Lucas Larivée avait rendez-vous avec la justice ce 19 juin 2024, à Limoges, pour son procès en appel dans l’affaire d’incendie volontaire dans l’exploitation de son tuteur de stage en août 2020. Condamné à deux ans de prison ferme en janvier dernier, le jeune agriculteur a une nouvelle fois plaidé la relaxe dans ce dossier. Un dossier dans lequel la vérité a été à l’image du prévenu : insaisissable.
Pendant la plaidoirie de l’avocate de la partie civile, lors des réquisitions de l’avocat général, son visage est resté figé. Impassible. Impénétrable. À quoi pensait Lucas Larivée, pendant que ces spécialistes du droit faisaient la démonstration de sa culpabilité durant de longues minutes. Était-il indifférent ? Tentait-il de contenir le feu de la colère qui couvait en lui ? Impossible de le dire.
Ce jeune homme de 23 ans, par ailleurs mis en examen pour le meurtre, le viol et la séquestration de la jeune Justine Vayrac, retrouvée morte près de chez lui en octobre 2022, devait hier répondre de faits d’incendie volontaire, et de dégradations commises sur l’exploitation de son employeur. Des faits antérieurs et indépendants de l’affaire Justine Vayrac, qui remontent au 2 août 2020, à Saint-Hilaire-Peyroux, en Corrèze, et pour lesquels il avait été condamné à deux ans de prison ferme, lors de son procès en première instance, devant le tribunal correctionnel de Tulle, en janvier dernier.
Durant cette nuit de l’été 2020, le jeune Lucas, alors âgé de 18 ans, avait passé la soirée et une partie de la nuit avec quatre amis. D’abord au McDonald’s de Tulle, puis dans le village de Vigeois jusqu’aux alentours de trois heures du matin. Lucas avait ensuite ramené deux amis à Perpezac-le-Noir. À partir de ce moment précis, la vérité n’appartient plus qu’à Lucas Larivée. Elle restera inaccessible.Me Michel Labrousse en discussion avec l'avocat général. Photo Thomas Jouhannaud
Une personnalité difficile à cernerPlus tard, vers 4 h 34, à Saint-Hilaire-Peyroux, des habitants appelleront en urgence les pompiers pour signaler un incendie dans une exploitation agricole. Il faudra une heure aux soldats du feu pour venir à bout des flammes, qui ont ravagé un hangar recouvert de panneaux photovoltaïques et un tunnel contenant du matériel et des bottes de foins. 457.000 euros de dégâts.
Très vite, la nature criminelle du sinistre a été privilégiée par les enquêteurs. L’expert en incendie a identifié deux foyers distincts. Également, les propriétaires des lieux, ont trouvé des silos à grains dégradés et un tuyau d’arrosage laissé ouvert. Les soupçons se portent alors sur le jeune Lucas. Il connaissait la sécurité sur un des silos. Et le jeudi précédant ce désastre, le jeune apprenti, décrit comme rancunier par sa mère, avait fait l’objet d’une « remontée de bretelles » à cause de son comportement au travail. « C’est le mobile qu’on nous avance, concède Me Michel Labrousse pour le jeune Lucas. Mais ceux qui étaient présents à cette réunion ont dit qu’il avait eu une réaction plate, qu’il est resté figé et qu’il était d’accord avec les remarques », lit-il.
Une perte du contrôle aux conséquences énormesL’avocat de la défense voit dans cette absence de réaction une absence de mobile. D’autres y voient une colère prête à éclater. « Les experts ne sont pas arrivés à cerner sa personnalité. Quand Lucas parle, il reste dans le contrôle. Il se maîtrise. Il ne laisse aucune porte d’entrée. Mais quand les vannes s’ouvrent, on est dans l’absence de contrôle la plus totale. Et les conséquences vont être énormes », a souligné l’avocat général.
Convoqué en gendarmerie, Lucas Larivée avait commencé par nier s’être rendu à Saint-Hilaire-Peyroux cette nuit-là. Il avait affirmé au contraire être retourné à Vigeois à la fête, témoins à l’appui. Le début de ses mensonges. L’exploitation de son téléphone avait permis de déterminer que le jeune homme s’était d’abord filmé au volant de sa voiture, à 190 km/h sur l’autoroute, puisqu’il était bien passé entre 4h06 et 4h30 devant la ferme de son patron, avant de poursuivre sa route vers Beynat, où il résidait. Alors sa version avait changé une première fois.
« Effectivement, j’y suis passé. J’avais vu sur Waze qu’il y avait un contrôle de gendarmerie sur ma route. Alors, j'ai fait un détour. Mais je n’ai pas vu d’incendie en passant devant la ferme. » « Pour faire un détour de cinq minutes, il a mis plusieurs dizaines de minutes. Il y a plein de choses qu’on ne comprend pas », remarque Christine Marche, pour la partie civile. « Tant pis », rétorque le jeune homme plein d’aplomb.Me Marche a défendu les intérêts des victimes de l'incendie. Photo Thomas Jouhannaud.
L'aplomb de Lucas dans ses réponsesAvec le même aplomb, il a assuré ce mercredi au président de la cour Stéphane Rémy, ne pas être gêné par les granulés issus des silos, retrouvés dans sa chaussure au moment la perquisition. « Je bosse tous les jours avec ces chaussures donc c’est normal de trouver des granulés dedans. » Quand Christine Marche lui demande quels sont ses rapports avec ses anciens patrons qui l’accusent, contre qui il pourrait nourrir une forme de colère puisqu’il se dit innocent, Lucas répond qu’il préfère ne rien dire. Dans le contrôle. "Dans l'évitement du conflit", dirait l'expert psychiatre.
Quand on lui demande enfin pourquoi avoir menti aux gendarmes dès le départ de l’instruction, il répond « qu’il avait peur de perdre son permis de conduire ».
Sur la base de cette défense construite au fil de l’eau, et en s’engouffrant dans les vides de l’instruction, Me Michel Labrousse, l’avocat de Lucas, va répéter à la cour la plaidoirie qu’il a donnée six mois plus tôt à Tulle. « Je pense que la justice l’a attrapé dans sa mâchoire et qu’elle s’est trompée ! », assure l’avocat, qui a plaidé pendant plus de 2 h 30.
Les victimes accusées par la défenseLe bâtonnier de Tulle a d’abord reproché à l’expert judiciaire ses conclusions sur l’origine du sinistre. Il reprend la théorie écartée par celui-ci de la foudre tombée dans la journée. « Ça couve, et ça crée des flammes plusieurs heures après. » « On peut tout imaginer pour les causes de l’incendie. Pourquoi ne pas imaginer qu’une personne ait fait tomber ses lunettes et que par un effet loupe, avec le soleil, cela ait déclenché un feu. Je regrette l’écran de fumée qu’on essaie de mettre en place », ironise l’avocat général.
Pour tenter d’ôter tout soupçon, Michel Labrousse n’a pas hésité à accuser les gérants de l’exploitation d’avoir dégradé eux-mêmes le silo à grains, dans le but de renforcer le caractère criminel de l’incendie, afin d’être indemnisés. La cour a mis sa décision en délibéré. La vérité judiciaire de ce dossier sera connue le 17 juillet 2024.
Pierre Vignaud