Magasins pillés, routes barrées, voitures brûlées, sept morts et des centaines de blessés. Le dégel du corps électoral a plongé la Nouvelle-Calédonie dans le chaos. L’extension du droit de vote à environ 25 000 natifs de l’île ou résidents de longue date, soit un cinquième du corps électoral, relève pourtant de l’évidence démocratique. Pour éteindre l’incendie, Emmanuel Macron a annoncé sur un ton solennel mais en mode panique, le report de "plusieurs semaines" de la réforme. Il y a fort à parier que ce temps sera suffisant pour que le sujet du corps électoral disparaisse de l’actualité et qu’il ne soit en réalité jamais remis sur la table par le gouvernement. La violence des minorités fait donc une nouvelle fois office de juge de paix sur un sujet aussi essentiel pour une démocratie que celui du suffrage universel… et dix jours auront suffi à remettre en cause la suite logique des résultats de trois référendums d’autodétermination.
Un renoncement loin d’être inédit. Après dix jours de blocages dans les transports en 2008, Nicolas Sarkozy et François Fillon cédaient sur la réforme des régimes spéciaux soutenue pourtant par 6 Français sur 10 dans les sondages : les compensations accordées aux syndicats en échange de l’allongement de la durée de cotisations ont annulé les effets de la réforme initialement présentée. Dix ans plus tard, en 2018, l’abandon du projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes face aux zadistes a contredit une promesse de campagne, un référendum local et 180 décisions de justice. Puis est venue l’interminable et coûteuse contestation des gilets jaunes soldée par une nouvelle capitulation du gouvernement : un abandon de l’augmentation de la taxe carbone et des annonces à hauteur de 17 milliards d’euros pour acheter la paix sociale. Les prochains hold-up sont connus, les préavis de grèves ont d’ores et déjà été posés pour la période des Jeux olympiques : les monopoles publics profitent sans vergogne de la fête pour servir leurs propres intérêts.
Il faut dire que ces nombreux reculs n’ont fait que légitimer la pratique. Ils ont en même temps terriblement affaibli notre système démocratique désormais jugé inefficace par 68 % des Français selon le baromètre annuel du Cevipof. Car, contrairement à ce que prétend l’extrême gauche, c’est bien l’inefficacité et non pas l’absence de débat qui explique en grande partie la crise démocratique actuelle. La Nouvelle-Calédonie en a été un nouvel exemple. Depuis 1988, le débat et le dialogue constant ont permis des avancées énormes. Sur le plan institutionnel, la Nouvelle-Calédonie - dont le maintien dans la République française est stratégique - bénéficie d’un statut unique et d’une autonomie financière qui lui permet de percevoir le produit des impôts et des taxes, tout en recevant des transferts de l’Etat considérables.
Sur le plan économique et social, en 2023, les 1,68 milliard d’euros transférés représentait près de 20 % du PIB calédonien ! Entre 2005 et 2021, le nombre de logements sociaux a doublé. De 1998 à 2020, la part d’une génération ayant accès au bac est passée de 32,8 % à 73,5 %. Le taux de chômage a été presque divisé par deux en trente ans et la part des Kanaks parmi les cadres a doublé. Le taux de pauvreté (19 %) sur l’île est désormais comparable à celui de la Haute-Corse et est bien inférieur à celui de la Seine-Saint-Denis (27,6 %). Le PIB par habitant a progressé de 70 % par rapport aux années 2000, il est aujourd’hui supérieur à celui de la France métropolitaine hors Île-de-France. Un bilan que nos gouvernants n’ont jamais valorisé sous le regard narquois des activistes venus de Chine, d’Azerbaïdjan, ou de Wagner…
Petits compromis et grands renoncements nous mènent aujourd’hui à un énorme gâchis. D’autres risquent de suivre demain. Voilà pourquoi il faut préférer l’efficacité des résultats aux annonces chocs, privilégier les réformes structurelles et surtout assumer d’être ferme quand l’intérêt général l’impose. Gardons en tête ce principe majeur : la dictature, c’est la facilité ; la démocratie c’est un effort de chaque instant pour faire respecter le choix de la majorité.