L’Argentine. Un homme âgé meurt d’une crise cardiaque en faisant son running. Ce professeur de philosophie, réputé, de l’université de littérature et de philosophie de Buenos Aires, “Puan”, l’une des plus importantes d’Amérique latine, était le mentor de Marcelo, la cinquantaine, philosophe lui, mais discret, modeste, n’aimant pas se mettre en avant. Souvent malchanceux : si la couche d’un bébé déborde, c’est pour sa pomme et son pantalon blanc… (El Profesor est un film souvent très drôle).
Or Marcelo, tout naturellement, se voit proposé de postuler à la chaire de son maître et ami du département de philo de Puan. Un autre postulant, plus charismatique, brillant, frimeur, qui enseigne en Allemagne, se présente aussi à ce poste important.
Voilà le pitch. Mais ne nous y trompons pas, nous ne sommes pas dans une célèbre nouvelle de Jorge Luis Borges – Le Stratagème, qu’on trouve dans Le Livre de sable, où un professeur use d’une ruse psychologique pour se faire nommer à un titre de prestige, alors qu’il n’était a priori pas le mieux qualifié pour l’obtenir…
Ce que nous montrent surtout Maria Alché et Benjamín Naishtat (jeune cinéaste auquel le festival de La Rochelle, le FEMA, rend en ce moment hommage), à travers ce portrait d’un homme normal, humble, “sans qualité”, travailleur, insensible aux honneurs, c’est l’Argentine d’aujourd’hui, ou plutôt celle qui a précédé l’élection du sinistre président actuel, Javier Milei : un pays considérablement appauvri, où les fonctionnaires ne sont pas ou rarement payé·es, mais qui continuent de se battre pour enseigner, pour transmettre le savoir, en accumulant parfois les travaux annexes pour survivre.
Marcelo court toute la journée, avec son corps trop lourd, son sac à dos, sa coche pleine de livres. Il donne par exemple des cours particuliers de philosophie à une vieille dame très bourgeoise, sans jamais avoir l’impression de perdre sa dignité, même quand quand sa famille lui fait des demandes étranges et délirantes auxquelles il se soumet sans protester.
Il est tellement occupé qu’il rate un jour la réunion scolaire où il devait réciter le texte de son tango préféré (Niebla del Riachuelo du grand Roberto Goyeneche – dont voici le début : “Sombre mouillage où s’échouent des bateaux qui pour toujours resteront à quai, ombres qui grandissent dans la nuit des douleurs… Naufrage d’un monde qui a perdu son âme…”) devant la classe de son fils. Son épouse, activiste, n’arrête pas non plus, leur appartement est toujours plein de jeunes gens politisés.
Marcelo serait-il lâche ? Non, nous le découvrirons petit-à-petit, c’est un homme de bien, courageux, entêté, qui avance envers et contre tout, Sisyphe très conscient de tout ce qu’il fait, dit, prêt à tout pour vivre et survivre dans un monde très rude. Sans se plaindre jamais. La réussite, l’ambition sociale ne l’intéressent pas. Calmement, dans son coin ou avec ses proches, il résiste à sa manière. La dernière scène, en Bolivie, est totalement bouleversante. Tant que le culture, haute ou populaire, continue de vivre, rien n’est perdu. Grâce aux hommes de bien.
El Profesor, de Maria Alché et Benjamín Naishtat avec Marcelo Subiotto, Leonardo Sbaraglia, Julieta Zylberberg… En salles le 3 juillet.