Ce Premier ministre lui ressemble. C’est en tout cas ce que songe Edouard Philippe quand il contemple, ce jour de mai, les traits tirés de Gabriel Attal. Malgré sa jeunesse, malgré son visage encore rebondi, il paraît fatigué. La tête des cinq mois à Matignon. "J’avais la même", se souvient l’aîné. Il faut dire que Gabriel Attal est du genre vibrionnant. Quand il reçoit peu de temps après sa nomination en janvier 2024 un autre de ses prédécesseurs, Jean-Pierre Raffarin, il l’inonde de questions. Stratégiques : "Comment fait-on quand un ministre vous manque ?" Organisationnelles : "Faut-il voir la présidente de l’Assemblée nationale le dimanche soir ?" Pour durer, ne rien laisser au hasard.
"Comment survivre quand on est remercié ?" Voilà donc une interrogation que l’actuel chef du gouvernement n’a pas formulée. Inutile de regretter. A peine installé, qui veut penser au jour où il sera congédié ? Puis, qu’auraient-ils dit ces ex, qui lui soit utile aujourd’hui ? Edouard Philippe, Jean-Pierre Raffarin… C’était l’époque où l’amour durait trois ans. L’époque où la dissolution n’abîmait pas les ambitions.
Quels que soient les résultats des législatives de juillet, Emmanuel Macron a le droit de conserver Gabriel Attal à son poste. Mais, après avoir martelé que "rien n’est plus républicain que de donner la parole au peuple souverain", parole de conseiller élyséen, un tel choix paraîtrait au mieux inconséquent, au pire incohérent. Six mois à Matignon… Attal plus fugace qu’Edith Cresson. Il y a des records que le trentenaire aimerait ne pas décrocher. Heureusement que personne ne lui a répété la promesse faite par le chef de l’Etat à Catherine Vautrin presque nommée à la tête du gouvernement en 2022 : "Vous resterez jusqu’aux Jeux olympiques, césure du quinquennat." Il est probable que lui, nommé en 2024, ne tienne même pas jusque-là.
Lui que certains décrivent "uniquement dans l’immédiateté" n’a pas anticipé l’annonce de la dissolution dimanche soir. Il l’a admis lors de son passage télévisé sur TF1 : "C’est une décision brutale." Le Premier ministre a certes eu droit, de la part du président, à un traitement particulier, mais il fut minimaliste : c’est juste avant le début de la réunion avec les responsables de la majorité, dimanche soir à l’Elysée, qu’Emmanuel Macron lui a annoncé son choix. Le lendemain n’a pas été un jour plus heureux : alors qu’une participation de Gabriel Attal à un 20 heures avait été envisagée dès le 10 juin, c’est Gérald Darmanin qui fut l’invité de TF1, lundi soir.
Être et avoir été. Déjà, on tire sous ses pieds les tapis de la Savonnerie qui garnissent les parquets de Matignon. Alors, il change de position, il a toujours considéré la souplesse comme une qualité. Hier Premier ministre assez sûr de lui pour venir interrompre la candidate de la majorité aux européennes en plein entretien, aujourd’hui modeste citoyen, humble militant, qui, aux députés inquiets de ces législatives précipitées, assure : "J’irai au bout de mon devoir de citoyen attaché à son pays qui donnera tout pour éviter le pire. Au bout de mon devoir de membre de notre famille, pour vous défendre et vous protéger." Puis, rattrapé par le souvenir des responsabilités qu’il doit encore exercer : "Au bout de mon devoir de Premier ministre pour agir aux services des Français jusqu’à la dernière minute."
Gabriel Attal est un pragmatique, partir compte peu, rester compte autant. Il y a longtemps qu’il a fait sienne, en cette année olympique, la devise de Pierre de Coubertin, "l’important, c’est de participer". Depuis le 9 janvier 2024, il est Premier ministre à vie. "Un Premier ministre futur antérieur", l’expression, habile, est d’un macroniste historique. "J’aurais été Premier ministre à 35 ans, c’est déjà ça…", soufflait l’intéressé quelques semaines plus tôt, imaginant la possibilité d’un départ au début de l’été, selon Le Parisien.
Mais profiter de sa présence à Matignon pour construire un legs politique, même minimaliste, n’est pas interdit, surtout quand on nourrit de grandes ambitions. Que laissera le chef du gouvernement ? Un ministre haut placé peine à dissimuler son optimisme : "On lance plein de trucs et plus rien n’est lisible, c’est choucroute sur barbecue sur fondue savoyarde sur tartiflette." L’exemple de l’école – "service public qui me tient particulièrement à cœur", a insisté le Premier ministre au journal télévisé – paraît, en ce sens, significatif. "Attal en avait fait un truc et puis plus rien, plus d’impulsion, poursuit ce ministre. Cela trouble beaucoup les électeurs." Puisqu’est venu le temps des compliments, un proche du président rapporte, lui, la remarque d’un jeune membre de sa famille : "Attal se moque de nous, il veut plaire aux parents en s’occupant de l’accès des enfants aux écrans et dans le même temps il se met sur BeReal [NDLR : un réseau social] pour nous plaire." Attal fait tout, Attal veut tout. Qu’importe la cohérence dans cette société fragmentée où l’on ne se croise plus, combien d’électeurs de plus de 40 ans savent que ce Premier ministre est aussi sur TikTok ?
La communication fait partie de ses talents, pourquoi se priver ? "La prochaine Keynote d’Apple c’est Gabriel qui la fait, il connaît tous les modèles Samsung et Apple pour faire les selfies renversés", égratigne un stratège du président. Certains peuvent bien ronchonner, quand le Premier ministre se déplaçait avant le scrutin, il était sans cesse alpagué, sollicité, et les mots à son endroit de ces Français rencontrés au hasard, étaient souvent chaleureux, même quand poignaient des reproches. Attention, mirage en vue ! "Il s’en sort bien, la structure de sa popularité démontre qu’il est là pour longtemps", glissait même une ministre. On peut être politique et se laisser berner, la preuve. Comme elle, Attal a sans doute cru que sa notoriété et ses bons sondages rimaient avec assurance-vie. C’est bien mal connaître Emmanuel Macron, et c’est aussi bien mal connaître les électeurs.
Etre, avoir été, et devoir être. Gabriel Attal a dessiné sa trajectoire lors de son interview télévisée mardi soir. "Je mènerai cette campagne en tant que chef de la majorité, en tant que Premier ministre. Cela fait plusieurs mois que j’œuvre auprès du président de la République. Mon identité : toujours écouter les Français." La semaine précédant le scrutin européen, un de ses prédécesseurs observait : "Ce qu’il veut, c’est se créer un personnage, si ce n’est candidat en 2027, il sait qu’il a peu de chances d’être en situation, mais être l’organisateur de la Macronie pour demain, organiser les deals avec les autres." Dans cet objectif, avoir été Premier ministre peut aider. Ne plus l’être peut gêner.