Voilà un "modèle" étranger que les scientifiques français scrutent avec angoisse. Un modèle en forme de repoussoir, comme une inquiétante plongée dans le futur de la France, si le Rassemblement national remportait les élections législatives. Aux Pays-Bas, une coalition emmenée par le parti d’extrême droite de Geert Wilders est sortie victorieuse des urnes en novembre dernier. Du fait des particularités du système politique local, le nom des ministres et le programme de cet attelage n’ont été connus que récemment. Les annonces concernant la science et l’innovation affolent les chercheurs néerlandais – et font frémir leurs collègues hexagonaux.
Au menu : coupes drastiques dans les budgets de la recherche et forte diminution du nombre d’étudiants étrangers. "Après des années de sous-investissement, le précédent gouvernement avait enfin décidé de respecter les engagements de Lisbonne [NDLR : consacrer 3 % du PIB à la recherche et à l’innovation]. Et maintenant, on nous annonce un retour en arrière, avec des réductions importantes de financement", déplore Marileen Dogterom, biophysicienne et présidente de l’Académie royale des arts et des sciences néerlandaise.
Les nouveaux partis au pouvoir prévoient ainsi de mettre un terme au "fonds national de croissance" qui devait allouer 20 milliards d’euros en cinq ans à des projets regroupant des académiques et des entreprises. Les deux dernières tranches, pour un montant de 6,8 milliards d’euros, ne seront pas versées. Les trois premières avaient permis de financer des dizaines de projets, pour soutenir le secteur des biotech, innover dans l’éducation ou "verdir" l’industrie de l’acier. "Ces coupes sont choquantes, car elles vont réduire le potentiel de notre pays en matière d’innovation", a récemment déploré auprès de la revue scientifique Science Ben Feringa, Prix Nobel de chimie 2016 et membre du conseil d’administration de ce fonds.
Une autre enveloppe, destinée à soutenir la recherche fondamentale, se verrait également amputée de 150 millions d’euros (sur un total de 500 millions). Quant aux "Sector plans", lancés l’an dernier et qui devaient apporter 200 millions d’euros par an pour aider à la modernisation des universités, ils seront tout simplement arrêtés. "Ce programme visait à spécialiser davantage les différentes universités, avec en contrepartie la transformation en contrats pérennes des emplois de jeunes chercheurs", regrette Marileen Dogterom, qui craint à présent des suppressions de postes dans les facultés.
En plus de ces mesures, la coalition prévoit une diminution drastique du nombre d’étudiants étrangers accueillis aux Pays-Bas. Un choc pour la communauté scientifique et universitaire : dans cette nation traditionnellement très ouverte, les cours étaient donnés en anglais, pour faciliter la venue d’étudiants mais aussi d’enseignants d’autres pays. Par un virage à 180 degrés par rapport à cette politique, les nouveaux dirigeants souhaitent désormais qu’une large part des enseignements soient assurés en néerlandais…
Même si le Rassemblement national n’a pas spécifiquement annoncé de mesures relatives à la recherche à ce stade, sa volonté de réduire l’immigration et son programme très coûteux par ailleurs alimentent les craintes dans notre pays. "Avec les Pays-Bas, nous avons une situation expérimentale qui permet d’observer les décisions prises quand un parti d’extrême droite se trouve au pouvoir", souligne le Pr Alain Fischer, président de l’Académie des sciences (et chroniqueur à L’Express). Comment expliquer ces choix qui mettent à mal les investissements dans l'avenir ? "Ce gouvernement affiche d’autres priorités, les baisses d’impôt ou la défense de l’agriculture plutôt que l’adaptation au changement climatique ou la préservation de la biodiversité. Sans compter que, pour les partis populistes, la science est souvent ravalée à une simple opinion et non à un domaine essentiel dans lequel il faudrait investir", constate Marileen Dogterom.
La chercheuse ne baisse pas les bras pour autant, et attend avec impatience la prise de poste officielle du nouveau gouvernement pour aller plaider la cause de la recherche. Aux Pays-Bas, des scientifiques et des universitaires ont déjà commencé à multiplier les tribunes dans la presse et à descendre dans la rue pour défendre leurs activités. Avec une autre inquiétude en ligne de mire : si la France bascule à son tour, les pays réticents à financer les projets européens seront toujours plus nombreux. C’est la capacité de l’Union européenne tout entière de garantir dans le futur notre autonomie face aux autres grands blocs (Etats-Unis, Chine…) qui se trouverait alors mise à mal.