C’est un tacle, un geste banal, le week-end, dans le Cantal. Le 28 avril, Yolet se déplace à Mur-de-Barrez, chez Carladez Goul. Un joueur de Yolet se jette, récupère le ballon, embarque un peu l’adversaire. Trop, au goût des supporters locaux, qui rentrent sur le terrain et s’attaquent aux footballeurs. Match arrêté. Une des victimes a porté plainte le lendemain, une enquête est en cours.
« Quand il y a peu d’événements, on les remarque »Une visite à la gendarmerie pour un simple match de football. S’il n’est pas rare de voir le ballon rond dans la colonne des faits divers en marge des rencontres professionnelles, l’affaire s’étend également au monde amateur et pas uniquement en ville.
À Murat, le 18 mai, l’après-midi de fête présentant la demi-finale de Coupe Barrès entre Riom-Condat et Vallée de l’Authre d’abord, puis la demi-finale de Coupe du Cantal entre l’US Vallée de l’Authre et l’Entente Nord Lozère (ENL), dégénère en tribune. Il a même fallu que la gendarmerie vienne assurer la sécurité en fin de rencontre.
Lilian Condon, coach de l’ENL, poste un long texte sur les réseaux sociaux à l’issue du match. Il explique le « sentiment de dégoût et de tristesse de voir mon sport bafoué par des actes inqualifiables commis par des barbares dégénérés habités par la haine ». Il cible clairement l’USVA, très critiqué sur les réseaux sociaux, « nous pensions faire forfait si nous avions dû jouer ce match chez eux afin de protéger l’intégrité physique de mes joueurs. Ce match étant sur terrain neutre, nous avons pris la décision de jouer. […] Par cette attitude, ils font régner la peur auprès des adversaires et du corps arbitral. »
Tous les responsables présents ont déploré ce pathétique après-midi qui aurait dû être une fête. Pour l’USVA, le président Serge Leybros le répète, même s’il considère qu’une partie du message de Lilian Condon est « diffamatoire. […] On fait le nécessaire pour que tout se passe bien, mais à l’impossible, nul n’est tenu… »
« Il y en a qui se prennent pour des Ultras, et c’est peut-être un peu le problème, constate plutôt le président du District de football du Cantal, Thierry Charbonnel. Nos coupes départementales ont du succès. Cinq cent cinquante personnes à Murat, cela fait un effet de groupe et il y a des supporters qui se sentent plus forts… »
« Exclure, c’est compliqué »Plusieurs présidents de club contactés notent qu’au-delà de ces cas extrêmes de violences dans le public, les incivilités et les insultes sont régulières au bord de la main courante. « Ça gâche notre foot amateur, s’agace Arnaud Boissières, à Riom-Condat. Le chambrage fait partie du foot, mais il faut voir ce que l’on entend ! »
Lilian Jury, président délégué de la Ligue Auvergne-Rhône-Alpes, lie incivilités et violences, explicitement. « Il ne faut pas noircir le tableau, estime celui dont le regard embrasse un territoire allant d’Aurillac à Annecy en passant par Lyon, Grenoble et Saint-Étienne. Ramené au nombre de matchs, il n’y a pas de problème de violence dans le Cantal. Quand il y a peu d’événements, on les remarque. »Mais ce phénomène, « le Cantal le prend de plein fouet, là où le District du Rhône y a été confronté il y a plusieurs années. Ils ont trouvé des solutions, sanctionnent. Ils avaient, malheureusement, un peu d’avance sur le Cantal. On n’y est pour rien, c’est la société qui est comme ça. »
« Sur 1.053 matchs organisés, on a 1,59 % de matchs à problème », explique Thierry Charbonnel, président du District de football, qui anime l’immense majorité du football amateur dans le Cantal. Est-ce que toutes les informations remontent au District ? « On n’a pas de délégué à chaque match, il y en a sûrement d’autres, reconnaît Michel Parro, à la tête de la commission de discipline. L’arbitre a pour consigne de faire les signalements. »
Le carton blanc en renfortSur les 1.053 matchs, 1.540 cartons jaunes ont été sortis par les arbitres. Cette saison, ils ont reçu le renfort du carton blanc qui permet de faire sortir un joueur dix minutes en cas de contestation, un outil unanimement salué par les arbitres. « On ne peut pas dire qu’il ne se passe rien dans nos stades », constate Thierry Charbonnel, alors que la plus grosse sanction de l’histoire du District a été prononcée cette année. Au cours d’un match entre Ytrac et Saint-Flour, un joueur avait frappé l’officiel. Résultat : 18 ans de suspension. Un appel est en cours pour la partie fédérale et une plainte a été déposée à la gendarmerie.
L’enjeu est important pour le sport dans le département. La crainte, c’est que cette ambiance pèse sur les licenciés, au point d’en dégoûter certains ou de retenir des parents souhaitant inscrire leurs enfants au foot. Aujourd’hui, ce n’est pas le cas. Le nombre de dirigeants a augmenté l’année dernière, avec 27 nouveaux cadres pour un total de 853, et le nombre de licenciés est en hausse, malgré la démographie du département, de 6.828 à 6.867.
Que faire pour éviter qu'une mauvaise ambiance ne s'installe à l'avenir ? Au District, Thierry Charbonnel ne transige pas. Le président, réélu samedi, apprécie peu cette publicité et renvoie la balle aux clubs : « Ils connaissent leurs supporters, ils savent qui pose problème. Si le président ne fait pas la police, on sanctionnera tout le monde ». Cela peut aller jusqu’au match délocalisé ou au huis clos… « La sanction disciplinaire est prise en dernier recours, explique Lilian Jury. Il s’agit de sécuriser a minima, on doit pouvoir assurer aux adversaires que tout se passera bien. »
La sanction est crainte par les clubs : c’est un match de recettes qui s’envole. Mais les dirigeants sont entre le marteau et l’enclume. Renvoyer des supporters, c’est également risquer de se fâcher avec des voisins, des amis… et se priver de public. Tous disent prendre leurs responsabilités mais « exclure, c’est compliqué, lâche l’un d’eux. Il ne faut pas oublier que nous ne sommes que des bénévoles. On est aussi là pour s’amuser. »
"Cela nous détruit !"Mais « on ne gagnera jamais, reconnaît Thierry Charbonnel. On a beau faire un pas en avant, un événement nous fera faire dix pas en arrière. Cela nous détruit ! ». « On n’avait rien eu jusqu’au mois de février… », soupire Michel Parro, à la tête de la commission de discipline, pour rappeler le bon début de saison. Mais les compétitions avançant, les enjeux deviennent de plus en plus pesants, enflamment même le public cantalien.
Un autre élément, très local, permet également d’expliquer la poussée de fièvre : les matchs reportés. « La pauvreté du département en infrastructures stabilisées ou synthétiques fait que l’on compresse la fin du championnat, estime Lilian Jury. Cela la rend plus intense. »
Samedi, la finale s’est déroulée dans le calme à Mauriac, mais le match a été encadré sérieusement, à grands coups de réunions, en amont, avec la préfecture ou les forces de l’ordre. Pas de fumigènes, pas d’alcool dans l’enceinte du stade, les militaires pour encadrer, ainsi que des stadiers. Un match pour clore en beauté une fin de saison compliquée.
Pierre Chambaud