"Malgré l’assurance du gouvernement du Kenya que le droit de réunion serait respecté, les observateurs des droits humains signalent le recours croissant aux balles réelles par la police nationale dans la capitale Nairobi", a déclaré mardi 25 juin à l’AFP le directeur exécutif d’Amnesty International au Kenya, Irungu Houghton. A Nairobi, des manifestants s’opposent depuis quelques semaines à un projet de nouvelles taxes du gouvernement. Mardi, des milliers de personnes étaient rassemblées dans le cadre de ce mouvement antigouvernemental inédit mené par la jeunesse.
"Il est maintenant urgent que les médecins puissent bénéficier d’un passage sûr pour soigner les nombreux blessés", a ajouté Irungu Houghton. Amnesty International Kenya évoque de "nombreux blessés".
Plusieurs centaines de personnes ont également forcé les barrages de police et franchi les grilles du Parlement, où est actuellement débattu le projet de taxes, situé dans le quartier d’affaires de la capitale kényane, selon des images de la télévision kényane.
D’autres manifestations se tenaient pacifiquement, sans aucune opposition policière, dans plusieurs autres villes du pays, notamment dans les fiefs de l’opposition de Mombasa (est) et Kisumu (ouest), à Eldoret (ouest), grande ville de la vallée du Rift, région d’origine du président William Ruto, Nyeri (sud-ouest) et Nakuru (centre), selon des médias locaux.
A Nairobi, les manifestants - majoritairement des jeunes venus avec drapeaux kényans, sifflets ou vuvuzelas et scandant "Nous sommes pacifiques" - se sont heurtés à un important dispositif policier déployé dans le centre d’affaires, barrant notamment l’accès au Parlement où a débuté le vote du projet de budget 2024-25 qui a déclenché la contestation.
Les tensions sont montées au fil de la matinée, la police faisant usage de gaz lacrymogènes, puis de balles en caoutchouc. Des heurts ont éclaté vers la mi-journée après que des manifestants ont progressé dans une zone abritant des bâtiments officiels (Cour Suprême, mairie de Nairobi…). Certains manifestants ont jeté des pierres en direction des forces de police, dans un face-à-face tendu à quelques centaines de mètres du Parlement.
Largement pacifique, le mouvement baptisé "Occupy Parliament" ("Occuper le Parlement") a été lancé sur les réseaux sociaux peu après la présentation au Parlement le 13 juin du projet de budget 2024-2025 prévoyant l’instauration de nouvelles taxes, dont une TVA de 16 % sur le pain et une taxe annuelle de 2,5 % sur les véhicules particuliers.
Le gouvernement avait annoncé le 18 juin retirer la plupart des mesures mais les manifestants ont poursuivi leur mouvement, demandant le retrait intégral du texte. Ils dénoncent un tour de passe-passe du gouvernement qui envisage de compenser le retrait de certaines mesures fiscales par d’autres, notamment une hausse de 50 % des taxes sur les carburants.
Initialement porté par la "Génération Z" (jeunes nés après 1997), le mouvement s’est transformé en une contestation plus large de la politique du président Ruto. Le chef de l’Etat s’est dit prêt à dialoguer avec la jeunesse dimanche.
Cette mobilisation a été marquée par la mort de deux personnes à Nairobi. Plusieurs dizaines d’autres ont été blessées par la police, qui a également procédé à des centaines d’arrestations.
"Malgré des arrestations massives et des blessés, les manifestations ont continué à prendre de l’ampleur, soulignant le mécontentement généralisé de la population", a souligné lundi dans un communiqué Amnesty International Kenya, mettant en garde contre un risque "d’escalade (qui) pourrait entraîner davantage de morts".
Amnesty et l’ONG Commission kényane des droits de l’homme ont accusé les autorités de mener des enlèvements de militants. La porte-parole de la police, Resila Onyango, n’a pas donné suite aux sollicitations de l’AFP sur ces accusations.
Le projet de budget doit être voté au Parlement avant le 30 juin. Pour le gouvernement, ces taxes sont nécessaires pour redonner des marges de manœuvre au pays, lourdement endetté.
Le Kenya, pays d’Afrique de l’Est d’environ 52 millions d’habitants, est une locomotive économique de la région. Mais le pays a enregistré en mai une inflation de 5,1 % sur un an, avec une hausse des prix des produits alimentaires et des carburants de respectivement 6,2 % et 7,8 %, selon la Banque centrale.