Ni exagération ni minimisation. Ce programme qui vaut pour n’importe quel domaine d’étude est aussi crucial que difficile à appliquer quand on cherche à comprendre le revival antisémite à l’œuvre en France depuis le 7 octobre – disons le 8 – et à apprécier son ampleur. Comment se protéger contre le miroir grossissant de médias qui, par nature, ne parlent que des trains qui n’arrivent pas à l’heure ? Les Français fraîchement émigrés en Israël que j’ai rencontrés récemment semblent penser que leur pays natal ressemble à l’Allemagne de 1933. On n’en est pas là, loin s’en faut, car dans ses tréfonds et quoi qu’elle pense de la guerre d’Israël à Gaza, la société française ne mange pas de ce pain-là. Le gouvernement ne fait preuve d’aucune complaisance même si, comme l’observe Georges Bensoussan (pages XX-XX) on peut légitimement lui reprocher de favoriser les causes dont il déplore les effets.
Ce qui complique l’analyse, c’est qu’il est presque aussi hasardeux de définir l’antisémitisme que de définir un juif. Reste que la preuve du pudding, c’est qu’il se mange et la preuve que cette résurgence de l’antisémitisme est bien réelle est que beaucoup de juifs ont peur, en France et dans le monde entier. Pour notre pays, des données angoissantes circulent : augmentation de 1 000 % des agressions antijuives selon un rapport publié par le CRIF (tendance confirmée par les données du ministère de l’Intérieur), une proportion significative de juifs cachent leur nom sur les applis VTC ou sur leur boîte aux lettres, les étudiants juifs sont exfiltrés de Sciences-Po Menton où on ne peut pas assurer leur sécurité. Les témoignages sur la situation à l’université rassemblés par Céline Pina (pages XX-XX) sont consternants. Au point que même quelques progressistes bon teint commencent à s’alarmer, comme en témoigne la réunion organisée le 23 mai à Paris par « trois collectifs juifs d’extrême gauche », apprend-on dans Le Point.
A lire aussi : Sombre avenir pour les juifs de France
On dirait que les digues illusoires qu’on a cru ériger en psalmodiant « plus jamais ça » ont cédé. L’interdit de l’antisémitisme vaut pour le juif en pyjama rayé, pas pour celui en uniforme kaki. Planquée derrière l’exécration de l’État juif et abritée par les grandes causes du nouveau progressisme, la délégitimation des Juifs, comme peuple et comme individus, se porte en bandoulière. Le 22 mai, une certaine Isabelle Callaud, qui se déclare « insoumise et antifa » et, ce qui fait encore plus peur, enseignante, publie sur X un montage d’une trentaine de photos, assorti du commentaire « les complices du criminel doivent être jugés » (où votre servante a l’honneur de figurer en excellente compagnie). En concoctant son « Affiche jaune », cette dame n’a curieusement retenu que des noms et des visages juifs. Une liste de juifs ainsi offerts à la vindicte, ça devrait révulser les critiques les plus sévères de la politique israélienne, susciter les protestations d’Insoumis furieux d’être embarqués dans ce douteux combat. Nada. Rien. Le mot « Palestine » est décidément une couverture pratique pour bien des mauvais sentiments.
L’article Juifs de France: pour vivre, vivons cachés est apparu en premier sur Causeur.