Un morceau de fusée Ariane 5 dans un couteau fabriqué à Thiers (Puy-de-Dôme). L’idée semble folle, et pourtant, elle a bel et bien été réalisée par la coutellerie Fontenille-Pataud sur demande d’un ingénieur de l’agence spatiale européenne.
Depuis la nuit des temps, le ciel et son immensité font rêver. Ceux qui ont la chance de tutoyer les étoiles, au sens propre, sont triés sur le volet, à l’image de la Nivernaise Sophie Adenot, récemment sélectionnée pour devenir astronaute. À Thiers comme ailleurs, les voyages spatiaux et les fusées font briller les yeux. Et dans l’intimité de l’atelier de la coutellerie Fontenille-Pataud, une poignée de chanceux a flirté avec la Voie lactée, du bout des doigts. Récit d’une aventure artisanale hors du commun.Yann Delarboulas (à droite) est le gérant de Fontenille-Pataud. Jean-Paul est chef d'atelier au sein de la coutellerie.
Tout a commencé par un simple e-mail, adressé au gérant de Fontenille-Pataud, Yann Delarboulas, via le formulaire de contact du site internet de l’entreprise. « En fin d’année dernière, Teddy Peponnet, un Français ingénieur à l’agence spatiale européenne (ESA), nous envoie un e-mail qu’il définit comme “une bouteille à la mer” », se remémore le responsable.
Du bois guyanais et de l’acier de la fusée Ariane 5En prévision du lancement du premier vol de la fusée Ariane 6 le 9 juillet prochain, ce dernier avait envie de lancer une gamme de couteaux sur le thème spatial.
Le passage de la version 5 à la version 6 de la fusée Ariane est une étape clef dans le parcours de l’ESA.
L’amateur de couteaux qu’est Teddy Peponnet, avec cette idée en tête, a alors sollicité plusieurs fabricants. "Et nous avons été les premiers à répondre", s’amuse le gérant de Fontenille-Pataud. Comme quoi les belles histoires ne tiennent parfois pas à grand-chose.
Après plusieurs échanges par e-mail, l’ingénieur, directeur du programme infrastructure sur le site de Kourou, en Guyane, se déplace finalement à Thiers. "Il a rencontré l’équipe, visité nos ateliers, puis nous avons commencé à travailler sur des couteaux." C’est sur le Laguiole que l’ingénieur jettera son dévolu. Sont alors nés des couteaux pliants, des sommeliers et des couteaux de table. Mais la singularité de ces lames se glisse dans les matériaux utilisés pour les créer. Le bois d’abord. Il est issu des forêts gérées durablement qui entourent la zone de lancement de Kourou en Guyane, propriété de l’ESA.
Nous avons reçu en tout six bois différents. Dont du bois de serpent, de l’amarante ou encore du wacapou.
L’acier ensuite. "Comme la fusée Ariane 6 va bientôt être mise en service, la fusée Ariane 5 est petit à petit démantelée. Et au fil des années, beaucoup de pièces d’acier avaient été mises de côté suite à des essais ratés par exemple, pour analyse, détaille Yann Delarboulas. Ces pièces allaient être mises au rebut. Alors certaines nous ont été envoyées, pour que nous puissions faire un insert dans le manche de nos futurs couteaux." Incroyable, mais bien vrai.Un couteau Laguiole unique en l'honneur de la fusée Ariane 5.
Depuis plusieurs mois maintenant, des parties de la fusée Ariane affluent à Thiers et sont coupées, travaillées, modelées par les couteliers de Fontenille-Pataud.
La première fois que j’ai eu un morceau entre les mains, je l’ai déballé comme un diamant.
"Chaque couteau que nous fabriquons a une saveur particulière. On se demande où allait la pièce qu’on découpe. À chaque fois, c’est un bout de fusée qui s’éteint pour se rallumer sur un couteau", souffle l’artisan, très fier d’avoir contribué à la création de ces lames uniques.
Ce projet, avec celui mené pour le chef étoilé Adrien Descoules, est l’un de ceux qui resteront gravés dans sa mémoire. Par son côté exceptionnel.
C’était un vrai challenge de réussir à intégrer un bout de fusée dans un couteau.
"Au départ, Teddy Peponnet voulait qu’on fabrique les lames avec l’acier. Mais pour cela, il aurait fallu qu’on sache exactement de quoi il était composé. Et il y a un secret de fabrication qui ne pouvait pas être dévoilé. Je ne m’y connais pas en acier, mais je n’ai jamais rien vu d’aussi solide, c’est incroyable."
Thomas Pesquet à Thiers ?Les Laguiole spatiaux SpacePep’s sont amenés à perdurer dans la collection Fontenille-Pataud. Aujourd’hui, ils sont en vente exclusivement sur un site dédié, créé par Teddy Peponnet. "La cible, ce sont tous les gens qui ont un lien avec l’espace. Et ils sont nombreux, on n’imagine pas tous les gens qui travaillent, de près ou de loin, pour l’ESA", assure Yann Delarboulas. Et parmi les futurs propriétaires de ce couteau, un certain Thomas Pesquet. "Teddy Peponnet est ami avec lui, la prochaine fois qu’il va à Kourou, il aura son couteau, s’émerveillent Yann Delarboulas et Jean-Paul Marques. Et peut-être qu’une visite de l’atelier sera organisée prochainement." Pour vivre ce rêve jusqu’au bout.
Sarah Douvizy
