A quelques pas de la vieille prison de Fresnes (Val-de-Marne), l'hôpital pénitentiaire est un large bâtiment de crépi blanc usé, en forme de H. On y passe contrôles et grilles métalliques, avant de prendre l'ascenseur pour le 3e étage.
Là, plus de surveillants ni de soignants, mais une légère odeur de renfermé et un grand silence: l'aile dédiée à l'unique centre socio-médico-judiciaire de sûreté de France accueillait il y a quelques mois encore un retenu, mais il est sorti en janvier.
La rétention de sûreté permet depuis 2008 de retenir une personne condamnée à au moins quinze ans de prison et qui a déjà purgé sa peine, mais que l'on considère toujours comme particulièrement dangereuse et à haut risque de récidive.
Pensée pour les délinquants sexuels, elle a été décidée en 2007 par l'ex président de la République Nicolas Sarkozy, après le viol d'un enfant de cinq ans par Francis Evrard, violeur récidiviste qui sortait de prison.
La rétention de sûreté ne vise que certains crimes de droit commun (meurtres, viols de mineurs ou aggravés), même si des voix réclament régulièrement qu'elles soit étendue aux profils terroristes.
Le président du RN Jordan Bardella la voulait même "systématique" pour eux, pourquoi pas "à vie", disait-il en décembre dernier après l'attaque jihadiste du pont parisien de Bir-Hakeim par un homme sorti de prison en mars 2020.
Pour l'heure, cette mesure est plus connue des politiques que des magistrats: en quinze ans, elle n'a été prononcée que 16 fois, selon une source proche du dossier.
"Libre circulation"
Les profils de ceux qu'elle vise sont identiques: des hommes, plutôt âgés, tous condamnés pour des crimes sexuels.
Les observateurs s'inquiétaient de l'absence de limite dans le temps de cette mesure (un an renouvelable). Mais personne, pour l'instant, n'y a passé plus de quelques mois.
Deux d'entre eux sont revenus deux fois à Fresnes, un autre trois, précise la source.
"Le principe, c'est +je suis dehors avec des obligations (de soins, de non-fréquentation de lieux interdits, d'assignation à la maison...), je ne les respecte pas, je reviens dans la structure. Je reste aussi longtemps qu'on estime que je ne suis pas en mesure de sortir+", selon la source proche du dossier.
De part et d'autre du hall d'entrée du centre visité par l'AFP s'alignent deux couloirs, peints dans un dégradé de jaune. Six studettes d'un côté, quatre de l'autre.
Ces chambres -"On ne dit pas cellule, on n'est pas en détention", répète-t-on sur place- mesurent 18 m2 (le double d'une cellule en prison) et sont identiques: un lit, un fauteuil, la télévision en accès libre, un coin cuisine et un autre salle de bain.
Les barreaux aux fenêtres ont des formes géométriques et sont peints en clair, on les oublierait presque. Sobre mais propre, avec des airs de chambre d'hôpital plutôt que de cellule.
La routine, quand il y a un occupant: ouverture de la chambre à 07H00, fermeture à 19H00. Dans la journée, libre circulation dans le couloir, où s'alignent de petites pièces, vides.
Parmi elles, la bibliothèque, jamais approvisionnée en livres faute de gens pour les emprunter.
Plus loin, la salle de sport (deux machines).
Et là, un espace commun dans lequel on imaginait, à l'ouverture de ce lieu voué à retenir et soigner, des activités et cours collectifs.
La pièce a à peine servi: le centre n'a jamais accueilli plus de deux personnes en même temps.
"Dessins et paquets de pâtes"
Dans la chambre désormais inoccupée du dernier retenu, les dessins qu'il collait au mur avec du dentifrice ont été retirés, ainsi que les paquets de pâtes qu'il empilait sur ses étagères et commandait en nombre.
Comme les autres, il était bien seul ici, reconnaît-on à demi-mots. Loin des objectifs de "prise en charge médicale, sociale et psychologique, destinée à permettre la fin de cette mesure" prévus par la loi.
De "l'inactivité" pour "règle" et une "grande solitude", déjà critiquées par le contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) qui avait visité le centre en 2014 et 2015.
Pour la prévention de la récidive, les magistrats préfèrent des mesures à l'extérieur, telles qu'un suivi socio-judiciaire. Il peut être très contraignant: un bracelet géolocalisable pendant des années par exemple, explique Cécile Delazzari, vice-présidente de l'Association nationale des juges de l'application des peines (Anjap).
La rétention de sûreté pose aussi "beaucoup de questions sur le plan juridique", ajoute-t-elle.
Déjà parce que la notion de "dangerosité" est "subjective", et qu'en droit pénal français, on sanctionne une responsabilité individuelle pour une infraction donnée.
Alors une fois la peine effectuée et si les gens n'ont pas évolué... "jusqu'à quand ça doit relever de la justice pénale ?", interroge la magistrate.
En janvier dernier, le Sénat à majorité de droite avait très largement adopté l'ouverture de la rétention de sûreté aux condamnés pour terrorisme (pour des peines d'au moins quinze ans).
Mais rien n'assure que le texte sera repris par l'Assemblée nationale issue des élections législatives des 30 juin et 7 juillet.
Le centre de Fresnes, certes "vide" et "étanche", ne serait en tout cas pas assez sécurisé pour accueillir ce genre de profils, capables d'actions violentes même enfermés, prévient la source proche du dossier.
"C'est une structure adaptée, pensée pour des auteurs de crime sexuels", insiste-t-elle, "des gens qui sont susceptibles d'être des prédateurs (à l'extérieur) mais dont la dangerosité pénitentiaire est très réduite".