Dans une campagne électorale, il est souvent important de parler le premier. Ce n’est donc pas un hasard si le ministre de l’Economie Bruno le Maire promettait - seulement deux jours après l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale - une baisse de 10 à 15 % de la facture d’électricité à partir de février 2025. L’objectif est double : prendre de court le Rassemblement national (RN), qui a fait du pouvoir d’achat et de la facture énergétique son cheval de bataille, et ne pas laisser s’installer trop longtemps dans les esprits l’annonce par la Commission de régulation de l’énergie (CRE) d’une hausse de près de 12 % des prix du gaz en juillet.
Depuis la campagne pour les élections européennes, jusqu’à celle pour les législatives qui se joue actuellement, un fait est clair : la guerre des promesses politiques sur les prix de l’énergie bat son plein. "On voit que la question énergétique est surreprésentée par rapport aux autres enjeux de la campagne, malheureusement il y a souvent une méconnaissance du sujet par les responsables politiques", constate Nicolas Leclerc, cofondateur du cabinet de conseil en énergie et décarbonation Omnegy. Agrégeant les notions de pouvoir d’achat, de souveraineté et même des choix de transition écologique, la facture énergétique est un terrain de campagne presque parfait. "Il y a moyen de faire un strike", constate Julien Teddé, directeur général d’Opéra énergie, courtier en énergie pour les entreprises.
Pour le moment, une bonne partie des propositions repose sur le blocage des prix, côté Nouveau Front populaire (NFP), ou une baisse des taxes, côté Rassemblement national. Or, en tablant sur une baisse de la facture d’électricité les partis peuvent actuellement s’offrir une victoire facile. Le gouvernement l’a bien compris : "Quand il promet une baisse de 15 % du prix de l’électricité l’hiver prochain, il ne fait qu’anticiper une dynamique déjà observée sur les marchés de gros", note Nicolas Leclerc. Logique : le tarif réglementé d’EDF, en application depuis le 1er février 2024, est notamment calculé en prenant en compte le prix de l’électricité durant les deux années précédentes. Or, en 2022 et 2023, deux années de crise énergétique, le prix de l’électron avait été extrêmement élevé. Avec le redressement de la production du nucléaire, les tarifs de gros ont baissé en 2024 et le coût de l’électricité va donc mécaniquement chuter l’hiver prochain. "On voit déjà des offres de prix qui sont environ 20 % inférieures à l’année dernière, on ne pourra donc pas mettre cette baisse au crédit d’une majorité", souligne le spécialiste. Derrière la baisse annoncée par Bruno Le Maire se cacherait même une légère hausse de la fiscalité, qui doit permettre au gouvernement de sortir progressivement du très coûteux bouclier tarifaire mis en place lors des hivers 2022 et 2023.
Cette tendance du marché donne aussi des ailes au Rassemblement national. Invité à débattre sur le plateau de BFM, Jean-Philippe Tanguy, chargé de l’économie et de l’énergie au sein du parti, s’était mis à promettre une baisse de la facture d’électricité d’"au moins 40 %" en cas de victoire aux législatives. Jordan Bardella, dont le programme a été détaillé ce 18 juin dans Le Parisien, se montre plus modéré. Il évoque une ristourne de 30 % sur les factures. Pour cela, le président du Rassemblement national compte appliquer une réduction de la TVA de 20 % à 5,5 % sur l’ensemble des produits énergétiques, électricité comprise. Une mesure chiffrée par le RN à 12 milliards d’euros, mais à 17 milliards par le ministère de l’Economie. De l’autre côté de l’échiquier politique, la stratégie de blocage des prix porté par le NFP laisse les experts dubitatifs. "C’est ce qui avait été fait en partie par le gouvernement avec le bouclier tarifaire, mais au bout du compte cela se répercute sur le contribuable", note Julien Teddé.
Du côté de la majorité présidentielle, on a fait le calcul : selon la coalition Ensemble pour la République, le coût cumulé de la suppression de la taxe de 10 % sur les factures d’énergie et de l’annulation de la hausse de 12 % des prix du gaz au 1er juillet se chiffrerait à 13 milliards d’euros.
Le coût économique d’un blocage des prix n’est pas la seule inquiétude. Appliqué au gaz, il pourrait avoir un effet sur la qualité du service. La hausse prévue en juillet est liée à un ajustement des coûts d’entretien des réseaux, alors même que la consommation a baissé en France. Cette part, qui représente un peu moins d’un tiers de la facture "augmente un peu puisqu’on répartit des coûts en hausse sur une consommation qui baisse", soulignait ainsi Emmanuelle Wargon, présidente de la CRE. "Le RN dit qu’il souhaite revenir sur cette hausse du prix du gaz, or si le prix baisse cela représentera de l’argent en moins pour entretenir les réseaux", abonde Nicolas Leclerc, d’Omnegy.
Les propositions de blocages des prix, ou de baisse de la fiscalité, particulièrement difficile à financer, oublient aussi qu’une baisse des tarifs représenterait un obstacle aux efforts de sobriétés actuellement demandés pour maintenir l’équilibre du réseau électrique à l’avenir, et nos objectifs climatiques. "Il faudrait parler de la rénovation énergétique des bâtiments, de la réduction de la consommation, car on ne pourra pas boucler l’équation uniquement avec du nucléaire et des énergies renouvelables", souligne Camille Defard, cheffe du centre énergie de l’Institut Jacques-Delors. Mais l’experte le reconnaît : à quelques jours du scrutin, le sujet n’est pas très porteur.