Alain Augier était carrossier peintre de profession avant de se consacrer au jardinage, de devenir un spécialiste des déchets verts. « Depuis tout petit j’ai fait du jardin », confie l’amoureux de la nature à la casquette de Gavroche vissée sur la tête. Un stage de permaculture à Toulouse l’a convaincu de vivre sa passion autrement. Il balaie l’idée selon laquelle la permaculture ce ne serait que du jardinage. « En réalité, dit-il, c’est une philosophie de vie. Elle répond à trois grands principes : prendre soin du sol, de l’humain, partager les richesses ».
Alain Augier est devenu animateur en agroécologie auprès de Terre et Humanisme, le mouvement qui transmet et soutient une agriculture écologique, humaine et solidaire inspirée de Pierre Rabhi. Jusqu’ici guide composteur, il a acquis, ces dernières semaines, le titre très officiel de maître composteur après validation par le réseau compost citoyen, lequel milite pour le compostage de proximité. Le titre doit s’accompagner d’un projet. Pour Alain Augier, celui de mettre en place une plateforme de déchets verts sur la commune des Villettes, où il réside et où il a donné vie à un magnifique jardin collectif et pédagogique.
La haie sèche ancêtre du fil barbeléÀ l’entrée du jardin, Georges l’épouvantail, la mascotte, est une invite à la détente et à la découverte. Avant même d’en franchir les portes, une haie sèche interpelle le visiteur. Elle a été installée depuis fin mars. Les habitants l’alimentent en branchages et produits de tonte, économisant des déplacements jusqu’à la déchetterie la plus proche, Monistrol-sur-Loire, distante de 8 km. « Sur celle-ci, en 2022, le déchet vert a représenté 140.000 tonnes qui devraient normalement rester sur place, d’autant plus qu’il existe bien des solutions pour le valoriser », affirme Alain Augier qui ajoute : « La haie sèche est l’ancêtre du fil de fer barbelé ».Le jardin pédagogique au cœur du bourg des Villettes (rue de Cublaise) est relativement ombragé. Il fait bon s’y attarder en été. Il est non constructible et mis à disposition par un particulier. À charge pour Stéphane Augier et une poignée de bénévoles de l’entretenir. Ces bénévoles, membres de l’association Funambulle (avec deux « l ») « le jardin en équilibre » ont fait bien plus que de l’entretien. Alain Augier commente : « Être jardinier, c’est trouver des équilibres, entre le choix des plantations, la biodiversité, la maîtrise des ravageurs ».La haie sèche alimentée par les habitants intéresse de plus en plus de communes.
"On travaille sur sol vivant, notre matière première ce sont les déchets verts "
Le jardin essentiellement potager leur sert de « terrain de jeu » pour mener quantité d’essais. Cette belle histoire collective a débuté il y a trois ans, en fait avec la création de l’association qui compte une trentaine d’adhérents et que préside Raphaëlle Beleymet, elle-même maître composteuse à Saint-Ferréol-d’Auroure.Au jardin, toutes les pratiques « non conventionnelles » sont privilégiées. « Ici, on ne bêche pas on travaille sur sol vivant, notre matière première, ce sont les déchets verts », prévient Alain Augier. Ces déchets sont employés dans des bacs de culture. Le wicking bed, système de culture en jardinière « hors-sol », est autosuffisant en eau. Cette technique, Alain Augier la propose notamment aux écoles et centres de loisirs qui développent une activité jardinage. L’animateur du jardin a monté son auto-entreprise de fabrication de mobilier de jardin en bois et de composteurs. Un certain nombre est installé sur le territoire de la communauté de communes des Marches du Velay Rochebaron. L’un des contenants est adapté aux personnes à mobilité réduite. Même en fauteuil, il est possible de jardiner. Toutes les cultures sont à hauteur !
Pour éviter d’être envahis par l’herbe, les amateurs utilisent le paillage avec ce qu’ils ont sous la main, y compris l’herbe de tonte. « L’herbe ne nous gêne pas, elle sert en même temps de matière organique. Quand on en a de trop elle sert à butter les patates », assure Alain Augier.
Les îlots légumiers en bacs de moins de deux mètres carrés reçoivent toutes sortes de cultures. Chaque centimètre est occupé. « On se doit d’éviter de mélanger les plantes de la famille des Solanacées qui se nourrissent de la même chose dans le sol. On risquerait d’épuiser ce dernier », précise le jardinier. Les tomates et les pommes de terre font partie de la même fratrie. Dans des sols aussi riches que ceux qui sont travaillés aux Villettes, les plantes en réalité ne craignent guère la concurrence ! « En fait les rotations de culture, on s’en moque un peu », en convient Alain Augier. Les gourmands de tomates ne connaissent pas la taille. Les pieds sont placés « en cage », au centre d’un grillage et mènent leur vie.
À découvrir la culture en lasagneLa technique dite « de la lasagne » est couramment utilisée. Alain Augier explique : « Ce sont des couches superposées. On démarre avec du carton sur de l’herbe pour empêcher qu’elle ne repousse. On met du petit branchage, puis des couches successives de vert et de marron, herbe, paille, feuilles mortes sur 40 cm. On détrempe le tout pour réaliser une grosse éponge et on referme avec de la paille ou du foin. On plante dans ces couches ». Une animation sur le sujet aura lieu dimanche 7 juillet jour où le public est invité sur le terrain de Funambulle.
Dans les buttes de culture, un mélange de matières organiques (branches, vieux cagots, herbe, foin….) comprenant une fois encore pas mal de déchets verts facilite la croissance des panais, haricots, betteraves roses. « En fin de saison, on sème un engrais vert qui reste en place tout l’hiver. Au printemps, on le fauche, ou on le laisse se décomposer sous des cartons. On passe un coup de grelinette et on plante », annonce Alain Augier. Les semences sont récupérées à gauche à droite. Au local de l’association (construit par les bénévoles) la grainothèque est régulièrement alimentée. Les bénévoles n’achètent presque rien. Les branches d’érable récupérées auprès de la commune servent à la réalisation de plessis pour les bordures.
Des moyens de lutte naturels contre les maladies sont développés au jardin. Par exemple, de l’ail est épandu au pied des arbres contre la cloque du pêcher. Et pour faire la chasse aux limaces, rien de tel qu’un coureur indien race de canard proche du colvert pour vous débarrasser des mollusques.
Philippe Suc
Elle abrite plantes et enfants
Les pieds de tomates sont cultivés sur couche chaude avant d’être plantés au jardin.Une serre a été transformée en salle de classe tout en gardant sa vocation première avec la préparation des semis sur couche chaude.
Le jardin de Funambulle a une vocation pédagogique. Les visiteurs sont toujours les bienvenus. Les membres de l’association l’ont ouvert au public (tous les mardis) et même aux plus jeunes. Un ancien poulailler a été transformé en cabane pour les enfants. Les plus petits disposent de bacs de culture adaptés à leur âge. Les écoliers de l’école voisine fréquentent régulièrement le lieu. Une fois par mois, l’association organise des ateliers pratiques : plantations, semis, eau, paillage…
La serre de l’association a été transformée en salle de classe. Chaque vendredi après-midi, elle accueille les enfants de l’école publique de Trevas. Tout ce petit monde doit préalablement se déchausser pour venir fouler les tapis de sols. Puis vient le temps tant attendu de s’égayer dans le grand jardin et de participer aux travaux pratiques. Le lieu sert aussi à des projections pour les adhérents de l’association.
Cette serre conserve malgré tout sa fonction première : une activité de jardinage y est pratiquée. Les plants de tomates, courges, courgettes, aubergines sont préparés sur couche chaude.
« En février, une fosse est remplie de fumier de cheval, on arrose bien. On assiste à une montée en température jusqu’à 60 ou 70°C, voire 80°C avant de redescendre et se maintenir à 20 ou 25°C pendant deux mois. Au moment de planter les tomates en extérieur, elles sont prêtes », explique Alain Augier. Les pieds de tomate repiqués en mai n’ont guère bougé cette année à cause du manque de chaleur. Mais dès que la lune sera favorable, les jardiniers de Funambulle reprendront les plantations.
En février l’an prochain, la serre sera vidée. Et surtout rien ne se perd. L’animateur assure : « On aura 2 m³ de compost tout prêt. Nous sommes gagnants sur toute la ligne ».
La gestion de l’eau au jardin, au plus juste !
Les oyas fabriqués par les jardiniers eux-mêmes.Les bénévoles de l’association limitent au maximum les arrosages. Ils multiplient sur le terrain l’utilisation des oyas, ces réserves d’eau en terre, qu’ils fabriquent eux-mêmes avec des pots de fleurs. Et ça marche !
Les amateurs éclairés de Funambulle continuent de tâtonner, ils apprennent tous les jours. Le jardinage est une école de l’humilité. Malgré les espaces ombreux sur le terrain, des plantes ont été brûlées par le soleil l’été dernier. Qu’à cela ne tienne, les jardiniers s’adaptent. Ils ont entrepris de mettre en place cette année des ombrières. Et comme ils ont manqué d’eau malgré les réserves d’eau de pluie, des oyas, de simples pots de fleurs de récupération en terre cuite, sont utilisés. Les jardiniers cimentent deux pots, les remplissent d’eau et les enterrent. Les pieds de légumes sont plantés autour. Alain Augier recommande : « L’oya est efficace, évite d’arroser à condition de faire un gros paillage pour bloquer l’évaporation. C’est plus économique qu’un goutte-à-goutte ». Chaque année Funambulle propose un atelier : « Comment gérer l’eau au jardin ». L’objectif est de limiter au maximum la consommation d’eau.