que de nombreuses triangulaires, ce qui nécessite un front républicain moins efficace que prévu. À cause des désistements, des électeurs n’auront plus leur choix préférentiel au second tour, ce qui peut générer de l’abstention. Notamment dans l’hypothèse où de nombreux électeurs se retrouveront à choisir entre deux mauvais choix selon leur appartenance d’origine à savoir sauver Macron lorsqu’on est de gauche ou sauver le Nouveau Front Populaire lorsqu’on est macroniste. Dans ce cadre, le RN doit remporter près de 65% des duels contre la majorité présidentielle, en espérant que le report des voix de gauche notamment de la France Insoumise soit moins fort que lors de la dernière élection présidentielle. Deuxième facteur, le Rassemblement national doit bénéficier d’un report de voix d’une partie des électeurs centristes et de droite, notamment dans le cadre de duels face à LFI qui est jugée tout autant infréquentable voire pire depuis le 7 octobre et les soupçons d’antisémitisme. Ainsi, il faudrait remporter près de 70-75% des duels face au Front Populaire. Dernier facteur, le Rassemblement national doit éviter une remobilisation électorale comme en 2015 avec des électeurs qui voteront uniquement pour lui faire barrage, tout en profitant d’une petite remobilisation du camp national avec l’élan du premier tour.
La majorité absolue s’éloigne pour le Rassemblement national. Toutefois, il est toujours possible pour Jordan Bardella d’obtenir une majorité relative suffisamment solide lui permettant de gouverner. Le seul prérequis à cela serait qu’il y ait environ 300 députés RN et LR. Dans ces circonstances, la droite républicaine pourrait ne pas voter la motion de censure provenant de la gauche et des centristes. En contrepartie tacite, le RN devrait adresser des signaux aux LR. Jordan Bardella serait dans une situation finalement très proche de celle d’Elisabeth Borne qui a tout de même fait voter une cinquantaine de textes en 2023, y compris des textes emblématiques comme la réforme des retraites et la loi Immigration.
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