Cartographier les résultats électoraux est une chose, encore faut-il que les cartes ne nous trompent pas. Dans de nombreux médias sont publiées des cartes où sont représentés les candidats arrivant en tête, comme ici une capture d’écran du Figaro.
Résultats élections européennes, capture d’écran Le Figaro
Le problème de ce type de carte, c’est qu’elle met en avant les espaces, mais qu’elle efface les populations. Les métropoles n’apparaissent que comme des petits points alors que c’est là que se concentre l’essentiel de la population française : mieux vaut arriver en tête à Nice (300 000 habitants) que dans la Creuse (120 000), dans le XVe arrondissement de Paris (230 000 habitants) qu’en Haute-Loire (220 000 habitants). Mais dans ces cartes, Nice et le XVe apparaissent comme des têtes d’épingle, donc insignifiants, alors que la Creuse et la Haute-Loire couvrent un large espace.
Pour rétablir la réalité électorale, il faut donc trouver une représentation géographique qui, tout en tenant compte de l’espace, permet de bien mettre en valeur la réalité démographique. Un candidat qui souhaite gagner la présidentielle a ainsi plus intérêt à gagner à Paris, Lyon et Marseille que dans de nombreux départements ruraux.
Patrick Poncet, géographe et par ailleurs réalisateur des cartes de la revue Conflits, a publié en mai 2022 un article dans la revue Espace-temps qui aborde ce problème et qui le résout par la réalisation de chromocartographies, c’est-à-dire des cartes qui utilisent les couleurs, ici la France rouillée et la France dorée.
Dans son article, il explique sa méthodologie et analyse les différentes cartes obtenues. Ces cartes s’intéressent ainsi à la densité des suffrages. En conclusion, il apparait que le territoire électoral de Marine Le Pen ne réside pas dans la « France périphérique », par ailleurs concept polémique qui n’a aucune expression géographique [1] mais dans les villes, les métropoles et les territoires urbains, c’est-à-dire les mêmes zones géographiques que celles d’Emmanuel Macron.
Les 4 France de la présidentielle 2022 – Patrick Poncet
« Maintenant, considérons le point de vue inverse : l’idée que le vote pour Marine Le Pen serait un vote périphérique, périurbain, anti-urbain, ou a minima non-urbain. On ne peut dresser la même carte que la précédente, car par définition Marine Le Pen n’a pas obtenu la majorité des suffrages. En revanche, on peut cartographier l’espace qui lui apporte la moitié des voix qui se sont portées sur son nom. Et pour ordonner cet espace, symétriquement au choix fait pour la carte d’Emmanuel Macron, pro-urbain, nous pouvons cumuler les votes dans les communes ordonnées par densité croissante, des moins urbaines aux plus urbaines.
Cette carte, c’est celle de la France rouillée : 31345 communes, les moins urbaines du pays, qui apporteraient à Marine Le Pen la moitié de ses électeurs, les autres étant à trouver en ville, au cœur du territoire macroniste, donc. »
Un article de géopolitique électorale à lire pour comprendre la présidentielle de 2022 et les législatives à venir.
[1] Bien que ce concept de « France périphérique » soit erroné et qu’il a été démonté par de nombreuses études géographiques, il continue d’être employé, probablement par facilité et ignorance, dans le langage médiatique.