Devant sa première « vraie » descente, San- die Clair se sent plutôt sereine. Après avoir passé tout l’été à s’entraîner sur une « sorte de piste en U », qui permet de simuler les premiers mètres, l’ancienne pistarde s’élance. Grâce à son explosivité, acquise lors de ses années vélo, la poussée est maîtrisée. Mais c’était sans doute tout ce qui était maîtrisé à ce moment-là. « C’était horrible », s’exclame-t- elle au moment de se remémorer l’ins- tant. « Ça m’a beaucoup secouée. Une fois le bob lancé, je suis assise derrière les jambes tendues et la tête abaissée entre les genoux. Je suis pliée en deux pour l’aéro. Je ne voyais plus rien, comme une impression d’être dans une machine à laver. »
Mais alors va-t-elle s’arrêter là ? Va-t-elle abandonner cet objectif venu d’un simple « délire » ? Ce serait mal connaître Sandie. « J’ai mon petit égo quand même (rires). Ma petite fierté m’a dit « on continue », puis petit à petit je me suis habituée. On se place mieux dans le bob aussi. Puis sur toute la phase de poussée, je me régale et je retrouve cette adrénaline de la compétition que je n’ai retrouvé dans aucun autre sport. »
Des médailles qui ne suffisent pas
Parce que rien, ou presque, ne prédestinait Sandie Claire à troquer ses 30°C toulonnais pour les -16°C pékinois. Originaire d’une famille de cyclistes, Sandie a baigné dès son plus jeune âge dans l’univers de la compétition. Suivant les traces de son père et de son frère, elle a découvert sa passion pour le vélo à l’âge de cinq ans. Rapidement, elle a excellé dans la discipline, enchaînant les médailles et les podiums en junior en élite, en championnat du monde, d’Europe et de France. Des résultats qui l’emmènent même à deux olympiades. D’abord en 2012 à Londres, puis à Rio quatre ans plus tard.
Mais la vie d’athlète n’est pas un long fleuve tranquille. Après une première partie de carrière réussie, Sandie a subi des changements d’entraîneurs et à des périodes d’instabilité. Alors qu’elle fait équipe à l’époque avec Mathilde Gros, la DTN estime que les performances de la paire française sont insuffisantes et décide d’abandonner le projet vitesse par équipe féminine en juin 2019. La bascule.
« C’est vraiment parti d’un délire »
« J’ai passé mon BPJEPS et immédiatement enchaîné sur un job dans une salle de sport, à Hyères. J’avais quelques plans », affirme Sandie. Puis le bobsleigh entra dans sa vie. « Je connaissais le sport des JO et du film Rasta Rocket. Mais c’est vraiment partie d’un délire avec mon frère ainé, Cédric. Il m’a dit ‘pourquoi tu ne pousserais pas un bob’ », et cela a fait tilt. » Naturellement la jeune femme prend contact avec Margot Boch, meilleure « bobeuse » française qui lui annonce justement que l’équipe de France cherchait des pousseuses. Comme quoi le hasard…
Sandie se rend à La Plagne et ses rails en U en guise de piste d’entraînement, si vous avez bien suivi. « Ça m’a plu. L’effort, l’explosivité qu’il faut avoir… c’est assez comparable à un départ arrêté en cyclisme », assure l’ancienne sprinteuse qui poursuit, « j’ai décidé au bout d’un mois de quitter mon emploi à la salle de sport afin de mettre toutes les chances de mon côté. Je n’avais plus le droit à mes droits au chômage à l’époque, se souvient-elle, je vivais d’amour (pour le bob, NDLR) et d’eau fraîche. »
« S’adapter n’est pas simple »
« Beaucoup pensent qu’on peut passer d’un sport à l’autre en un claquement de doigts. C’est beaucoup de travail »… La météo, le terrain de jeu.. il fallait presque se re-instruire. « Je suis à vélo depuis l’âge de cinq ans alors j’ai dû apprendre à courir. C’est hyper technique puisque les muscles des pieds ne sont pas développés de la même façon suivant les sports que tu fais. Sous la barre à la salle, pour l’explosivité, cela peut se ressembler, mais c’est tout », il y avait du boulot, mais le potentiel était bien là.
À la fin de l’été 2019, « j’ai participé à une compétition qui permettait aux deux premières de partir en saison. J’ai alors gagné ma place de remplaçante » se réjouit-elle. Mais le Covid passe par là, et la nouvelle bobeuse ne participe qu’en janvier 2021 à sa première compétition officielle. Terminant 6e des championnats d’Europe à Winterberg, avant de se lancer à nouveau dans l’aventure JO, d’hiver cette fois.
« Oui, j’ai participé aux JO d’été et aux JO d’hiver ! »
Sandie Claire aura ainsi marqué, à sa manière, l’histoire de l’olympisme français. Deuxième Française à reproduire l’exploit après Sophie Villeneuve, ils ne sont en réalité qu’un peu plus d’une centaine, toutes nations confondues, à avoir participé aux Jeux Olympiques d’été ET d’hiver depuis 1924. Un brin d’herbe dans le champ gigantesque des dizaines de milliers d’athlètes de l’histoire des Jeux.
En inscrivant son nom parmi les participants de Pékin 2022, la jeune femme a réussi son pari fou. Une transition audacieuse qui la rend extrêmement fière. « Oui j’ai participé aux Jeux Olympiques des deux saisons. Même si c’est un peu un sport de niche, j’avais des qualités physiques pour performer et j’ai réussi à les mettre au service du bobsleigh », conclut-elle.