L’avion commencerait-il à battre de l’aile dans le grand monde du tourisme ? La question est dans l’air du temps. Car des tour-opérateurs, quand ils n’en font pas leur spécialité, proposent déjà le rail comme alternative à l’aérien à une clientèle soucieuse de son bilan carbone et/ou réceptive à un retour à un tourisme de voyage plutôt que de destination.Pour ceux-là, le doigt qui, hier, se posait, yeux fermés, avec avidité sur un globe terrestre rotatif et semblait ne pas vouloir céder d’un pouce, court aujourd’hui, yeux ouverts, avec gourmandise sur une carte dépliée.Et pour cause : quand l’avion gomme les distances, le train les rend visibles, presque palpables. Quand le premier offre un point de vue imprenable sur un ciel vide ou nébuleux, le second ouvre une fenêtre sur le monde. Même le plaisir de la lecture y est différent. Enfin, souvent centrale, la gare est un aéroport à ciel ouvert…L’Écosse, destination très prisée, à moins de deux heures d’avion, se prête à la comparaison. En train, les 900 km à vol d’oiseau s’étirent en longueur et en langueur. De la gare Paris-Nord à celle de London Saint Pancras International, soit 350 km, 2 h 20 suffisent. Avec le TGV, la traversée de la Manche pourrait presque se faire en apnée… Les 550 km de la gare de London Euston, à deux pas de la précédente, à celle de Glasgow Central réclament, pour leur part, 4 h 30.
Campagne anglaiseDeux heures d’un côté, sept de l’autre : avantage à l’avion en dépit d’un temps d’embarquement (et de débarquement) plus long auquel s’ajoute celui des transferts. Mais c’est, comme en ce début mai pluvieux, oublier le charme délicat et paisible du camaïeu de verts d’une campagne anglaise, propice à la mélancolie, où les gares s’égrènent égayées par des uniformes scolaires. Warrington Bank Quay, Wigan North Western, Preston (Lancs)… Passé Lancaster, le paysage perd en opulence ce qu’il gagne en rondeurs et les murs de pierre supplantent les haies bien alignées. Coiffées comme les Beatles, des vaches rousses, les fameuses highlands, regardent comme ailleurs passer les trains d’un œil bovin.
Oxenholme Lake District, Carlisle, Glasgow Central : 17 h 01, terminus, tout le monde descend. L’Écosse a déjà bien infusé. Le lendemain, sitôt le groupe de randonneurs au complet, ceux qui ont fait le trajet en train ont manifestement plus à dire que ceux qui ont pris l’avion…
Desserrer les dents…Chemins de traverses et randonnée loin des sentiers battus semblent faits pour aller de pair. Fabrice Del Taglia, directeur de Nomade Aventure, en est convaincu : « On s’efforce dès que possible d’offrir le train comme alternative à l’avion sur nos voyages en Europe. C’est un marché de niche au sein du tourisme en général, mais aussi du tourisme d’aventure en raison du coût. Moins écologique, l’avion reste moins cher en raison d’une convention de 1944 qui exonère le kérosène de toute taxe : il s’agissait alors de développer le transport aérien international. Et les infrastructures au sol sont réduites. » Les opérateurs ferroviaires, eux, acquittent un droit de péage qui représente entre 35 et 40 % du prix des billets pour les TGV et 15 % de ceux d’un TER.« Les différences, reprend Fabrice Del Taglia, ne sont pas si importantes, de l’ordre de 10 % sur un long voyage. En contrepartie, le train offre la découverte de paysages qu’on ne soupçonnait pas et le plaisir de discuter avec des voisins qu’on ne connaissait pas. » Dans l’avion, la promiscuité qui confine à l’isolement et l’exiguïté qui oblige à ramener les genoux sous le menton empêchent souvent de desserrer les dents…
« On a, poursuit Fabrice Del Taglia, commencé à proposer cette alternative fin 2019. L’initiative a été stoppée par la crise sanitaire pour mieux repartir au printemps 2022. Aujourd’hui, l’offre porte sur 80 voyages en Europe. L’Albanie et l’Écosse sont les destinations où l’option train concurrence le plus l’avion. Par ailleurs, plus de 60 % de la clientèle des voyages à vélo font le choix du train. Le profil ? Les motivations sont multiples : la peur de l’avion, l’exécration des aéroports, le confort, surtout comparé à la classe éco, le trajet comme partie intégrante du voyage et une même sensibilité environnementale que celle de Nomade Aventure. »
Pas seulement en Europe« La curiosité, abonde Laure Jacquet, directrice de Discovery Trains, est pour beaucoup la principale motivation. La première question que se posent nos nouveaux clients est : pourquoi pas le train ? Et l'essayer c’est l’adopter ! Premier chez d’autres, le souci de décarbonation conforte cette curiosité : de fait, plus le voyage est court, plus l’avion est polluant par rapport au train. Il y a, enfin, ceux qui ont peur de prendre l’avion. Nous proposons deux types de voies de la découverte : des trains de luxe et des circuits en train. Les seconds séduisent, notamment, des jeunes retraités qui, ayant déjà pas mal voyagé, en voiture ou en avion, ont envie d’un mode de voyage plus doux. »
Et, pandémie exceptée, la petite entreprise ne connaît pas la crise : « Fondée en 2007 par un Anglais, Simon Stone, qui avait la phobie de l’avion, et installée dans le Xe arrondissement de Paris, notre agence est bien française, développe Laure Jacquet. Depuis 2021, nous avons élargi notre production tous azimuts : Europe, Inde, Japon, Canada, etc. La Suisse et ses fameux trains panoramiques restent toutefois notre produit phare. Notre chiffre d’affaires est passé de 9.000 euros en 2021 à 250.000 en 2022, puis 1.250.000 en 2023 avec près de 700 clients. En 2024, on devrait atteindre les deux millions d’euros. Des CSE (comité social et économique) et même des écoles commencent à s’adresser à nous. »
LibertéChiara Pellas, cofondatrice de Mollow, se félicite, elle aussi, d’avoir pris le train en marche : « Créée il y a un an et demi, notre plateforme spécialisée dans la diffusion d’offres de tourisme durable et d’activités outdoor respectueuses de la nature, présente les trajets ferroviaires les plus pertinents en Europe, au Maroc et en Tunisie. Nous avons par ailleurs plus de 70.000 abonnés sur les réseaux sociaux où nous promouvons également le train et le vélo plutôt que l’avion et la voiture. Les retours que nous avons s’accordent à dire que c’est plus long et plus cher, que les informations sont plus difficiles à trouver - et c’est là que nous intervenons - mais que le trajet offre plus de liberté. Jeune même si la moyenne d’âge remonte un peu, notre clientèle a envie d’aventure, pour le moins de voyager autrement. Plutôt aisée et cultivée, habituée à bouger, elle n’a pas peur de traverser quatre pays sans parler la langue. La sensibilité environnementale compte, mais n’est pas première. »
Jérôme Pilleyre